Après un début d’année solide, la croissance économique chinoise a ralenti progressivement. Grâce à une réorientation rapide, les exportations ont bien résisté au choc tarifaire américain. Elles constituent le principal moteur de l’activité, alors que la demande intérieure reste obstinément fragile. Les autorités ont lancé une campagne « anti-involution », mais il est également urgent d’ajuster la politique de la demande pour relancer la consommation et l’investissement intérieur, à un moment où les exportations pourraient commencer à s’essouffler. Malgré la dégradation des finances publiques des dernières années, le gouvernement central et les collectivités locales conservent une certaine marge de manœuvre pour agir.
Croissance : tirée par les exportations La croissance du PIB réel s'est établie à +5,4% en glissement annuel (g.a.) au T1 2025, puis à +5,2% au T2 et +4,8% au T3. Elle devrait continuer de ralentir à court terme.
Dans le secteur industriel, la croissance a été plus solide que prévu (graphique 1 ). Elle a atteint +6,2% en g.a. sur les neuf premiers mois de 2025 (après +5,8% en 2024), largement soutenue par les exportations de biens manufacturés. En revanche, la croissance de l’investissement manufacturier a ralenti continument cette année (+4% en valeur en g.a. sur les neuf premiers mois, contre +9,2% en 2024). Cette sévère baisse de régime peut s’expliquer par les incertitudes qui continuent de peser sur les perspectives d’exportation, ainsi que par la faiblesse de la consommation intérieure et la campagne anti-involution (cf. infra ).
Chine : Activité dans l’industrie et les services
Dans les services, l’accélération de la croissance enregistrée au S1 2025 (+5,9% en g.a., après +5,2% en 2024) s’est interrompue au T3 (+5,7%). Le redressement de la demande intérieure reste fragile et les mesures de soutien budgétaire s’avèrent insuffisantes. Des programmes de remplacement des biens de consommation subventionnés par le gouvernement ont encouragé les dépenses des ménages, mais la croissance des ventes au détail a de nouveau décéléré pendant l’été (de plus de 5% en volume en g.a. au S1 à +3,8% au T3). Sur le marché immobilier, le creux de la crise n’est pas atteint. Sur les neuf premiers mois de 2025, le volume de transactions a continué de chuter, et était de moitié inférieur à ce qu’il était sur la même période en 2021. La correction des prix des logements se poursuit progressivement.
Prévisions Le sentiment des ménages ne s'améliore pas, miné par la crise immobilière et des conditions sur le marché de l'emploi dégradées par rapport à l’avant-Covid (chômage élevé chez les jeunes, croissance des revenus plus modeste). Cela explique leur préférence pour le désendettement, en dépit de l’assouplissement de la politique monétaire et des mesures visant à soutenir le crédit aux particuliers. La dette des ménages est en très légère baisse depuis deux ans (estimée à 60,4% du PIB au T3 2025 et un peu en dessous de 100% du revenu disponible, soit un niveau relativement élevé). Alors que des mesures d’ampleur seraient nécessaires pour provoquer un choc de confiance sur les ménages, les autorités ne font pas encore de ce problème une priorité. Dans le communiqué officiel du 22 octobre sur les grandes lignes du 15e plan quinquennal 2026-2030, le besoin de stimuler la consommation privée est toutefois rappelé.
Un nouvel objectif des autorités : combattre « l’involution » Les autorités ont ajusté leur politique industrielle depuis l’été. Elles accordent davantage d’attention au problème de la déflation et de « l'involution ». Ce terme désigne la concurrence intense et destructrice qui touche de nombreux secteurs (de l’acier à la pharmacie jusqu’aux technologies vertes et à la livraison) et se manifeste par des surcapacités de production, une guerre des prix et une baisse des profits. Les autorités incitent les entreprises à augmenter leurs prix de vente et à limiter leur production, et encouragent la consolidation dans certains secteurs. La campagne anti-involution doit permettre de réduire les pressions déflationnistes et redresser les bénéfices des entreprises, tout en préservant la capacité à innover des acteurs les plus solides.
Les premiers effets visibles sont encore ténus. L'inflation sous-jacente a légèrement accéléré (+1% en g.a. en septembre) et la déflation des prix à la production s'est atténuée (-2,3%). Mais l’inflation des prix à la consommation reste négative (-0,3%) en raison de la baisse des prix alimentaires (-4,4%) et de l’essence (-6%). La politique anti-involution a probablement aussi contribué au récent affaiblissement de l’activité et de l’investissement observé dans le secteur manufacturier. De fait, afin de ne pas freiner la croissance ni pénaliser l’emploi, les mesures anti-involution devront s'accompagner d’une croissance forte des exportations et/ou d’un renforcement de la consommation privée.
Comptes externes : un excédent courant supérieur à 3% du PIB En 2025, la base d’exportations s’est encore renforcée et les excédents des balances commerciale et courante ont augmenté pour atteindre, en pourcentage du PIB, leur plus haut niveau depuis plus d’une décennie.
À cause du choc tarifaire, les exportations vers les États-Unis ont chuté de 15,8% en g.a. en dollars sur les neuf premiers mois de l’année. Mais cette perte a été plus que compensée par des gains dans les autres régions (ASEAN : +14,5%, UE : +7,9%, Amérique latine : +7,3% et Afrique : +27,8%). Le redéploiement s’est opéré en réacheminant les flux de marchandises, via des pays tiers pour contourner les droits de douane, et en diversifiant les débouchés pour compenser les pertes de parts de marché aux États-Unis. La réussite des entreprises chinoises s’est appuyée sur la forte compétitivité prix et hors prix de leurs produits, aidée par la faiblesse du yuan (graphique 2). Sur les neuf premiers mois de 2025, l’excédent commercial a augmenté de 26% en g.a. et atteint USD 876 mds (données de l’administration des douanes). Sur l’ensemble de 2025, il devrait être proche de 5% du PIB, et l’excédent courant devrait dépasser 3% du PIB pour la première fois depuis 2010 (il s’est établi à +1,7% du PIB en moyenne sur la période 2011-2024).
Chine : Excédent commercial et taux de change
La hausse de l’excédent courant en 2025 a été en partie compensée par une augmentation des sorties nettes de capitaux, largement liée aux investissements et financements des résidents à l’étranger. Et la position de liquidité et de solvabilité extérieure de la Chine, déjà très confortable, s’est légèrement renforcée. Le pays dispose d’importantes réserves de change (en hausse en 2025). Il dépend peu des financements non-résidents et sa dette extérieure est faible (inférieure à 15% du PIB). La stabilité de l’économie est donc peu vulnérable aux variations des conditions financières extérieures.
Ces atouts persisteront à moyen terme. Le moteur exportateur restera un puissant facteur de la solidité des comptes externes chinois, d’autant plus qu’il est pour Pékin un levier stratégique dans sa rivalité avec les États-Unis et dans sa quête de leadership mondial. L’innovation, le renforcement du secteur manufacturier et de l’autonomie technologique restent d’ailleurs des objectifs du prochain Plan quinquennal.
Toutefois, à court terme, la dynamique des exportations pourrait s’essouffler. D’abord, la pression concurrentielle des produits chinois sur les marchés extérieurs pourrait un peu s’atténuer. En effet, le yuan s’apprécie légèrement depuis mai dernier (contre le dollar et en termes effectifs réels) et la baisse du prix moyen en dollar des exportations chinoises semble se modérer (-1,2% en g.a. sur la période mai-août, après -4,1% au cours des six mois précédents).
Les mesures anti-involution pourraient également faire légèrement remonter les prix de vente dans le secteur manufacturier. En outre, les exportateurs chinois pourraient se heurter à de nouvelles barrières protectionnistes, que pourraient imposer les Etats-Unis, mais aussi les autres partenaires commerciaux. Les dernières semaines ont été marquées par un regain de tensions entre Pékin et Washington après l’annonce, le 10 octobre, d’un renforcement des contrôles de la Chine sur ses exportations de terres rares. Les tensions sont depuis retombées. Les droits portuaires réciproques sont en vigueur depuis mi-octobre mais la trêve n’a pas été rompue et les négociations progressent à nouveau depuis quelques jours.
Finances publiques : marge de manœuvre préservée à court terme Les métriques des finances publiques ont continué de se dégrader en 2025. Le déficit budgétaire officiel (solde du gouvernement général consolidé ajusté de transferts entre comptes publics) doit atteindre 4% du PIB cette année, contre 3% en 2024. Le déficit total du gouvernement général (GG) devrait dépasser 8% du PIB (estimation du FMI). Rappelons qu’il s’est accru depuis 2020, passant de 3,9% en moyenne en 2015-2019 à 7,4% en 2020-2024 (en raison de la crise sanitaire, la crise immobilière, du ralentissement de la croissance du PIB et des mesures de relance).
Parallèlement, la dette officielle du GG a augmenté de 38% du PIB fin 2019 à 66% à la mi-2025. D’un côté, la solvabilité du gouvernement central (GC) reste très solide et les risques de liquidité sont très faibles : sa dette est modérée (28% du PIB), essentiellement composée de titres émis à taux bas sur les marchés obligataires locaux. Moins de 1% de la dette est libellée en devises et les investisseurs étrangers détiennent moins de 10% du total. À moyen terme, la dynamique de dette du GC continuera de bénéficier d’un différentiel entre croissance du PIB et taux d’intérêt favorable, en dépit du ralentissement attendu de la croissance et de la hausse (modérée) du taux d’intérêt moyen payé sur la dette.
D’un autre côté, les collectivités affichent d’importantes vulnérabilités : i/ des dépenses structurellement élevées, des recettes insuffisantes et déprimées par la contraction des revenus fonciers, et ii/ alors que leur dette directe (obligataire) est modérément élevée (38% du PIB) et refinancée sans difficulté sur les marchés locaux, leur dette indirecte, contractée par leurs « véhicules de financement » (VF) est élevée (estimée à 50% du PIB en 2024). Cette dette constitue une source de risque de crédit importante pour les créanciers (surtout des banques) et de risque contingent pour les collectivités locales.
Malgré les fragilités des collectivités (qui ont la responsabilité d’une grande part de la mise en œuvre des politiques budgétaires), les autorités conservent une marge de manœuvre pour soutenir l’activité. D’abord, la solidité financière du GC l’autorise à introduire des mesures. Ensuite, l’assouplissement monétaire facilite les émissions obligataires des collectivités. Enfin, les risques de liquidité auxquels font face les VF sont progressivement réduits depuis deux ans par des programmes de swap de dette – les collectivités émettant des obligations directement en leur nom pour refinancer la dette des VF les plus en difficulté. Ce programme ne résout en rien le problème de solvabilité à moyen terme des collectivités locales, mais il allège à court terme leurs contraintes de liquidité. Alors que les exportations pourraient s’essouffler à court terme, il devient urgent que les autorités utilisent toute la marge de manœuvre dont elles disposent pour mettre en œuvre des mesures ambitieuses visant à renforcer les revenus des ménages et à stimuler la demande intérieure.
Achevé de rédiger le 20 octobre 2025