Les incertitudes électorales ont fortement pesé sur l’activité économique de la Roumanie l’an dernier. En 2025 et 2026, la croissance économique ne devrait s’améliorer que légèrement. L’inflation a accéléré ces deux derniers mois et va poursuivre sa remontée à court terme alors qu’elle reflue dans l’ensemble des pays d’Europe centrale. Pour autant, les autorités monétaires ne devraient pas changer leur cap et maintiendront sans doute un statu quo à court terme. Quant à la politique budgétaire, la marge de manœuvre pour soutenir l’économie est significativement réduite en raison des mesures de consolidation d’envergure.
Le paysage politique a été marqué par de fortes incertitudes électorales en 2024-2025. Les élections présidentielles ont tout particulièrement mis les projecteurs sur la Roumanie en raison de l’annulation des résultats du premier tour en décembre 2024 et de la tenue de nouvelles élections en mai dernier. Cette période d’incertitudes a eu des conséquences économiques.
Rebond modéré de la croissance à court terme L’an dernier, la croissance économique de la Roumanie était parmi les plus faibles de la région, en raison d’un ralentissement plus marqué aux T3 et T4 2024. Le premier trimestre de 2025 a aussi été décevant, avec une croissance du PIB à peine positive. Le rebond observé au T2 (+1,2% t/t ; +2,3% a/a) a été une bonne surprise. Mais il a été principalement soutenu par les stocks, alors que le détail des postes révèle la fragilité de la demande intérieure. La hausse de la consommation, qui constitue habituellement le principal moteur de la croissance, continue de s’essouffler (elle est passée de +5,8% a/a au T3 2024 à 0% au T2 2025). La croissance de l’investissement s’est nettement affaiblie. De même, le commerce extérieur a pesé sur la croissance du PIB. Les exportations ont progressé plus lentement que les importations.
Prévisions Les mesures d’austérité budgétaire, annoncées juste après les élections présidentielles, constituent un frein puissant à la croissance à court terme. Nos prévisions ont, par conséquent, été révisées à la baisse pour 2025 (1,1%) et 2026 (1,5%). Une légère accélération de la croissance reste toutefois attendue après le creux de 2024 (0,8%).
La consommation sera principalement freinée par la remontée de l’inflation, provoquée notamment par le relèvement du taux de TVA de 19% à 21% depuis août dernier. Les retraités et les fonctionnaires seront également affectés par le gel des pensions et des salaires jusqu’à fin 2026. Par ailleurs, les mesures budgétaires étaient anticipées et avaient déjà induit une certaine prudence des ménages. La détérioration des indicateurs de confiance et des ventes au détail (en variation mensuelle) était déjà visible depuis juillet.
Le ralentissement attendu de la consommation devrait néanmoins être compensé par le renforcement de l’investissement, lui-même porté par les fonds européens (EUR 28,5 mds alloués). Une part substantielle reste à débloquer d’ici fin 2026.
À moyen terme, la croissance devrait se renforcer et converger vers son potentiel de 3,75% (estimation du FMI), grâce aux fonds européens et à l’expansion des activités liées au nearshoring qui soutiennent les perspectives d’investissement.
Remontée des prix et statu quo monétaire L’inflation accélère et frôle déjà les deux chiffres, sous l’effet de la suppression du plafond des prix de l’énergie en juillet et de la hausse récente du taux de TVA (graphique 1). La Roumanie affiche désormais le plus fort taux d’inflation en Europe centrale et même au sein de l’UE (9,2% a/a en moyenne au T3 2025). La Banque centrale prévoit désormais une inflation à 8,8% a/a à fin décembre 2025 (contre les 4,6% prévus précédemment).
Roumanie : Inflation des prix à la consommation Les pressions inflationnistes vont persister dans les prochains mois (sans pour autant retrouver les niveaux de 2023), avant de s’estomper graduellement à mesure que les effets de la TVA se dissipent. Cette année, l’inflation pourrait dépasser 7% en moyenne et le retour vers la zone cible de 2,5% (±1 point) n’est pas prévu avant 2027. La Roumanie se démarque des autres pays d’Europe centrale, où la tendance est plutôt à un reflux graduel de l’inflation.
Concernant la politique monétaire, le statu quo observé depuis août 2024 est le reflet d’une certaine prudence et du retour des pressions inflationnistes. Un changement de cap est peu probable à court terme. La marge de manœuvre des autorités monétaires est limitée en raison de la détérioration des perspectives d’inflation et des pressions baissières sur la devise roumaine. Celles-ci sont apparues pendant la période électorale et peinent à s’estomper. La devise roumaine est toujours au-dessus du seuil de 5 pour 1 euro. Le taux directeur restera donc probablement inchangé à 6,50% jusqu’à l’été prochain.
Le financement du déficit courant plus dépendant des investissements de portefeuille Les incertitudes électorales ainsi que le flou sur les tarifs douaniers américains n’ont pas découragé les flux de capitaux en Roumanie. Sur les sept premiers mois de 2025, les investissements directs étrangers nets (IDE) ont atteint EUR 4 mds, soit près du double du montant reçu sur la même période en 2024 (janvier -juillet 2024 : EUR 2,5 mds ; 2024 : EUR 4,7 mds). Les investissements de portefeuille nets ont également été dynamiques (janvier-juillet 2025 : EUR 11,9 mds ; 2024 : EUR 12,4 mds).
Les entrées nettes de capitaux étrangers ont permis de financer l’essentiel du déficit courant, qui a eu tendance à se creuser pendant la période post-covid-19 (il a atteint -6,6% du PIB en 2023 et -8,2% en 2024). Certes, la dynamique récente est plutôt rassurante, mais la composition des flux de capitaux a changé. Les flux de portefeuille, plus volatils que les IDE, ont pris une part plus importante depuis 2023 dans le financement du déficit courant. Cette situation expose le pays à un retournement du sentiment des investisseurs étrangers (qui conduirait à d’importantes sorties de flux de portefeuille).
Cependant, la Roumanie, comme les autres pays d’Europe centrale, devrait rester une destination attractive pour les investissements directs étrangers. À court et moyen terme, les perspectives d’IDE restent bonnes, soutenues par le mouvement de réorganisation des chaînes de production mondiales, ainsi que par les nombreux atouts de la Roumanie (compétitivité salariale, membre de l’UE, etc.).
La politique budgétaire sous le signe de l’austérité Peu de temps après la prise de fonctions du nouveau président roumain, une série de mesures d’austérité, en concertation avec l’UE, ont été annoncées pour redresser les comptes publics. Elles sont équivalentes à 1,2% du PIB en 2025 et 3,75% du PIB en 2026, et visent à la fois à contenir les dépenses et à augmenter les recettes. Certaines mesures sont déjà entrées en vigueur depuis août. Sans cela, la Roumanie aurait risqué de perdre son statut d’investment grade par les agences de notation, mais aurait aussi pu faire l’objet d’une suspension temporaire des fonds européens par la Commission européenne.
En effet, les comptes publics se sont nettement dégradés depuis 2020 et les autorités n’avaient jusqu’à présent pas entrepris d’importantes mesures de consolidation. La dette publique est désormais proche du seuil de 60% du PIB, contre 35% en 2019. Le déficit budgétaire s’est creusé jusqu’à atteindre 9,3% du PIB en 2024, contre 4,3% en 2019. La charge d’intérêts sur la dette s’est aussi accrue de 1,2 point entre 2019 et 2024, à 2,4% du PIB, en raison de l’augmentation de l’endettement et de la hausse de son coût de financement. Le taux des obligations d’État est le plus élevé en Europe centrale (supérieur à 7% pour les titres à 5 ans).
Les autorités ambitionnent de ramener le déficit budgétaire à 8,4% du PIB en 2025, puis à 6% du PIB en 2026. Ces objectifs sont jugés crédibles par le Fiscal council roumain. Parmi les mesures phares figure, entre autres, le relèvement du taux de TVA et de la taxe sur les boissons alcoolisées et sucrées (+10%). Les banques verront la taxe sur leurs recettes augmenter de 2% à 4% dès 2025. Les retraités sont aussi mis à contribution pour les cotisations sur la santé si leurs revenus excèdent RON 3000 par mois. Plusieurs nouvelles hausses de taxes sont prévues pour 2026 (passage de 10% à 16% de la taxe sur les dividendes, hausse des péages d’environ 80%). Du côté des dépenses, le gel des retraites et des salaires pour les fonctionnaires, en vigueur depuis début 2025, a été prolongé jusqu’à fin 2026.
D’autres mesures seront nécessaires au-delà de 2027 pour se conformer aux règles budgétaires de l’UE. Les réformes pour augmenter l’assiette fiscale restent un défi majeur. Les recettes en pourcentage du PIB sont structurellement faibles (34,1% du PIB en Roumanie en 2024, alors qu’elles s’élèvent à 42,8% en Pologne et à 46,5% en zone euro).
Les besoins de financement, en hausse compte tenu de la progression du déficit budgétaire, ont été couverts par le recours aux marchés domestiques et internationaux. En 2025, ils sont estimés à RON 259 mds, soit 13,6% du PIB et environ 90% ont déjà été couverts selon le ministère des Finances. L’importance de la dette libellée en devises étrangères, principalement en euros (plus de 40% de l’encours), signifie que la Roumanie est exposée à un resserrement des conditions de financement externes (graphique 2). Toutefois, ce risque est modéré.
Roumanie : Composition de la dette du gouvernement par type de devises
Certes, le souverain roumain est exposé à un risque de change. Les pressions baissières sur la monnaie observées récemment illustrent ce risque. Cependant, ces pressions devraient rester contenues. Les variations du RON contre l’euro ont de fait été relativement limitées ces dernières années, en raison du régime de change de «flottement géré».
L’importance de la dette en devises étrangères s’explique par le recours accru du gouvernement aux marchés internationaux depuis quelques années, afin d’alléger son coût de financement. L’attrait pour le marché roumain ne s’est pas atténué, en dépit de la détérioration des comptes publics.
Achevé de rédiger le 16 octobre 2025