Dans un article de 1933 consacré à l’autosuffisance nationale[1], l’économiste britannique John Maynard Keynes recommandait à « ceux qui souhaitent dégager un pays de ses liens » de le faire « avec prudence et sans précipitation », utilisant pour appuyer ses propos l’image suivante : « Il ne s’agit pas d’arracher la plante avec ses racines, mais de l’habituer progressivement à pousser dans une direction différente ». À près d’un siècle de distance, que valent les préceptes de l’auteur de la Théorie générale ? Dans l’Amérique de Donald Trump, où l’éviction des produits importés par des droits de douane prohibitifs est supposée servir la production nationale, c’est plutôt la technique de l’arrachage qui séduit. Quant aux résultats à en attendre, ils sont pour le moins discutables.
ÉTATS-UNIS : TARIFS ET DÉPENDANCES
La première offensive tarifaire américaine (celle de 2018) avait surtout visé la Chine, dont les énormes excédents autant que la montée en gamme, en particulier dans le secteur des communications électroniques, inquiétaient Washington. Moyennant quoi le commerce américain s’est adapté, offrant, en apparence, moins de place à la Chine mais davantage à quelques pays « connecteurs » (Mexique, Vietnam…), où Pékin s’est redéployé. Au bout du compte, les États-Unis n’ont réduit ni leurs déficits commerciaux, ni même leur dépendance aux principaux intrants stratégiques (chimie, métallurgie, composants électroniques…), comme l’indiquent notre graphique ainsi qu’une étude récente du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales)[2].
La seconde offensive, qui bat actuellement son plein, n’aura pas de conséquences plus heureuses. Peu ouverte aux échanges (ceux de marchandises représentent à peine 10% du PIB), l’économie américaine n’en reste pas moins sensible à la taxation des importations, dès lors que leur degré de substituabilité est faible. D’après les estimations du FMI (Fonds monétaire international)[3], un choc tarifaire déprimerait pratiquement autant les exportations que les importations, dans la mesure où les secondes sont indispensables aux premières et que les États-Unis subiraient des rétorsions ; le poste de demande intérieure le plus affecté ne serait pas la consommation privée, mais l’investissement des entreprises ; l’effet redistributif (entre secteurs ou États américains) serait négligeable, tandis que les pertes d’activité seraient, elles, permanentes.