Edito

Économies émergentes : La croissance résistera-t-elle aussi bien en 2026 ?

24/11/2025
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La croissance des économies émergentes est restée solide en 2025, portée par les exportations et l’assouplissement des conditions de financement. Le commerce mondial a été stimulé par les achats anticipés en amont des hausses des droits de douane américains, ainsi que par la reconfiguration des flux de marchandises et le boom du secteur technologique. En 2026, la croissance des économies émergentes devrait continuer de résister mais devenir plus modérée. Les facteurs de soutien pourraient s’atténuer et le commerce mondial s’essouffler. Les politiques budgétaires et monétaires continueront de soutenir la demande intérieure mais seront plus contraintes qu’en 2025. L’assouplissement monétaire sera plus mesuré, et les marges de manœuvre budgétaires seront réduites par la nécessité de freiner la hausse des ratios d’endettement public.

En 2026, le commerce extérieur portera moins la croissance

La croissance des économies émergentes s’est avérée plus solide que prévu depuis le début de l’année 2025, notamment grâce au dynamisme des exportations. La progression du PIB agrégé de notre échantillon de 28 principaux pays émergents[1] a été légèrement supérieure à 1% en rythme trimestriel (t/t) aux T1 et T2 2025. Pour le T3, les données disponibles confirment la bonne résistance de la croissance en Asie et en Europe centrale, tandis que l’activité s’est contractée (t/t) au Mexique et au Chili.

Selon nos prévisions, sur l’ensemble de 2025, la croissance moyenne du PIB réel des pays émergents devrait s’établir à 4,1%, à peine en dessous de sa moyenne de 2024 (+4,2%). Elle sera supérieure à ce qui était anticipé après le « jour de la libération » du 2 avril du président Donald Trump et de la première vague de hausses tarifaires américaines. Les exportations ont été moins affectées que prévu. Le commerce mondial devrait même rebondir sur l’ensemble de l’année : d’après les prévisions du FMI, les exportations totales de biens croîtraient de +3,7% en volume en 2025, après une hausse de +3% en 2024.

Des flux commerciaux rapidement réorganisés

Les échanges commerciaux ont été stimulés par les achats anticipés en amont des hausses tarifaires. Surtout, les flux se sont rapidement réorganisés au cours de l’année[2], notamment sous l’effet du redéploiement des exportations de la Chine. La stratégie chinoise a visé, d’une part, à contourner les droits de douane américains grâce au réacheminement des flux de marchandises via des pays tiers et, d’autre part, à diversifier les débouchés pour compenser les pertes de parts de marché aux États-Unis[3].

Dans un premier temps, le choc tarifaire n’a donc pas freiné les exportations de la Chine (+5,9% en glissement annuel en dollars courants sur les neuf premiers mois de 2025, après déjà +5,9% en 2024). Cependant, en octobre, les exportations chinoises ont baissé (-1,1% en g.a.), avec une contraction vers les États-Unis, mais aussi vers le Japon, la Corée du Sud et la Malaisie, et une quasi-stagnation vers l’Union européenne et l’Amérique latine. Alors que le redéploiement des exportations via le simple rerouting s’est poursuivi (les exportations vers les autres pays d’Asie sont restées solides), les gains de parts de marché dans les pays tiers semblent s’être effrités. Cette dégradation peut s’expliquer par la légère réappréciation du yuan depuis juin (de 2% environ en termes effectifs réels, après une baisse de près de 6% au S1 2025), ainsi que par les effets des mesures protectionnistes introduites par certains pays pour freiner leurs importations de biens chinois. La prolongation de la trêve entre la Chine et les États-Unis, annoncée fin octobre et accompagnée d’une réduction des droits de douane américains sur les marchandises chinoises, pourrait aider les exportations d’ici la fin de l’année. Le taux effectif des droits de douane américains sur les biens chinois a été abaissé à 29,2%, contre 41,4% en août (source : Fitch) ; il était proche de 10% fin 2024.

Boom du secteur électronique et des investissements dans l'IA

Pour les pays d’Europe centrale, les exportations ont un peu mieux résisté que prévu à la hausse des tarifs américains et à la crise frappant le secteur automobile, notamment grâce à la poursuite de l’intégration des chaînes de valeur européennes et au dynamisme des échanges intrarégionaux[4]. Enfin, les exportations des pays d’Asie industrialisée ont été soutenues par le boom du secteur électronique et des investissements liés à l’intelligence artificielle – d’autant plus que les semiconducteurs sont jusqu’à présent exemptés de droits de douane aux États-Unis.

En 2026, la croissance du commerce international devrait s’essouffler. Les effets des droits de douane américains devraient se diffuser davantage, tandis que les tensions commerciales et le risque de nouvelles mesures protectionnistes persistent, en particulier à l’encontre de la Chine. Selon les prévisions du FMI, la progression des exportations totales de biens devrait ralentir à +2% en volume en 2026, avant de réaccélérer en 2027-2028.

Indices des exportations en volume

L’assouplissement des conditions financières se poursuivra de façon plus inégale

En 2025, les conditions financières extérieures ont été favorables aux pays émergents

Selon l’Institut de Finance Internationale, les investissements de portefeuille des non-résidents ont été très faibles au S1 2025, mais après un S2 2024 particulièrement fort, puis ils ont fortement rebondi pendant l’été 2025. La plupart des devises se sont appréciées contre le dollar US depuis le 2 avril, corrigeant complètement ou partiellement le mouvement de dépréciation qui avait suivi l’élection de Donald Trump. Les CDS spreads ont connu le même mouvement de tension puis de détente. Enfin, pour la plupart des pays, les rendements des obligations souveraines en monnaie locale ont continué de se réduire depuis avril, aidés par l’assouplissement des politiques monétaires.

Une grande majorité de banques centrales ont en effet abaissé leurs taux directeurs depuis début 2025. L’inflation des prix à la consommation a ralenti, aidée par la faible hausse des prix alimentaires (en particulier en Asie), la baisse des cours mondiaux de l’énergie, l’appréciation de la plupart des monnaies émergentes contre le dollar US, ainsi que par la modération récente de la progression des salaires nominaux. Selon nos prévisions, l’inflation IPC moyenne dans les pays émergents devrait atteindre 4,5% en 2025, contre 8,3% en 2024. La désinflation a permis aux ménages de gagner en pouvoir d’achat, et l’assouplissement monétaire a alimenté une accélération du crédit, en particulier en Europe centrale et en Amérique latine[5]. La désinflation et l’assouplissement monétaire ont donc généralement soutenu la demande intérieure dans les pays émergents. La Chine est une exception notable ; la consommation des ménages et l’investissement privé y restent déprimés (en raison, notamment, de la crise immobilière, des incertitudes pesant sur les perspectives d’exportation et d’un niveau de confiance qui reste faible), et la croissance des crédits continue de ralentir.

En 2026, l’assouplissement monétaire va se poursuivre

Il devrait même s’étendre à plus de pays avec, par exemple, le Brésil et la Hongrie entamant un cycle d’assouplissement. Cependant, l’ampleur moyenne des baisses de taux directeurs devrait être moindre qu’en 2025. D’une part, sur l’ensemble des pays émergents, l’inflation IPC moyenne s’approche de niveaux historiquement faibles (elle est attendue à 3,9% en 2026). De plus, le rythme de désinflation restera inégal. Il sera modéré en Amérique latine et en Europe centrale ; en Asie, l’inflation est déjà très faible et pourrait remonter dans certains pays tels que l’Inde. En Chine, les pressions déflationnistes pourraient s’atténuer.

D’autre part, si les risques liés aux conditions financières internationales demeurent limités à court terme, les flux de capitaux pourraient devenir plus volatiles et les épisodes de pression à la baisse sur les monnaies émergentes se multiplier – en raison, par exemple, d’une incertitude politique accrue à l’approche d’échéances électorales en 2026 ou de l’aggravation des fragilités des finances publiques. Sur ces deux points, les pays d’Amérique latine, à l’instar de la Colombie et du Brésil, apparaissent particulièrement vulnérables.

Inflation

Les politiques budgétaires seront plus contraintes

Dans la grande majorité des économies émergentes, comme dans la plupart des économies avancées[6], le déficit budgétaire et la dette publique sont nettement plus élevés qu'avant la crise du Covid, et les politiques budgétaires sont donc contraintes par la nécessité de freiner la hausse des ratios d’endettement.

Les marges de manœuvre pourraient se réduire davantage dans les prochaines années en raison de l’évolution attendue de l’écart entre le taux d’intérêt effectif sur la dette publique et le taux de croissance économique. Alors que cet écart était généralement négatif sur la période 2021-2025, il devrait se resserrer, voire devenir positif, sur la période 2026-2030 (selon les projections du FMI dans le Fiscal Monitor d’octobre 2025). Cette évolution, défavorable à la dynamique de dette publique, rend plus nécessaire encore l’amélioration des soldes budgétaires primaires.

Des stratégies très diverses

Face au double impératif d’ajustement des comptes publics et de soutien à la croissance dans un contexte externe incertain, les gouvernements adoptent des stratégies très diverses[7]. Dans les pays dont les finances publiques sont particulièrement dégradées, la rigueur s’impose et continuera de peser sur la croissance en 2026. C’est le cas, par exemple, de la Roumanie, du Mexique, de l’Argentine et de l’Égypte. L’Argentine et l’Égypte, qui bénéficient de plans de soutien du FMI, sont engagées dans un processus de réduction continue des déséquilibres budgétaires.

Le gouvernement de la Colombie n’a pas non plus de marge de manœuvre, mais il a suspendu la règle de discipline budgétaire pour trois ans afin de retarder les mesures d’ajustement et de laisser filer le déficit en 2025 et 2026. Au Brésil et en Inde, les marges de manœuvre sont contraintes par les fragilités structurelles des finances publiques (métriques dégradées, rigidité des dépenses et méfiance des créanciers privés). Pourtant, le gouvernement indien donne la priorité au soutien à la croissance et vient d’abaisser les taux de TVA. Le gouvernement brésilien devrait rester prudent, mais il pourrait utiliser des leviers extra-budgétaires pour stimuler la demande intérieure (par exemple avec des crédits des banques publiques). Il s’agit de stratégies risquées : si les mesures de soutien dégradent les anticipations d’inflation et le sentiment des investisseurs, l’effet favorable sur la croissance peut être réduit par des pressions baissières sur les monnaies qui contraindraient la politique monétaire. Le risque est avéré en Colombie, où la Banque centrale n’a pas modifié son taux directeur depuis mai dernier, et pourrait devoir durcir sa politique monétaire dès le S1 2026.

Pays émergents : solde budgétaire et dette des administrations publiques

En Europe centrale, la marge de manœuvre budgétaire est généralement limitée, la majorité des pays faisant l’objet d’une procédure pour déficit excessif par l’Union européenne. En Pologne, toutefois, la consolidation des comptes publics restera lente, freinée par les pressions politiques internes et la nécessité de compenser les effets d’un environnement externe difficile. À court terme, l’orientation de la politique budgétaire demeurera accommodante avec, notamment, une hausse continue des dépenses sociales et de défense.

En Chine, les finances publiques se sont dégradées au cours des dernières années, en particulier à cause de la forte hausse de la dette des collectivités locales et de leurs véhicules de financement. Toutefois, la dette du gouvernement et des collectivités reste financée sans difficultés sur les marchés domestiques, et les autorités ont pris des mesures pour alléger les contraintes de liquidité des véhicules de financement à court terme. Ceci permet aux collectivités de poursuivre une politique budgétaire modérément expansionniste. Ces mesures sont nécessaires à court terme mais n’améliorent pas la trajectoire de la dette publique, qui devrait continuer d’augmenter sensiblement dans les prochaines années.

****

La croissance des économies émergentes devrait donc ralentir modérément en 2026 : les conditions financières devraient rester globalement accommodantes mais les flux de capitaux devenir plus volatiles, tandis que les effets des barrières douanières américaines vont se diffuser plus largement et que le soutien budgétaire sera de plus en plus contraint par le poids de l’endettement public. Selon nos prévisions, la croissance économique moyenne des pays émergents passerait tout juste sous la barre des 4% en 2026, pour la première fois de la période post-Covid.


[1] Chine, Hong Kong, Taiwan, Corée du sud, Inde, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Mexique, Pérou, Bulgarie, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Russie, Slovaquie, Turquie, Israël, Maroc, Égypte, Afrique du sud.

[2] Voir EcoPerspectives-Economies Avancées, T3 2025 : « Focus – Commerce international : tout ne tourne pas autour des États-Unis ».

[3] Voir EcoPerspectives-Economies Emergentes, T4 2025 : « Chine – Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré ».

[4] Voir Graphique de la semaine, 29 octobre 2025 : « Europe centrale : les exportations du secteur automobile résistent ».

[5] Voir EcoWeek, 15 septembre 2025 : « Edito – Le crédit domestique en soutien à la croissance des pays émergents ».

[6] Voir EcoCharts – Finances Publiques, 18 novembre 2025.

[7] Voir EcoPerspectives – Économies Emergentes, T4 2025.

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