Il est important de bien comprendre la fonction de réaction d’une banque centrale. Elle influence les anticipations d’inflation et de taux d’intérêt, le niveau des rendements obligataires, l’appétit pour le risque des investisseurs et la confiance économique en général. Aux États-Unis, différents types d’informations contribuent à améliorer notre compréhension de la fonction de réaction de la Réserve fédérale. Tout d’abord, les règles de politique monétaire, qui jouent un rôle important dans les travaux des équipes de la Fed en vue des réunions du FOMC. Ensuite, la relation entre l’inflation, la croissance, le chômage et le taux des fonds fédéraux dans le Résumé des Projections économiques des membres du FOMC. Enfin, les éléments de langage dans les discours et conférences de presse des membres de l’institution qui continuent de jouer un rôle central étant donné que la réactivité du FOMC aux données économiques (inflation, chômage, écart de production) fluctue dans le temps.
Il est important de bien comprendre la fonction de réaction d'une banque centrale. Cette fonction influence les attentes en termes d'inflation et de taux d’intérêt officiels et, par extension, le niveau des rendements obligataires, l'appétit pour le risque des investisseurs et la confiance dans l'économie en général.[1] S'agissant de la Réserve fédérale, cet aspect revêt une importance particulière compte tenu des retombées internationales de ses décisions de politique monétaire. Heureusement, les spécialistes de la politique monétaire, les « Fed watchers », disposent d'une masse considérable d'informations pour mieux anticiper les prochaines décisions de la Banque centrale américaine. Les observateurs s'accordent à dire, qu'en dernière analyse, la décision de relever, d'abaisser ou de maintenir inchangés les taux des fonds fédéraux dépendra des données, comme l'ont souvent déclaré Jerome Powell et ses collègues. Toutefois, ces données ne doivent pas être analysées de manière isolée. Leur principal intérêt réside dans les informations qu'elles nous fournissent sur les perspectives d'inflation et, compte tenu du double mandat de la Fed, le taux de chômage. Pour les spécialistes des banques centrales, cette analyse constitue une base pour l’élaboration des anticipations de taux directeurs. Une approche formalisée de ce processus consiste à utiliser les règles de conduite de la politique monétaire, qui utilisent un petit nombre de facteurs macroéconomiques pour décrire la fonction de réaction des décideurs en ce domaine.
Aux États-Unis, ces règles de conduite constituent une tradition ancienne qui remonte aux travaux de John B. Taylor, avec sa règle éponyme, formulée au début des années 1990.[2] Ces règles jouent également un rôle important dans les éléments pris en compte dans la préparation des réunions du comité directeur de la Réserve fédérale.[3] Les principales variables prises en considération sont le taux d'intérêt neutre, l'inflation cible, l’écart entre inflation observée et inflation cible (inflation gap), l'écart entre croissance réalisée et croissance potentielle (output gap), l'écart entre taux de chômage courant et taux de chômage sans accélération de l’inflation (NAIRU) (unemployment gap), mais aussi les pondérations supposées des variables respectives et le coefficient d'inertie, qui reflète le caractère graduel de la mise en œuvre de la politique monétaire.[4] Bien que le nombre limité de variables donne la priorité aux éléments qui ont une réelle influence, le taux directeur recommandé varie beaucoup en fonction des spécifications du modèle. À titre d'illustration, à l'issue de la réunion du FOMC de décembre 2018, la fourchette cible pour les taux des fonds fédéraux a été relevée à 2,25-2,50 %, alors que les différentes règles de conduite de la politique monétaire préconisaient un taux entre 2,03 % et 4,66 %.[5] Dans ces conditions, il est peut-être plus pertinent de s'intéresser au changement recommandé plutôt qu'au niveau absolu. Un document publié récemment par Athanasios Orphanides[6] présente une règle selon laquelle la variation trimestrielle du taux des fonds fédéraux est égale à 0,5 fois l'écart entre la croissance nominale attendue du PIB et le taux de croissance naturel. Cette règle, qui vise à reproduire l’évolution observée des taux des fonds fédéraux, peut s'avérer utile pour les Fed watchers pour réaliser des analyses de scénarios sur la base de différentes prévisions économiques (graphique 1).[7]
Le résumé des projections économiques (SEP) des membres du FOMC permet également d'éclairer leur fonction de réaction. Le graphique 2 présente les projections de croissance nominale du PIB[8] et le haut de la fourchette cible des taux des fonds fédéraux. Le graphique 3 présente les projections d'inflation des dépenses de consommation. En 2022, la révision à la hausse significative des projections d’inflation avait motivé une révision à la hausse des projections de croissance nominale pour 2022, lesquelles semblent donc avoir été l'un des principaux moteurs du resserrement monétaire décidé pendant la même année. Jusqu'en juin 2023, en dépit de l’absence d’une tendance claire dans les projections de croissance nominale pour 2023 et 2024, celles-ci sont demeurées élevées, justifiant une politique monétaire restrictive, d'autant plus qu'au second semestre 2023, ces mêmes projections ont été relevées du fait de la révision à la hausse des prévisions de croissance réelle. Bien sûr, il faut se garder de généraliser en se fondant sur l'analyse visuelle d'un seul cycle de resserrement monétaire. Cependant, une approche statistique rigoureuse a été réalisée dans un document publié récemment par la Réserve fédérale, dans lequel les auteurs analysent la fonction de réaction médiane des participants du FOMC : comment la projection médiane de taux des fonds fédéraux répond-elle aux variations des projections médianes d'inflation et de chômage ?[9] Les résultats de cette analyse montrent que la sensibilité à l'inflation et à l’output gap fluctue dans le temps et que la réaction à l'inflation a fortement augmenté depuis la pandémie. Ces résultats sont sans surprise compte tenu de l'évolution récente de l'inflation.
Pour conclure, la règle de conduite de la politique monétaire proposée par Athanasios Orphanides, l’analyse du dernier cycle de resserrement et une estimation économétrique des facteurs qui influencent les projections de taux d’intérêt des membres du FOMC (le « dot plot ») montrent l'influence majeure sur les décisions de politique monétaire de l'inflation (par rapport au niveau cible), la croissance nominale du PIB et l'écart entre cette croissance et les prévisions à long terme de la Fed. Toutefois, la réaction du FOMC fluctue dans le temps (les cycles de resserrement ou d'assouplissement ont chacun des caractéristiques singulières), si bien que les « Fed watchers » doivent compléter l’analyse des variables mentionnées ci-dessus par une exégèse des discours des membres du FOMC et des conférences de presse du Président de la Fed, Jerome Powell. À cet égard, il convient de rappeler que de simples approches analytiques peuvent également s'avérer utiles. De fait, le graphique 4 met en évidence une corrélation étroite entre croissance nominale du PIB observée et taux des fonds fédéraux entre le début des années 1980 et la crise financière mondiale. Compte tenu de la résilience de la croissance de l'économie américaine et de la lente désinflation qui caractérisent le cycle actuel, cette corrélation pourrait avoir de bonnes chances de se rétablir.