L’économie argentine retrouve des couleurs. Depuis la mi-2024, la croissance du PIB est de retour et l’inflation a sensiblement ralenti. Le coût social des coupes sévères dans les dépenses publiques est élevé mais le budget de l’État est excédentaire pour la première fois depuis 2010. L’impact récessif initial de l’austérité budgétaire a permis également aux comptes extérieurs de revenir dans le vert. Les exportations ont été aussi très dynamiques malgré la faiblesse des prix des matières premières agricoles. Pour l’instant, les réserves de change de la banque centrale restent insuffisantes pour lever le contrôle des changes avant les élections de mi-mandat (octobre) ; le renouvellement d’un accord avec le FMI est déjà un prérequis. La reprise économique devrait se confirmer en 2025, d’autant plus que le changement de gouvernement aux États-Unis pourrait avoir des effets positifs pour l’Argentine.
Indicateurs économiques de l'Argentine
Croissance : la fin de la récession
ARGENTINE : INDICATEURS D’ACTIVITÉLe PIB réel de l’Argentine a fortement rebondi au T3 2024 (+3,9% t /t) après trois trimestres consécutifs de baisse. Toutes les composantes de la demande privée ont contribué positivement au redressement de l’activité, y compris les échanges extérieurs nets grâce à une progression plus forte des exportations que des importations. Par secteur, le rebond a été particulièrement marqué dans la construction (+11%) et la production industrielle (+3,4%) mais il ne corrige que très partiellement la chute enregistrée fin 2023-début 2024 (cf. graphique 1). Mesurée sur un an, l’évolution du PIB est encore négative (-2%) et ce dernier reste inférieur de près de 5% à son précédent point haut du T4 2018.
Sur les derniers mois de l’année 2024, l’évolution de la production industrielle et celle des exportations de biens manufacturés, agricoles et industriels en dollars (75% du total des exportations) confirment la reprise de la croissance. Seule l’activité dans la construction s’est de nouveau contractée mais cela ne reflète pas une tendance car, même désaisonnalisée, la série est très volatile. La confiance des ménages, qui avait fortement chuté au premier semestre, a retrouvé son niveau de fin 2024, revigorée par les progrès de la désinflation (cf. infra). Entre janvier et octobre 2024, les salaires se sont effectivement redressés. Cependant, sur un an, leur évolution restait négative, surtout dans le secteur public (-18% contre -2,5% pour les salariés déclarés du secteur privé). Dans le même temps, les pertes d’emplois s’étant accentuées et, en termes réels, les prestations sociales ayant été coupées, le rebond de la consommation des ménages a reposé largement sur la baisse du taux d’épargne.
Pour 2025, un retour à la croissance en année pleine repose i/ sur une poursuite de la désinflation, qui permettrait au revenu disponible des ménages de se redresser et constituerait une base plus solide pour la consommation, et sur ii/ un rebond de l’investissement grâce à la dérèglementation et au programme d’incitation fiscale (programme RINGI). En revanche, la contribution positive des échanges extérieurs pourrait se réduire, voire s’inverser, en raison de la très forte appréciation du taux de change réel. De plus, les prix des principales matières premières agricoles exportées (soja, mais, blé) ne sont pas porteurs.[1]
Inflation : premier succès de la stratégie d’ancrage
L’inflation a sensiblement ralenti au cours des derniers mois. Elle est passée de 4,2% par mois en moyenne entre mai et août à 2,8% entre septembre à décembre. La désinflation s’explique principalement par une appréciation du taux de change réel, conséquence de la fixation d’un taux de dépréciation nominale du peso contre dollar de 2% par mois et de la réduction de l’écart entre le principal taux de change parallèle utilisé pour les instruments de marché (Blue chip swap rate) et le taux de change officiel (écart ramené à 30% en moyenne en 2024 [17% à la mi-janvier 2025] contre plus de 200% avant la dévaluation). La désinflation s’explique aussi par le ralentissement de la croissance de la masse monétaire depuis juillet 2024. Cette stratégie d’ancrage des anticipations sur le taux de change réel et de contrôle de la base monétaire a été facilitée par la baisse des salaires réels et la rigueur budgétaire extrême imposée par le gouvernement de Javier Milei.
Finances publiques : cure d’austérité
L’ajustement budgétaire a été spectaculaire en 2024. Le budget de l’État central a ainsi dégagé un surplus de 0,3% du PIB pour la première fois depuis 2010. L’excédent du solde primaire a atteint 1,9% du PIB contre un déficit de 2,7% en 2023. L’essentiel de ce redressement spectaculaire provient d’une coupe drastique dans les dépenses de 4,5 points de PIB. Les prestations sociales et les transferts courants ont diminué à eux seuls de 2,6 points de PIB. Le coût social est élevé avec un taux officiel de pauvreté qui a atteint un record à 52,9% en juin 2024. Grâce à la désinflation, il serait revenu en dessous de 40% au cours du deuxième semestre[2]. Toutefois, d’après les calculs de l’Observatoire de la dette sociale de l’université catholique UCA, le taux de pauvreté a, au contraire, augmenté au cours de l’année 2024 et dépasse toujours 40% en raison de la hausse des prix des services (électricité, eau, gaz et transports) et de la réduction des prestations sociales de base.
Les recettes en pourcentage du PIB sont restées à peu près stables entre la fin 2023 et la fin 2024 grâce notamment à la progression en termes réels des taxes sur les échanges extérieurs. Enfin, la charge nette d’intérêts est également restée stable à 1,6% du PIB.
Pour 2025, l’objectif du gouvernement est de maintenir à l’équilibre son budget, et donc de dégager à nouveau un excédent primaire d’au moins 1,5% du PIB. Or, la suppression de l’ Impuesto Pais sur les importations et les dépenses touristiques des Argentins devrait faire perdre 1% de PIB de recettes. De nouvelles coupes dans les dépenses seront donc nécessaires.
Le ratio de dette publique en pourcentage du PIB reste encore très élevé, à 94% du PIB. L’ampleur des évolutions entre fin 2022 et fin 2024 (cf. tableau de prévisions) reflète quasi-uniquement celle du taux de change réel (+190% contre dollar en 2024 après -40% en 2023). La dette en devises demeurant majoritaire dans la dette totale (56% fin 2024), le ratio devrait continuer de baisser fortement dans les deux années à venir si les autorités monétaires maintenaient un taux cible de dépréciation nominale du taux de change sensiblement inférieur au taux d’inflation, et que la convergence entre le taux parallèle et le taux effectif se poursuivait ou du moins ne s’inversait pas. Ces deux dernières conditions présupposent de maintenir la crédibilité budgétaire et de renforcer la liquidité et la solvabilité extérieures, et donc l’amélioration durable du compte courant.
Comptes extérieurs : des réserves de change encore insuffisantes malgré l’excédent de récession
Le solde du compte courant est redevenu excédentaire en 2024 (+USD 5 mds au T1-T3 2024). Il s’agit principalement d’un excédent de récession consécutif au durcissement extrême de la politique budgétaire ; les importations hors produits pétroliers se sont contractées de 14% et la balance énergie a dégagé un excédent significatif de USD 4 mds. Mais l’excédent s’explique également par des exportations très dynamiques au regard de la croissance poussive du commerce mondial (3,4%). Les exportations de produits manufacturés agricoles et industriels ont progressé de +16%, ce qui compense largement la baisse des exportations de produits agricoles bruts. En octobre et novembre, le solde commercial (source douanière) est resté nettement excédentaire (USD 1,6 md en cumul).
Entre le T1 et le T3 2024, les entrées nettes d’investissements directs (USD8,9mds) ont largement compensé les sorties nettes d’investissements de portefeuille (USD-5,1 mds). Les flux nets de capitaux des résidents argentins (non compris dans les IDE et les IP) ont été insignifiants après les sorties nettes massives de 2023 (USD 15,3 mds).
Pour autant, les réserves de change n’ont augmenté que de USD 6 mds entre fin 2023 et fin 2024 en raison notamment du remboursement de la dette publique extérieure (USD 5,7 mds). L’amnistie fiscale sur les dollars détenus « sous le matelas » ou en dépôts à l’étranger a permis de rapatrier jusqu’à USD 15mds, mais ils sont restés sous forme de dépôts dans les banques locales. Fin janvier, les réserves officielles de change n’étaient que de 30 mds.
En 2025, l’amortissement de la dette extérieure publique va pratiquement doubler (USD 11,1 mds) malgré l’absence de remboursement au FMI. L’excédent budgétaire en 2024 a permis au Trésor de reconstituer ses réserves en devise, achetées auprès de la Banque centrale, lui permettant de couvrir les échéances d’obligations internationales de janvier et juillet 2025 (USD 5,8 mds d’amortissement, USD 3,1 mds d’intérêts).
Politique monétaire et de change : vers une levée du contrôle des changes après les élections de mi-mandat
La Banque centrale a procédé à seulement deux baisses modérées de son taux directeur depuis la fin avril 2024 pour le ramener à 32% depuis début décembre. La BCRA avait été contrainte de le relever très fortement lors de la dévaluation de la fin 2023 pour ensuite l’abaisser par paliers rapprochés, une fois passée la période de stress entre la fin 2023 et le début 2024. Le niveau du taux directeur est en ligne avec les anticipations d’inflation (26% d’après l’enquête de décembre de la BCRA).
La politique de change consiste à monitorer étroitement le taux de change nominal pour consolider la convergence des différents taux avant de procéder à la levée du contrôle des changes. La BCRA a abaissé le taux de dépréciation du taux de change officiel à 1% par mois pour 2025. En revanche, la levée du contrôle des changes est peu probable avant les élections de mi-mandat en octobre, l’équipe gouvernementale estimant qu’entre USD 11 mds et USD 20 mds sont nécessaires pour assurer sa réussite. Cela suppose le renouvellement de l’accord du FMI (qui est acquis mais avec a priori très peu de financements supplémentaires) et un retour durable des investissements privés.
Trump 2.0 : une aubaine ?
Les conséquences du changement de gouvernement aux États-Unis pourraient être positives pour l’Argentine. La menace d’une hausse de 10% ou 20% des tarifs douaniers ne concerneraient que 8% des exportations du pays. De plus, la balance commerciale vis-à-vis des États-Unis est d’ordinaire déficitaire (l’excédent en 2024 était exceptionnel mais de seulement USD 229 mios). En outre, les autorités monétaires argentines ne peuvent pas être suspectées de manipuler le taux de change pour doper leur compétitivité, bien au contraire. Javier Milei et Donald Trump entretiennent des relations très cordiales. Il est même possible que le dirigeant argentin cherche à négocier un accord de libre-échange bilatéral, quitte à sortir du Mercosur qu’il a qualifié de « prison protectionniste » par le passé. Les États-Unis sont les premiers détenteurs d’investissements directs en Argentine, or l’orientation très libérale de la politique économique du gouvernement Milei devrait attirer les investisseurs américains.
Achevé de rédiger le 24 janvier 2025