Après un 1er semestre robuste, la croissance espagnole devrait rester supérieure à celle de ses voisins européens en 2025 et 2026. La demande intérieure demeurerait le principal moteur, essentiellement soutenue par les créations d’emplois, tandis que la contribution du commerce extérieur deviendrait légèrement négative. Le déficit budgétaire et le ratio de dette sur PIB devraient toujours bénéficier d’une croissance nominale significative, qui devrait néanmoins ralentir progressivement. La faiblesse de la productivité pourrait toutefois freiner la croissance potentielle à plus long terme, en particulier lorsque la main d’œuvre disponible commencera à se raréfier.
Activité économique : la demande intérieure, principal moteur de la croissance CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE) La croissance espagnole s’est établie à +0,7% t/t en moyenne au 1er semestre 2025, principalement portée par la consommation privée et le rebond de l’investissement en machines et équipement. Elle devrait rester solide au 2e semestre (+0,6% en moyenne) et porter la moyenne annuelle à +2,7% en 2025.
L’année prochaine, l’activité devrait légèrement ralentir avec une croissance du PIB à +2,3%. La contribution du commerce extérieur deviendrait négative : d’un côté, l’incertitude géopolitique et commerciale, induite par la hausse des droits de douane américains et ses impacts sur les principaux partenaires commerciaux européens de l’Espagne, devrait pousser les exportations à la baisse (plus de détails plus bas ) ; de l’autre, les importations seront davantage stimulées par la forte croissance de la demande intérieure.
La consommation des ménages devrait rester le principal moteur de la croissance : le volume des ventes au détail continue de progresser solidement (+1,9% t/t au T2), la confiance des ménages est élevée en comparaison historique (47,8 contre 42,3 en moyenne sur 2015-2019 selon l’enquête Ipsos) et le taux d’épargne diminue progressivement (12,8% du revenu disponible au T1 2025, contre 14% au T1 2024). L’investissement devrait de son côté poursuivre son rebond. Bien que sa reprise ait été particulièrement lente depuis le Covid, l’investissement en machines et équipements montre dernièrement des signes de redressement. Il a retrouvé depuis le T4 2024 son niveau pré-Covid, soutenu par les aides aux victimes des inondations de la région de Valence et par les investissements associés aux déboursements des fonds du plan de relance et de résilience.
En outre, et à l’instar des autres pays de la zone euro, l’Espagne devrait bénéficier des effets positifs du déploiement du plan d’infrastructure allemand (induisant une augmentation de la demande allemande) et de la hausse des dépenses de défense au cours des deux prochaines années (générant davantage d’opportunités industrielles au niveau européen).
Marché du travail : le renforcement se poursuit En matière de facteurs de production, la croissance espagnole est tirée par la disponibilité de la main d’œuvre, abondante, compétente et bon marché. La forte contribution à la croissance de la consommation des ménages découle ainsi de ce que cette main d’œuvre importante apporte en termes de revenus, qui sont ensuite dépensés. Cette performance du marché du travail se retrouve dans les derniers chiffres : le taux de chômage est redescendu à son plus bas niveau depuis mai 2008 (10,4% en juillet) et l’emploi, mesuré par le nombre d’affiliés à la sécurité sociale, atteint un record historique (21,6 millions en juillet).
De légères tensions persistent toutefois. Selon la Banque d’Espagne, la proportion d’entreprises percevant des problèmes de disponibilité de main d’œuvre a diminué au T2 par rapport au T1 (-3pp) mais reste à un niveau élevé (42,9% contre 30,2% en moyenne au cours du même trimestre des quatre dernières années). Ces problématiques sont particulièrement marquées dans l’agriculture, l’hôtellerie et la construction. Néanmoins, c’est dans les branches liées au tourisme que l’emploi continue de croître le plus (services à +2,4% a/a en juillet).
Inflation : Vers une diminution à moyen terme La forte demande touristique joue positivement sur l’activité, mais également sur les prix. La hausse de l’inflation dans les services (+3,6% a/a en juillet, +0,2pp m/m) reflète notamment la répercussion des coûts par les entreprises sur leurs clients, comme le confirme l’enquête PMI services. Ce phénomène, porté par la croissance continue des salaires nominaux (+3,5% a/a en juillet), reste le principal contributeur de l’inflation totale (+2,7% a/a ; +0,4pp m/m et -0,3pp par rapport à juillet 2024). Malgré une croissance des salaires nominaux aujourd’hui supérieure à l’inflation, les salaires réels restent inférieurs d’environ huit points à leur niveau pré-crise inflationniste.
Deux forces s’opposeront durant les prochains trimestres. D’une part, les prix de l’énergie devraient continuer de baisser, ce qui agira comme un frein sur la hausse des prix. D’autre part, la croissance des salaires, toujours forte, et la pénurie de logements accentueront les tensions inflationnistes. La pénurie de logements s’explique par une demande toujours largement supérieure à l’offre : la demande bénéficie de l’amélioration des conditions financières et un déficit de la construction explique la faiblesse de l’offre. Afin d’atténuer ces tensions, le gouvernement a mis en place des mesures visant à encadrer les locations touristiques. Il a également déployé un plan national pour le logement, comprenant notamment une augmentation des investissements publics pour accélérer la construction. Ces tensions devraient toutefois persister et pousser les prix immobiliers et les loyers à la hausse au cours des deux prochains trimestres. Nous anticipons donc une inflation encore relativement élevée en 2025 (+2,6%), avant une diminution à +1,9% en 2026.
Finances publiques : une dynamique favorable des ratios budgétaires Malgré l’absence de budget pour 2025, des mesures approuvées en novembre 2024 ont permis d’augmenter les recettes publiques (introduction d’un impôt sur les revenus des sociétés de 15% minimum pour les multinationales, hausse de la tranche supérieure sur les revenus du capital des particuliers, augmentation des taxes sur le tabac et les cigarettes électroniques).
ESPAGNE : RATIOS BUDGÉTAIRES (EN % DU PIB) Ces mesures, associées au relèvement des cotisations sociales (induit par la croissance du nombre de travailleurs) et à la suppression des réductions de TVA mises en place durant la période inflationniste, devraient permettre au gouvernement de garder une marge de manœuvre significative pour augmenter ses dépenses, notamment dans la défense (de 1,3% du PIB en 2024 à 2,1% dès cette année[1] ). Celles-ci ne devraient toutefois pas empêcher le ratio de dette publique de diminuer comme il l’a déjà fait au cours des dernières années (de 109,5% en 2022 à 101,8% en 2024). En effet, la croissance nominale espagnole devrait rester élevée (5,1% en 2025 et 4,4% en 2026) et supérieure au taux d’intérêt apparent sur la dette (2,6% du PIB puis 2,7%), ce qui permettrait une réduction du ratio de dette publique sur PIB (cf. graphique 2).
Commerce extérieur : entre ralentissement commercial et attractivité renouvelée L’excédent de la balance des biens et des services devrait diminuer au cours des deux prochaines années. D’un côté, l’excédent sur les services devrait se réduire, en raison du net essoufflement de la croissance des recettes touristiques[2] (principale source de l’excédent des services). De l’autre, le déficit sur les biens devrait s’accentuer, les exportations de biens ayant d’ailleurs commencé à ralentir au T2 (EUR 101,3 mds ; -0,4% a/a) en raison des impacts directs et indirects de la hausse des droits de douane américains : les exportations de biens vers les États-Unis ont fortement baissé (-11,7% a/a), tout comme celles à destination de l’UE (principal partenaire commercial de l’Espagne), qui ont ralenti de 1,2%. Ces détériorations ont été compensées par une hausse des exportations hors UE (+1,5%), notamment en direction de la Chine (+4,6%).
Bien que les flux d’investissements directs étrangers (IDE) aient ralenti en Espagne, comme dans la plupart des économies développées en 2024 (-35% a/a), ils n’en restent pas moins importants pour le pays (EUR 31 mds). L’Espagne conserve sa deuxième place en Europe au classement de ceux attirant le plus d’investissements, après la France[3] . Ce flux entrant d’IDE soutient le développement du potentiel productif espagnol et améliore la capacité du pays à exporter.
LA CROISSANCE ESPAGNOLE A ÉTÉ PRINCIPALEMENT PORTÉE PAR LA DYNAMIQUE DÉMOGRAPHIQUE SUR LA PÉRIODE POST-COVID Le manque de productivité reste la principale problématique structurelle L’écart persistant du ratio de PIB par habitant entre l’Espagne et les trois autres grands pays de la zone euro (Allemagne, France et Italie) est principalement dû à la faiblesse de sa productivité[4] . L’économie espagnole repose en effet sur des secteurs à plus faible productivité (comme les services touristiques). Ce handicap s’explique également par la petite taille de ses entreprises, leur difficulté à se développer, et leur faible niveau d’investissement en recherche et développement (en Espagne, les dépenses intérieures brutes consacrées à la R&D atteignaient 1,5% du PIB en 2023 contre 2,2% pour la France). Malgré une croissance du PIB supérieure à la moyenne de la zone euro, ce manque de productivité pourrait devenir plus préjudiciable à moyen/long terme. En outre, le ralentissement potentiel de l’immigration nette et le poids du vieillissement démographique pèseront sur le capital humain, principale force de l’économie espagnole. Selon l’OCDE[5] , si le niveau de productivité reste inchangé, le PIB réel par habitant espagnol n’augmenterait plus que de 1,0% par an d’ici 2040 sous l’effet du vieillissement démographique (contre 1,5% en moyenne entre 2000 et 2024[6] ).
Achevé de rédiger le 29 août 2025