En Colombie, la croissance économique rebondit après deux années de mauvaises performances, mais plusieurs secteurs d’activité sont encore à la traîne et l’investissement reste faible. Les regards se tournent désormais vers les élections législatives et présidentielles de 2026, qui pourraient donner lieu à de grands revirements de politique économique et budgétaire. La prochaine administration héritera d’un déficit budgétaire record et d’une dette publique en forte hausse. En l’absence de règle budgétaire, suspendue pour trois ans, elle devra agir vite pour jeter les bases de la consolidation des finances publiques, avant que la confiance des investisseurs ne s’érode davantage.
La croissance se redresse vers son potentiel Au T2 2025, la croissance économique (cvs) a rebondi et atteint 2,5% en glissement annuel (g.a.). L’impact de la hausse des droits de douane étasuniens sur l’activité économique est limité, compte tenu des exemptions sur le pétrole (40% des exportations vers les États-Unis). Le reste des exportations vers les États-Unis, notamment les fleurs, les pierres et métaux précieux ainsi que le café (33% des exportations), pourrait même gagner en compétitivité-prix relativement aux sept autres pays d’Amérique latine pour lesquels les droits de douane dépassent le taux plancher de 10% depuis août[1] .
La croissance économique devrait continuer d’accélérer au S2 et atteindre 2,6% sur 2025, légèrement au-dessus de son rythme potentiel. Elle serait soutenue par le dynamisme de la consommation (+3,6% en g.a. au T2) grâce à un taux de chômage en baisse (8,6% en août, contre 9,2% en moyenne au S2 2024) et à la politique d’expansion budgétaire du gouvernement (les dépenses primaires sont en hausse de 15% en g.a. sur janvier-août).
Prévisions
En revanche, l’investissement pourrait être freiné par l’attentisme des investisseurs en amont des élections législatives et présidentielles du premier semestre 2026. Malgré son rebond récent (+3,1% en g.a. au T2), l’investissement reste inférieur de 9% à son niveau de 2022 et ne représente que 16,5% du PIB. L’investissement en machines et équipements s’est contracté de 17% depuis 2022, tandis que l’investissement dans la construction (hors logement) n’a augmenté que de 2%.
Ce manque d’investissement se reflète dans la décomposition sectorielle du PIB, où la valeur ajoutée brute des secteurs intensifs en capital s’est contractée ces deux dernières années. Ainsi, au T2 2025, l’activité (mesurée sur 4 trimestres) dans les secteurs minier, manufacturier et de la construction est restée inférieure de 6%, 4% et 3% respectivement aux niveaux observés en 2022.
Un rebond de l’investissement permettrait de réhausser les perspectives de croissance à moyen terme, laquelle a nettement ralenti comparé à la décennie passée (croissance annuelle moyenne de 3,7% sur 2010-2019). Le nouveau gouvernement, qui arrivera au pouvoir en août 2026, pourrait choisir de lever l’interdiction d’octroi de nouvelles licences d’exploration pour les hydrocarbures mise en place sous la présidence de G. Petro, et même relancer des projets de « fracking » jusqu’ici suspendus. L’investissement connaîtrait alors un rebond significatif.
Peu de marge de manœuvre monétaire Depuis le début de l’année, la Banque centrale n’a baissé son taux directeur que de 25 points de base (pb), en mai dernier, pour le porter à 9,25%, en dépit des nombreux appels du président Petro à baisser les taux pour soutenir la croissance. La fenêtre de tir pour une nouvelle baisse de taux d’ici fin 2025 s’est fortement réduite ces derniers mois. Depuis juin, les anticipations d’inflation à 12 mois ont sensiblement augmenté en raison de la suspension de la règle budgétaire ; et depuis juillet, l’inflation est repartie à la hausse et a atteint 5,2% en g.a. en septembre, tirée par une inflation persistante dans les services et l’alimentaire. Dernièrement, l’éventualité d’un relèvement de 11% du salaire minimum au 1er janvier 2026 a également justifié la prudence de la banque centrale. L’inflation pourrait ne revenir à sa cible de 3% qu’à fin 2028.
Détérioration des comptes extérieurs à surveiller Mesuré sur quatre trimestres, le déficit du compte courant s’est creusé pour atteindre 2,1% du PIB au T2 2025. Il est grevé par le déficit commercial, qui a atteint 2,8% du PIB, son niveau le plus élevé depuis deux ans. En valeur, la croissance des importations de biens et services (+8,1% en g.a.) dépasse celle des exportations (+2,9%), qui sont notamment freinées par la baisse du cours du pétrole (38% des exportations de biens). La détérioration du solde commercial a été en partie compensée par la bonne performance des revenus de la diaspora, en hausse de 16% au T2 en g.a. et équivalant à 3% du PIB. Mais dans les prochains mois, le déficit du compte courant devrait continuer de se creuser.
D’une part, le cours du pétrole devrait stagner voire continuer de baisser jusqu’au S1 2026. D’autre part, le déficit commercial avec la Chine (2e partenaire commercial) devrait se creuser, à l’heure où celle-ci reconfigure ses exportations : au T2 2025, la valeur des exportations chinoises vers la Colombie était en hausse de 23% en g.a., alors qu’elle reculait de 5% au Mexique et de 4% au Brésil. Les revenus de la diaspora, eux, devraient être robustes grâce à la résilience de l’économie étasunienne, et malgré la taxe de 1% sur les transferts d’argent vers l’étranger créée par l’administration Trump[2] .
Les performances du compte financier sont également mitigées. Les flux nets d’IDE ont légèrement rebondi au T2 mais ne représentaient encore que 2,3% du PIB, soit 0,5 pp sous la moyenne de 2015-2019. Les sorties nettes d’investissements de portefeuille, en cours depuis le T2 2023, ont fortement ralenti (à 0,1% du PIB). Cependant, à l’approche des élections de l’an prochain, les investisseurs étrangers risquent d’adopter une attitude prudente qui conduirait à une nouvelle baisse des IDE et à une reprise accentuée des sorties de portefeuille. Dans ce contexte de dégradation des comptes extérieurs et d’incertitude politique, le peso colombien devrait logiquement s’affaiblir face au dollar US dans les prochains mois.
Consolidation budgétaire remise à demain En 2024, le gouvernement central a été confronté à une baisse imprévue de ses recettes[3] , qui se sont contractées de 5% en valeur nominale malgré une croissance du PIB nominal de 7,7%. À l’inverse, les dépenses budgétaires sont ressorties en hausse de 9% en dépit des restrictions qui ont principalement affecté l’investissement public au deuxième semestre. Le déficit du gouvernement central s’est donc creusé pour atteindre 6,7% du PIB, un niveau proche du plafond atteint pendant la pandémie (graphique 1).
Les mesures correctives promises par le gouvernement début 2025 n’ont finalement pas été adoptées. Au contraire, le gouvernement a activé en juin dernier une clause dérogatoire de la règle budgétaire permettant de la suspendre pour une durée de trois ans. En 2025, le déficit pourrait dépasser la cible officielle de 7,1% du PIB : sur janvier-août, il atteint déjà 5,1% du PIB prévu pour l’année entière, un niveau seulement dépassé en 2020, pendant la pandémie. Un ralentissement marqué des dépenses sur les derniers mois de l’année est peu probable compte tenu du contexte électoral.
Colombie : Déficit du gouvernement central L’année 2026 pourrait bien n’être qu’une répétition de 2025. Le gouvernement central prévoit un déficit de 6,2% du PIB, mais le projet de budget 2026 récemment approuvé par le congrès repose sur de nombreuses hypothèses optimistes – notamment concernant la croissance (3% en 2026) et la charge d’intérêts sur la dette (4,2% du PIB, en baisse de 0,5 pp comparé à notre prévision pour 2025), et ce alors que i/ le coût d’emprunt obligataire pour l’État est en hausse depuis 2024 et qu’il est même devenu supérieur à la croissance nominale et ii/ le ratio de dette augmente. Surtout, le financement du Budget repose sur une réforme fiscale susceptible de rapporter COP 16 000 mds (0,9% du PIB) aux finances publiques. Or, cette réforme est loin de faire l’unanimité au congrès, qui critique la mise en place de nouvelles taxes sans un meilleur contrôle des dépenses. En outre, le CARF, un organe d’État indépendant aux prévisions plus conservatrices, estime qu’il faudrait COP 29 400 mds de mesures supplémentaires (via une baisse des dépenses et/ou une hausse des recettes) pour atteindre la cible de déficit. Dans ces conditions, et même en supposant des coupes budgétaires drastiques en fin d’année, le déficit budgétaire pourrait se maintenir proche de 7% du PIB l’an prochain.
Le report de la consolidation budgétaire chaque année implique un ajustement conséquent lorsque la règle budgétaire s’appliquera de nouveau en 2028. Cet ajustement sera d’autant plus difficile à atteindre que la grande majorité des dépenses primaires du gouvernement central (86% en 2024) sont rigides. Du côté des dépenses, éliminer les subventions sur le diesel, ramener la masse salariale publique en % du PIB à sa moyenne historique, rationnaliser les transferts sociaux et remplacer les subventions aux soins de santé par une contribution accrue des employeurs permettrait d’économiser 2 points de PIB à horizon 2028, selon le FMI. Du côté des recettes, le Fonds suggère, entre autres, moins d’exemptions de TVA et la baisse des seuils minimums d’imposition sur les importations, ou encore la hausse de la taxe carbone et du taux d’imposition sur les paris. Le gain serait alors de 0,8 point de PIB.
Mais de telles mesures auraient un coût politique élevé pour la prochaine administration qui arrivera au pouvoir en août 2026. Si le congrès demeurait fragmenté après les élections législatives, la capacité du prochain gouvernement à faire adopter une réforme fiscale s’en trouverait limitée. À l’heure actuelle, les marchés ont peu réagi à la levée de la règle budgétaire et sont convaincus qu’un revirement majeur de politique budgétaire aura lieu après les élections : depuis juillet, l’écart de taux entre les obligations souveraines en dollars à 10 ans de la Colombie et celles des États-Unis est en baisse (graphique 2). Mais si la consolidation budgétaire était également reportée par la prochaine administration, la montée des tensions sur le marché obligataire pourrait être rapide et alourdirait davantage la charge d’intérêts.
Écart de taux avec les États-Unis sur les obligations souveraines en dollars à 10 ans (CDS)
La dette du gouvernement central a atteint 61,4% du PIB au T2 2025 : elle est 1 pp plus élevée qu’un an plus tôt et 9pp au-dessus de son niveau de 2019. Elle est vulnérable à un resserrement des conditions de financement extérieures, compte tenu de son exposition aux risques de change et de défiance des investisseurs étrangers. En août, 28,7% de la dette était libellée en devises. Malgré la perception de risque souverain accru, les investisseurs étrangers détenaient encore 16% des obligations du Trésor (6% du PIB). Cette part est même remontée à 20% en septembre après le nouvel assouplissement monétaire de la Fed. En outre, afin de réduire la charge d’intérêts, le gouvernement a favorisé l’émission de dette de court terme ces derniers mois. Il devra notamment faire face à un pic d’amortissement de dette externe en août 2026, au moment du changement d’administration. La maturité moyenne de la dette totale a baissé de 0,7 an depuis décembre 2024, mais elle reste confortable : elle atteignait 10,1 ans en août.
Achevé de rédiger le 20/10/2025