L’économie marocaine poursuit sur sa lancée. Peu impactée par le resserrement de la politique douanière américaine, elle enregistre une croissance du PIB soutenue depuis le début de l’année. La demande intérieure est solide, portée par l’investissement. Malgré des vents contraires dans le secteur automobile, les risques macro-financiers sont contenus et les perspectives économiques bien orientées. La pression sociale actuelle pourrait toutefois peser sur la dynamique des finances publiques qui reste, jusqu’à présent, maîtrisée. L’amélioration des conditions de financement devrait permettre au Maroc de faire face à une éventuelle dégradation.
Le Maroc est secoué, depuis fin septembre, par une vague de protestations portée par la jeunesse. Si le gouvernement s’en trouve affaibli, ces manifestations sont largement pacifiques. Elles ne devraient donc pas compromettre la stabilité du pays ni la solide croissance de l’économie. En revanche, elles mettent en lumière l’une des faiblesses du modèle de développement marocain : un taux de chômage élevé (12,8% au T2 2025), en particulier chez les 15-24 ans (35,8%). Les raisons des difficultés de l’économie marocaine à créer suffisamment d’emplois sont multiples, à commencer par les mutations industrielles en cours au profit de secteurs à forte intensité capitalistique. Dans le même temps, ces secteurs jouent un rôle central dans la trajectoire positive sur laquelle se trouve l’économie.
Croissance du PIB : sur une bonne dynamique Après deux années encourageantes (2023 et 2024), l’économie poursuit sur sa lancée. Le PIB réel a progressé de 5,1% en glissement annuel (g.a.) en moyenne sur les six premiers mois de 2025 ; il faut remonter à 2017 pour retrouver une telle performance (hors rebond post-pandémie). Tous les secteurs ont contribué à cette dynamique, portée par un effet de base favorable dans l’agriculture (+4,6% au S1 contre -4,8% en 2024), ainsi que par la solide croissance des activités manufacturières (+5,2%) et des services (+4,8%). En particulier, le secteur du tourisme a continué de croître rapidement avec un nouveau record de 13,5 millions de visiteurs à fin août (+15% en g.a.).
Prévisions
Du côté des composantes de la demande, l’investissement est resté le principal moteur de la croissance (graphique 1), avec +18,2% en g.a. au S1 2025 après avoir déjà progressé de 12,8% en 2024. La consommation des ménages s’est raffermie également (+4,7%). La contribution négative des échanges extérieurs à la croissance ne soulève pas d’inquiétudes dans la mesure où elle reflète l’effort massif d’investissement. Les importations de biens d’équipement sur les huit premiers mois de 2025 ont affiché une hausse de 13% en g.a.
Maroc : L’investissement soutient la croissance Les perspectives restent bien orientées. Peu exposée au resserrement de la politique douanière américaine, l’économie marocaine bénéficie en effet d’une combinaison de facteurs qui se renforcent mutuellement.
La dynamique de l’investissement résulte autant de la poursuite de grands chantiers d’infrastructures, de l’attractivité accrue du pays pour les investisseurs étrangers, en particulier dans le secteur manufacturier (35% des IDE depuis 2021, soit 10 points de plus qu’entre 2015 et 2019), que d’un effet de rattrapage. Tombé à 24,6% au T3 2023, le taux d’investissement est revenu à un niveau proche de sa moyenne historique de 27%. Sa dynamique de hausse pourrait donc commencer à s’estomper, contribuant au ralentissement de la croissance économique.
Cependant, à 4,7% en 2025 et 4,3% en 2026, la croissance du PIB resterait supérieure à sa moyenne prépandémie (3,2% en moyenne entre 2015 et 2019). Après des années de ralentissement structurel, le Maroc serait-il en train de franchir un nouveau palier ? Son insertion accrue dans les chaînes de valeur industrielles mondiales le laisse penser. La part des exportations de biens et services dans le PIB a bondi de 34% en 2019 à 42% en 2024 grâce au développement soutenu de la filière automobile et, dans une moindre mesure, de l’aéronautique.
Dans le contexte actuel, cette spécialisation peut être perçue comme une source de vulnérabilité. Les exportations d’automobiles souffrent, en effet, de la faible demande en Europe (95% des ventes d’automobile du Maroc) mais elles ne s’écroulent pas (voir ci-dessous). De plus, l’indice de production de la filière affiche encore une hausse de 9% en moyenne au S1 2025. Par ailleurs, au vu des développements en cours dans les batteries électriques, du projet d’extension de l’usine Stellantis à Kénitra ou encore de coûts de production parmi les plus bas du monde, les difficultés devraient n’être que passagères.
Inflation contenue, prudence de la Banque centrale Le reflux de l’inflation, qui a atteint un niveau bas, constitue un autre élément de soutien conjoncturel à l’économie. De 2,1% en g.a. au T1 2025, l’inflation est tombée à 0,3% en août, en lien avec le ralentissement de l’inflation des prix des produits alimentaires (+0,2% en août contre +3,4% au T1). Sur les huit premiers mois de l’année, la progression de l’indice des prix à la consommation atteint seulement 1,1% en moyenne. De plus, rien n’annonce une accélération dans les mois à venir. L’inflation sous-jacente est aussi faible, à 0,7%, et les anticipations d’inflation à 2 ans sont bien ancrées.
Ce contexte offre des marges de manœuvre confortables à la Banque centrale (BAM). Après une baisse du taux directeur de 25 pb en mars, elle a depuis opté pour le statu quo. Une nouvelle baisse n’est pas à exclure en décembre mais elle serait modérée. À 2,25%, le taux directeur est, certes, au-dessus de l’inflation mais les conditions monétaires restent accommodantes. De fait, le taux réel ex ante est toujours inférieur au taux neutre (estimé à 1-1,5%). En outre, la demande intérieure est solide et la transmission de l’assouplissement de la politique monétaire n’est pas achevée. Depuis le démarrage de la phase d’assouplissement mi-2024, le taux directeur a baissé de 75 points de base (pb) contre 59 pb pour les taux débiteurs pratiqués par les banques.
La prudence de la BAM transparait également dans le pilotage de deux grands chantiers : d’une part, le passage à un système de ciblage de l’inflation ne sera effectif qu’en 2027 après une année entière de test ; d’autre part, la libéralisation du régime de change ne semble plus être une priorité. Les autorités considèrent que tous les acteurs économiques ne sont pas encore prêts pour faire face à une volatilité accrue du taux de change. Le risque est pourtant limité. Dans le même temps, le maintien de l’arrimage du dirham marocain à son panier de monnaies (60% euro, 40% dollar US avec des bandes de fluctuation de +/-5%) ne semble pas poser de problème au développement économique du pays, comme en atteste la solidité des comptes extérieurs. La stabilité du taux de change effectif réel sur une longue période corrobore cette analyse.
Comptes extérieurs solides Le Maroc a réussi à rééquilibrer ses comptes extérieurs au cours de ces dernières années grâce au boom de ses exportations, des transferts financiers de la diaspora marocaine et des recettes du tourisme. Le contexte international est désormais moins porteur, mais la stabilité de la balance des paiements n’est pas menacée.
De fait, la contraction de 15% des ventes de voitures à l’étranger sur les huit premiers mois de l’année est en grande partie compensée par les exportations soutenues d’équipements automobiles. Ainsi, les exportations du secteur (plus du tiers des exportations totales) sont quasi-stables (-2,9%) par rapport à une année 2024 où elles étaient historiquement élevées. La bonne tenue des exportations de phosphates et de produits dérivés (+21% ; 19% des exportations totales) et des recettes touristiques (+14%) réduit également la pression sur les comptes extérieurs. Attendu à un peu plus de 2% du PIB cette année et en 2026, contre 1,2% en 2024, le déficit courant resterait donc modéré. Les entrées de capitaux sont robustes et l’endettement extérieur est modéré.
Par ailleurs, la dépréciation du dollar contre l’euro a contribué à gonfler un stock de réserves de change déjà élevé (graphique 2). En hausse de 24% depuis le début de l’année, elles restent proches de six mois d’importations de biens et services (celles-ci ont également fortement augmenté en 2025). À ce niveau, le taux de couverture contre un choc exogène demeure confortable.
Maroc : Le stock de réserves de change reste confortable Finances publiques : trajectoire maîtrisée mais pas sans risque Dans un contexte de forte pression sociale, tandis que les grands chantiers d’infrastructures portent la croissance économique, une question se pose : l’État aura-t-il les marges de manœuvre budgétaire suffisantes en cas de dégradation brutale de la conjoncture ? Pour l’instant, la trajectoire des finances publiques paraît maîtrisée. De 7,1% du PIB en 2020, le gouvernement est parvenu à réduire le déficit budgétaire à 3,9% en 2024, tout en maintenant un effort élevé en matière d’investissement public (7,4% du PIB en 2024 contre 5,7% en moyenne entre 2015 et 2019). L’objectif officiel est de ramener le déficit à 3,5% cette année puis à 3% à partir de 2026, ce qui permettrait à l’endettement du gouvernement de poursuivre sa baisse. Il passerait ainsi de 67,7% du PIB fin 2024 à 64,1% fin 2028.
La stratégie de consolidation des finances publiques à moyen terme est crédible, mais elle pourrait être plus difficile à mettre en œuvre à court terme. D’ores et déjà, l’exécution budgétaire sur les huit premiers mois de l’année laisse entrevoir une réduction plus lente que prévu du déficit, qui devrait atteindre 3,7% du PIB en 2025, voire se stabiliser par rapport à 2024. Des corrections à la loi de finances 2026 sont également à prévoir pour tenir compte des revendications sociales actuelles. Cela pourrait se traduire soit par une inflexion de la trajectoire de réduction du déficit budgétaire, soit par des réallocations d’enveloppes budgétaires. Le niveau élevé des investissements publics offre, en effet, un certain degré de flexibilité.
L’amélioration des conditions de financement a également renforcé la marge de manœuvre du gouvernement marocain. Le rendement exigé sur des obligations souveraines à 10 ans émises localement est de 2,7% actuellement contre plus de 4,5% début 2023. Le faible écart de taux entre les émissions à 1 ans et à 10 ans (100 pb) est une autre illustration de la confiance des investisseurs dans la solidité des comptes publics. Celle-ci ne peut qu’être renforcée par la décision récente de S&P de rehausser la note du souverain pour le mettre en catégorie investment grade .
À court terme, l’impact devrait être limité dans la mesure où le Maroc s’endette déjà à des conditions avantageuses sur les marchés financiers internationaux. Par ailleurs, à peine un quart du stock de la dette est libellé en devises. En revanche, le recours accru à des opérations de financements innovants (vente et crédit-bail du patrimoine immobilier de l’État) constitue une source de vulnérabilité à surveiller. Comptabilisées en tant que recettes fiscales, elles dépassent désormais les 2% du PIB. Elles devraient toutefois diminuer à moyen terme. L’État devra trouver d’autres ressources pour atteindre ses objectifs de réduction du déficit budgétaire.
Achevé de rédiger le 16 octobre 2025