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Mexique : Économie sous contraintes

06/02/2025
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L’économie mexicaine ralentit et les perspectives ne sont pas favorables à court terme. Les réformes constitutionnelles adoptées au cours des derniers mois (dont celle du système judiciaire) pèsent sur le cadre institutionnel et pénalisent l’investissement. De plus, la consommation pourrait pâtir du plan de consolidation budgétaire annoncé par le gouvernement. Surtout, le Mexique est l’un des pays les plus vulnérables au changement de politique économique américaine. Les nouvelles mesures migratoires pourraient faire diminuer significativement les transferts d’argent des travailleurs étrangers, soutien important de la croissance du pays. L’application probable de tarifs douaniers aurait également de lourdes conséquences sur l’économie mexicaine en matière de croissance et d’inflation.

Indicateurs économiques du Mexique

Ralentissement de la croissance

L’activité a ralenti au cours des derniers mois (l’indice PMI est ressorti inférieur à 50 tout au long du deuxième semestre 2024) et les perspectives restent dégradées à court terme.

L’incertitude politique, aux États-Unis comme au Mexique, pèsera sur les dépenses d’investissement et la consommation privée. Si le renforcement des mesures anti-immigration promis par la nouvelle administration américaine était appliqué, entraînant un retour massif au Mexique de citoyens travaillant sur le sol américain, les transferts des travailleurs étrangers, soutien important de la consommation privée, seraient durablement affectés.

Ceux-ci ont progressé continument au cours des cinq dernières années et sont estimés à près de 3% du PIB en 2024. Une baisse de 30% de ces transferts diminuerait la croissance du PIB de près de 0,75 point de pourcentage. La consolidation budgétaire promise par le gouvernement devrait également peser sur les dépenses publiques.

Enfin, les exportations seront affectées par les décisions politiques de la nouvelle administration américaine. Au total, la croissance du PIB ne devrait progresser que de 0, 5% en 2025 et restera largement inférieure à son potentiel (estimé à 1,8% par le FMI) en 2026.

Pressions inflationnistes persistantes

MEXIQUE : PRESSIONS INFLATIONNISTES PERSISTANTES

Le taux d’inflation a diminué continument au cours du deuxième semestre 2024, pour atteindre 4,2% en décembre. Les pressions inflationnistes restent cependant tangibles : les salaires ont augmenté de près de 10% en 2024, à la suite des hausses successives du salaire minimum (+135% en termes réels depuis le début de la présidence d’AMLO en 2018), et l’augmentation des prix à la production reste supérieure à 5%.

Les tensions inflationnistes seront entretenues par la hausse des salaires au cours des prochains mois : la nouvelle présidente, Claudia Sheinbaum, a repris à son compte les mesures de la « quatrième transformation » et prévoit plusieurs augmentations du salaire minimum lors de son mandat. L’objectif est d’atteindre, d’ici 2030, un salaire minimum équivalant à 2,5 fois le panier de biens essentiels (contre 1,8 aujourd’hui). Dans ce cadre, le salaire minimum a été de nouveau relevé, de 12%, au 1er janvier 2025 dans les zones franches de la frontière nord.

D’après les dernières estimations de la Banque centrale du Mexique, la cible d’inflation (3%) ne serait atteinte qu’au T3 2026.

La Banque centrale a baissé son principal taux d’intérêt à cinq reprises en 2024, pour atteindre 10% en décembre. Dans son communiqué, elle a indiqué que la baisse pourrait se poursuivre au cours des prochains mois si la désinflation se poursuivait. Cependant, plusieurs membres ont insisté sur le risque que représente la nouvelle politique économique américaine qui pourrait contraindre la politique monétaire mexicaine. Les effets sur l’inflation sont difficilement quantifiables pour le moment : d’une part l’application de tarifs douaniers affaiblirait le peso, ce qui augmenterait le prix des importations, les prix à la production et finalement l’inflation (effet renforcé par la probable hausse de l’inflation aux États-Unis, qui serait répercutée dans les chaines de valeur). Mais d’autre part, l’effet recessif sur la croissance pourrait au contraire accélérer le processus de désinflation.

Dégradation des finances publiques

MEXIQUE : LA DÉGRADATION DU SOLDE PUBLIC S’ACCÉLÈRE

Le déficit public s’est creusé significativement au cours des cinq dernières années jusqu’à atteindre 5,1% du PIB en 2024 (-2,7% du PIB en 2020). Conformément à ses engagements de campagne, la présidente Sheinbaum a annoncé une politique de consolidation budgétaire : le budget adopté par le Parlement vise une réduction du déficit public à 3,5% du PIB en 2025. Celle-ci devrait cependant prendre plus de temps. D’une part, parce que les hypothèses de croissance retenues dans le budget paraissent trop optimistes (autour de 2,5% du PIB), et, d’autre part - et surtout - en raison de la rigidité des dépenses publiques et du nécessaire soutien financier de PEMEX, la compagnie nationale pétrolière. L’inscription de l’accès aux transferts sociaux dans la constitution, mesure adoptée par le Sénat à la fin du mois d’octobre dernier, accroît encore ces rigidités. Même si les détails de cette réforme ne sont pas encore connus, notamment les moyens d’application, la capacité d’ajustement des dépenses sera d’autant plus réduite pour le gouvernement dans les années à venir. En outre, les intentions de la présidente quant à l’adoption d’une réforme fiscale de grande ampleur (qui permettrait de rationnaliser les dépenses et améliorer la collecte) restent vagues.

Les paiements d’intérêts ont progressé au cours des dernières années et devraient atteindre 15% des revenus du pays en 2025 (contre 12% en 2018), reflétant la hausse prolongée des taux auxquels le gouvernement a pu se financer. Le risque de refinancement et de marché est faible à court terme pour l’État (les maturités sont longues, l’exposition en devises reste limitée) mais ce dernier reste vulnérable à un retournement de la confiance des investisseurs (30% de la dette publique libellée en peso est détenue par des investisseurs étrangers).

Le risque politique pèse lourdement sur les prévisions

Premier partenaire commercial des États-Unis (15% des importations) devant la Chine (13%), le Mexique figure parmi les pays les plus vulnérables au changement de politique économique américaine.

Conformément à ses promesses de campagne, D. Trump a annoncé dès son arrivée au pouvoir, le 20 janvier dernier, plusieurs mesures concernant le Mexique. Plus que l’ampleur du déficit commercial (estimé à près de USD 170 mds pour 2024), D. Trump se dit alarmé par le flux d’immigrants illégaux et le trafic de drogues en provenance du Mexique sur le sol américain. L’état d’urgence nationale a été déclaré à la frontière et les cartels de drogue seront désormais classés comme organisations terroristes et les demandeurs d’asile devront rester au Mexique en attendant l’examen de leur dossier (et non plus sur le sol américain).

Surtout, une hausse des tarifs douaniers de 25% pourrait concerner l’ensemble des importations en provenance du Mexique dès le 1er Mars. Une augmentation serait également appliquée aux produits canadiens (25% également) et chinois (10%).

Cette annonce peut être vue comme une volonté d’ouvrir dès à présent les négociations relatives à la révision du traité commercial USMCA liant les trois pays (États-Unis, Canada et Mexique), qui auraient dû débuter au dernier trimestre 2025. Il est également probable que D. Trump souhaite, non pas une révision, mais une renégociation du traité, comme cela avait déjà été le cas lors de son premier mandat (la signature de l’USMCA en 2020 avait débuté par la révision du NAFTA en 2017).

Du côté mexicain, les intentions sont claires. Depuis la signature de l’USMCA en 2020, le Mexique a lui aussi progressivement imposé des droits de douane sur certains produits en provenance d’Asie. Dans le même temps, plusieurs mesures visant à réguler le flux de travailleurs illégaux vers les États-Unis et le trafic de drogue ont été instaurées, mais les effets sont plus difficiles à quantifier. Enfin, quelques jours avant le 20 janvier, la présidente Sheinbaum a présenté un plan nommé « Plan Mexico » destiné à rassurer l’administration américaine en annonçant des mesures visant à limiter la présence chinoise, notamment dans le secteur automobile, à toutes les étapes de production. Les détails ne sont pas encore connus mais la présidente a parlé dans son discours de « substitution des importations », de besoin « d’augmenter les investissements directs étrangers permettant de créer de la valeur ajoutée » et de « montée en gamme ». L’intention est d’augmenter significativement la part de la valeur ajoutée mexicaine, qui reste faible, dans les exportations. Le plan vise également la concrétisation des opportunités de nearshoring pour le moment peu visibles. Un alignement des tarifs douaniers vis-à-vis de la Chine a également été suggeré.

Malgré ces annonces, les marges de négociation mexicaines sont réduites et d’importants progrès restent à réaliser. Aucune des difficultés structurelles de l’économie mexicaine n’a été mentionnée dans le plan (faible productivité, manque d’infrastructure, faible niveau de la dépense publique en R&D notamment). De plus, l’ensemble des politiques économiques initiées lors du précédent mandat (et reprises par l’administration actuelle), à l’image de la réforme du secteur de l’énergie (présence renforcée de l’État, manque de transparence, limitation des investisseurs privés, notamment étrangers), semble aller à l’encontre des engagements demandés par D. Trump. Les réformes constitutionnelles engagées l’année dernière (notamment celle du système judiciaire, qui affaiblit le cadre institutionnel) ont davantage diminué l’attractivité du pays pour les investisseurs. Surtout, ces réformes ne sont pas conformes aux critères d’adhésion à l’USMCA.

Cela dit, bien que les négociations s’annoncent musclées, notre scénario central reste celui de la conclusion d’un accord et d’un renouvellement du traité USMCA. Le Mexique apparaît comme le pays le plus vulnérable, mais l’imposition de tarifs douaniers aurait en fait des conséquences macroéconomiques potentiellement très fortes pour tous les pays impliqués.

L’intégration des économies américaine et mexicaine s’est considérablement renforcée au cours des dernières années, et plus particulièrement depuis le premier mandat de D. Trump. Les exportations mexicaines à destination des États-Unis représentent à présent près de 85% du total des exportations du pays (soit près de 30% du PIB). Elle se sont diversifiées et occupent une part croissante des chaînes de valeur connectées aux États-Unis. Dans le secteur automobile, par exemple, les biens intermédiaires passent plusieurs fois la frontière entre les États-Unis et le Mexique avant l’assemblage final, de telle sorte que l’imposition de tarifs douaniers élevés à chaque étape de la fabrication serait extrêmement coûteux pour les deux pays.

Achevé de rédiger le 27 janvier 2025

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