La croissance économique indienne a surpris à la hausse entre avril et juin 2025 (+7,8% en g.a.). Mais l’activité est moins dynamique qu’il n’y paraît et les risques baissiers sur la croissance sont élevés. La consommation des ménages reste molle. Pour soutenir la demande intérieure et compenser l’impact de la hausse des tarifs douaniers américains sur l’activité, le gouvernement a annoncé une baisse des taux de TVA, alors même que ses marges de manœuvre budgétaires sont limitées. La Banque centrale devrait continuer à être prudente dans son assouplissement monétaire car les pressions à la baisse sur la roupie restent fortes. À moyen terme, les perspectives de croissance pourraient se dégrader si les États-Unis maintiennent des droits de douane sur leurs importations de biens indiens beaucoup plus élevés que sur les produits des autres pays asiatiques.
Risques baissiers sur la croissance Au T1 de l’année budgétaire 2025/2026 (avril-juin 2025), la croissance du PIB réel a atteint 7,8% en glissement annuel (g.a.), surperformant le rythme de croissance des autres pays d’Asie (hors Vietnam). Mais cette forte croissance en termes réels s’explique en partie par un déflateur du PIB particulièrement faible (+0,9% vs. 4,8% en moyenne au cours des cinq dernières années). Le ralentissement de la croissance nominale (+8,8% vs. 12,2% au cours des deux années précédentes) est une source d’inquiétude car elle fait écho à la faible croissance du chiffre d’affaires des entreprises, ce qui pèsera sur leurs investissements, déjà très insuffisants pour soutenir le potentiel de croissance indien. Alors que le taux d’investissement a augmenté de 2,3 points de PIB au cours des quatre dernières années pour atteindre 33,7% du PIB en 2024/2025, l’investissement des entreprises est resté stable à 11,3% du PIB, et ce, en dépit de l’amélioration de leur situation financière. Ce sont surtout les ménages et le gouvernement qui sont à l’origine de la hausse des investissements. Le manque d’investissements productifs pèse sur les perspectives de croissance.
Prévisions
La croissance devrait ralentir sur le reste de l’année. La consommation des ménages urbains reste molle et la hausse des droits de douane américains devrait peser sur l’activité dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre (textile, joaillerie). Si les tarifs douaniers américains étaient maintenus à 50%, le coût pour l’économie pourrait atteindre 0,6 point de PIB sur une année complète.
Assouplissement monétaire prudent Depuis le début de l’année, la Banque centrale (Reserve Bank of India, RBI) a baissé de 100 points de base ses taux directeurs. Mais en dépit des risques baissiers sur la croissance, la RBI a maintenu ses taux directeurs inchangés à 5,5% depuis le mois de juin car l’inflation sous-jacente (hors alimentaire et énergie) reste élevée (+4,5% en g.a. en septembre) et les pressions baissières sur la roupie sont fortes. La RBI a accru ses interventions sur le marché des changes. Par ailleurs, l’excès de pluie devrait peser sur les récoltes et sur les prix alimentaires.
Assouplissement monétaire prudent Hausse des tensions sur les comptes extérieurs En dépit d’une croissance solide, l’Inde a enregistré d’importantes sorties de capitaux au cours des derniers mois. Bien que toujours robustes, ses comptes extérieurs se sont légèrement détériorés.
Pour l’année budgétaire 2024/2025, le déficit du compte courant a diminué de 0,1 pp pour s'établir à 0,6% du PIB (contre une moyenne de 0,8% du PIB sur les cinq dernières années). Mais dans le même temps, l'excédent du compte financier s’est réduit avec la chute des IDE nets. Même si l'Inde est un important bénéficiaire d'IDE, le pays ne parvient pas à les retenir. Entre 2017 et 2024, les entrées brutes d'IDE ont été multipliées par 1,3, tandis que les désinvestissements ont été multipliés par 2,9. Les entreprises étrangères ont vendu leurs actifs et/ou rapatrié leurs bénéfices sans les réinvestir dans le pays. Ainsi, malgré un déficit du compte courant modéré, celui-ci n'est pas couvert par les IDE nets, ce qui rend le pays dépendant des investissements de portefeuille. L’Inde (comme l’Indonésie) est donc exposée au resserrement des conditions financières internationales.
Au T2 2025, alors que le déficit du compte courant est resté contenu, la baisse des entrées de capitaux (IDE et investissements de portefeuille) s’est accentuée. Les IDE dans le pays ont non seulement diminué mais les investissements directs domestiques à l’étranger ont augmenté. Les IDE nets atteignaient 0,6% du PIB contre 3,7% du PIB au Vietnam. Les investissements de portefeuille ont également baissé entre avril et août 2025. Les flux nets ont enregistré un déficit de USD2,5mds contre un excédent de plus de USD10,4mds à la même période l’année dernière.
Ces sorties de capitaux ont généré des pressions baissières sur la roupie (-4% face au dollar entre avril et octobre). Ils résultent i/ de la baisse des rendements obligataires indiens et de la réduction de leur écart avec les rendements américains entre mi-2024 et mi-2025, ii/ de la surtaxe américaine sur les produits indiens importés ainsi que des mesures sur les visas des travailleurs indiens qui pourraient peser sur les bénéfices des entreprises indiennes aux États-Unis et réduire les transferts de revenus vers l’Inde.
En août 2025, le gouvernement américain a imposé un droit de douane « réciproque » de 25% sur les marchandises importées d'Inde et un « droit de douane punitif » supplémentaire de 25% en réponse aux achats de pétrole russe par l'Inde. Le taux effectif de taxe imposée par les États-Unis sur les produits indiens a donc été relevé de 2,4% à la fin de 2024 à 36,4%, un niveau largement supérieur à celui des autres pays asiatiques (y compris la Chine). L'achat de pétrole brut russe à un prix inférieur à celui du Brent a contribué, depuis 2022, à atténuer les pressions sur les comptes extérieurs du pays. La part des importations de pétrole brut russe est passée de seulement 1,9% à la fin de 2021 à 33,5% en juin 2025. La Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole brut de l’Inde.
Mais la récente décision du gouvernement américain d’interdire à toutes entités (américaines ou pas) d’acheter du pétrole aux deux principales entreprises russes (Lukoil et Rosneft) va obliger les entreprises indiennes à s’approvisionner (au moins en partie) dans le Golfe. Comme l'Inde a acheté en moyenne 1,76 million de barils par jour à la Russie au cours de l’année 2024/2025 et que la différence de prix entre le Brent et l'Urals était en moyenne de 13,14 dollars par baril, si l'Inde cessait d'acheter du pétrole russe, son déficit courant pourrait alors augmenter de 0,2 point de PIB (sans tenir compte de l'effet que cela pourrait avoir sur ses exportations de pétrole raffiné, car l'Inde perdrait en compétitivité). Par ailleurs, si les tarifs douaniers américains étaient maintenus en l’état, la surtaxe sur les produits indiens entraînerait une hausse du déficit du compte courant de 0,7 point de PIB. Les États-Unis sont la première destination des exportations indiennes (18,3 % des exportations i.e. 2,1% du PIB en 2024).
Outre l’évolution du compte courant (qui devrait rester inférieur à 2% du PIB même si les tarifs douaniers étaient maintenus à 50%), la question est de savoir ce qu'il adviendra des IDE et des investissements de portefeuille. À court terme, les obligations indiennes devraient bénéficier d'un écart de taux d'intérêt favorable avec les obligations américaines. Mais les IDE, déjà faibles, pourraient encore diminuer si le gouvernement américain maintenait des droits de douane sur les produits indiens supérieurs à ceux imposés sur les autres pays d’Asie. Bien que les IDE soient aujourd’hui principalement concentrés dans les services, l'électronique et les télécommunications (43 % des IDE reçus), qui ne sont pour l'instant pas affectés par la hausse tarifaire, la surtaxe pourrait fortement limiter les investissements dans l'industrie. Si la surtaxe était levée, le taux effectif serait alors de 20,8% (contre 19,3% pour le Vietnam), permettant à l’Inde de ne pas être trop pénalisée par rapport à ses voisins et d’espérer pouvoir attirer les investissements étrangers.
Quelle que soit l’issue des négociations avec D. Trump, les risques sur les comptes extérieurs devraient rester contenus. Les réserves de change sont abondantes. Elles atteignaient USD566mds fin octobre, soit 7,4 mois d’importations et 1,9 fois le service de la dette extérieure.
Inde : Forte baisse des entrées de capitaux Baisse des taux de TVA Bien que peu vulnérables à l’environnement financier international, les finances publiques restent le talon d’Achille de l’économie. Les marges de manœuvre budgétaire pour soutenir l’activité sont limitées. D’abord parce que le déficit et la dette sont déjà élevés. Ensuite, parce que ses recettes budgétaires sont parmi les plus faibles d’Asie. Pour l’exercice 2024/2025, elles ont atteint seulement 9,3% du PIB, alors qu’au sein des pays de l’ASEAN-5 (hors Singapour), elles étaient comprises entre 12,9% du PIB en Indonésie et 18,2% du PIB en Thaïlande. Enfin, le paiement des intérêts sur la dette est particulièrement lourd : en 2024/2025, il consommait 36,3% des recettes budgétaires.
Néanmoins, face aux risques de ralentissement économique, le gouvernement a abaissé la TVA. Depuis le 22 septembre, le taux de TVA sur les biens non durables a été ramené de 12% à 5% et le taux sur les biens durables et semi-durables (tels que les voitures) a été réduit de 28% à 18%. La réduction des taux de TVA pourrait générer une augmentation de la croissance de 0,6pp sur une année complète compensant l’effet négatif des droits de douane américains. La perte de recettes pour le gouvernement central devrait être compensée par la fin (à compter de 2026) de la compensation financière qu’il verse aux États (prévue dès l’instauration du taux de TVA). La perte de recettes pour les États devrait être compensée par l’instauration d’un taux de TVA de 40% sur les produits de luxe. Le gouvernement central devrait atteindre sa cible de baisse du déficit de 0,4pp à 4,4% du PIB pour 2025/2026.
Malgré le niveau élevé de la dette publique (82,5% du PIB pour l'exercice 2024/2025), les risques de refinancement sont modérés car la structure de la dette n'est pas risquée et le gouvernement a accès à une épargne domestique abondante. Au T1 2025, 83,6% de la dette du gouvernement et de l’ensemble des administrations publiques était domestique. Même si 66,8% de la dette correspond à de la dette de marché, les risques de refinancement sont limités. La maturité moyenne de la dette est de 13,2 ans. Les bons du Trésor d'une durée inférieure à un an ne représentent que 6,2% de la dette totale de l'État central. Par ailleurs, la dette de marché est presque entièrement détenue par des institutions financières nationales et libellée en monnaie locale. Fin août 2025, les investisseurs étrangers ne détenaient que 2,9% des titres de dette émis par le gouvernement (soit l’équivalent de 1,1% du PIB).
Achevé de rédiger le 13 octobre 2025