La croissance économique de la Thaïlande est restée solide au T1 2025 mais les risques baissiers sont élevés. La Thaïlande est l’un des pays d’Asie à avoir le plus bénéficié des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine mais les effets du nouveau durcissement de la politique commerciale américaine pourraient être plus douloureux. Ses produits pourraient être davantage taxés que ceux de ses concurrents sur le marché américain alors que l’afflux de biens chinois pourrait augmenter sensiblement. Toutefois, elle pourrait aussi bénéficier de nouveaux investissements d’entreprises étrangères souhaitant poursuivre la diversification de leurs chaînes de production. Elle présente de nombreux atouts par rapport à certains pays voisins.
Croissance modeste fragilisée par les surcapacités de production en Chine Quatre ans après la récession induite par la pandémie de Covid-19, le PIB réel de la Thaïlande a enfin dépassé en 2024 le niveau qui prévalait en 2019. Sa croissance reste cependant inférieure à celle enregistrée entre 2015 et 2019 (3,4%) et les perspectives de croissance pour les trois prochaines années restent modestes. Même en supposant que les tarifs douaniers américains resteraient fortement abaissés par rapport aux niveaux annoncés le 2 avril dernier, les difficultés devraient persister dans l’industrie manufacturière. En outre, la Thaïlande subit une concurrence accrue de produits chinois sur son marché intérieur.
En 2024, l’accélération de la croissance économique, de 2% à 2,5%, a principalement résulté d’une hausse des dépenses du gouvernement alors que la consommation privée et les investissements ont ralenti. En mai, le Conseil national de développement économique et social (NESDC) a révisé ses prévisions de croissance pour 2025 à la baisse (-1pp avec une croissance estimée entre 1,3% et 2,3%) en raison du relèvement des droits de douane américains. La Thaïlande, dont le degré d’ouverture commerciale est élevé (ses exportations de biens constituaient 56,4% de son PIB en 2024), va être affectée non seulement par le ralentissement du commerce mondial mais aussi par la concurrence des produits chinois.
Prévisions économiques de la Thaïlande
Au T1 2025, l’activité économique est restée solide mais les risques baissiers sur la croissance ont fortement augmenté. Le PIB (corrigé des variations saisonnières) a augmenté de 0,7% par rapport au trimestre précédent (+3,1% en g.a.). Les services et l’agriculture ont enregistré une croissance du PIB robuste alors que celle dans le secteur manufacturier est restée faible (+0,6% en g.a.).
La croissance devrait décélérer au cours des prochains trimestres. En avril, les indices de confiance des consommateurs ont baissé pour le quatrième mois consécutif, les crédits bancaires aux ménages comme ceux aux entreprises ont encore diminué, le nombre de touristes a reculé en raison notamment, d’une chute des visiteurs chinois (-29,9%). L’activité dans le secteur du tourisme pourrait rester déprimée au second semestre compte tenu du récent tremblement de terre, de l’incertitude économique mondiale et de la faiblesse persistante de la demande de la part des ménages chinois. Par ailleurs, le rebond de la production industrielle en avril (+2,2% en g.a.) devrait être temporaire. Le risque d’afflux de produits chinois sur le marché intérieur pèse sur les décisions d’investissement.
Thaïlande : décorrélation entre production manufacturière et consommation
En raison des risques pesant sur la croissance, le gouvernement a décidé en mai dernier de réaffecter les derniers fonds destinés au programme de soutien à la consommation des ménages (« portefeuille numérique ») à des projets d’infrastructure et à des prêts aux petites entreprises d’un montant équivalent à 0,8% du PIB. Le niveau relativement élevé de la dette (63,9% du PIB), proche du plafond légal de 70% du PIB, contraint ses marges de manœuvre, mais un relèvement du plafond n’est pas impossible car la profondeur et la liquidité des marchés financiers domestiques lui permettraient de financer de nouvelles dépenses.
Désinflation et politique monétaire Dans ce contexte de ralentissement de la croissance et de baisse des prix (-0,6% en g.a. en mai), la Banque centrale (Bank of Thailand , BOT) a réduit ses taux directeurs de 25pb lors des deux derniers comités de politique monétaire (février et avril). Elle a abaissé le taux repo à 1,75% et d’autres baisses de taux sont à attendre d’ici la fin de l’année pour soutenir la croissance et réduire l’endettement et la charge de la dette des ménages.
La décélération de la croissance pourrait aggraver les difficultés des emprunteurs les plus fragiles, des ménages mais aussi des petites et moyennes entreprises, qui ont déjà enregistré une hausse des créances douteuses depuis un an. La hausse des risques de crédit ne constitue pas à ce stade un risque pour le secteur bancaire dont les capitaux propres (le ratio de solvabilité s’élevait à 20,7% au T1 2025) et les provisions (177,1% des créances douteuses) sont confortables. En matière de politique de change, la BoT devrait poursuivre sa politique de flottement administré afin d’atténuer toute volatilité excessive du baht, les risques étant orientés à la baisse.
Tarifs douaniers : risques et opportunités La Thaïlande est l’un des pays d’Asie les plus vulnérables au durcissement commercial américain. Le pays pourrait faire face à une baisse de ses exportations vers les États-Unis (si ses droits de douane étaient effectivement relevés) mais aussi à une hausse de ses importations de biens chinois.
Au sein de l’ASEAN, la Thaïlande est le pays qui a le plus bénéficié des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine depuis 2018, après le Vietnam. Ses parts de marché sur les biens importés par les États-Unis ont augmenté de 0,7pp entre 2017 et 2024 pour atteindre 1,9% des importations américaines (contre +2,2pp pour les biens vietnamiens). Les États-Unis sont devenus son premier partenaire commercial (18,3% de ses exportations totales, soit 10,4% du PIB en 2024), devant la Chine (11,7% de ses exportations).
Toutes choses égales par ailleurs, une hausse des droits de douane américains à 25,1% (le taux effectif qui entrerait en vigueur le 9 juillet si aucun accord n’était conclu avec les États-Unis en intégrant les nouveaux tarifs sur l’automobile, l’aluminium et l’acier), contre un droit de douane effectif de seulement 0,68% au 1er avril, pourrait coûter 1,8 point de PIB à l'économie – en supposant une élasticité des exportations aux droits de douane égale à 1 et sachant que la valeur ajoutée thaïlandaise intégrée dans les exportations directes vers les États-Unis est estimée à 69% du total de ses exportations (soit 7,2% du PIB).
Même s’il paraît peu probable que les droits de douane annoncés le 2 avril seront ceux appliqués à partir du mois de juillet, la Thaïlande pourrait être très pénalisée si elle ne parvient pas à négocier des droits de douane inférieurs ou identiques à ceux de ses concurrents. Elle exporte vers les États-Unis des machines et des équipements électriques (31,9% de ses exportations), en particulier des téléphones, des semi-conducteurs et des transformateurs électriques. Pour ces produits, elle est en concurrence avec les autres pays de l’ASEAN (en particulier le Vietnam et, dans une moindre mesure, la Malaisie) mais aussi avec l’Inde et Taïwan. Sur ses exportations de machines et équipements mécaniques (notamment des équipements informatiques), elle est en concurrence avec Taïwan, et avec la Chine sur tous les produits exportés.
Le deuxième risque qui pèse sur l’économie thaïlandaise est le déferlement de produits chinois observé depuis 2017 et qui devrait accélérer sensiblement. Les importations de la Thaïlande en provenance de Chine ont très fortement augmenté depuis 2017 (+81,6%) pour constituer 26,2% de ses importations totales (vs. 19,9% en 2017). Même si la Thaïlande importe principalement des biens intermédiaires, la concurrence chinoise sur les biens finaux (20,3% de ses importations en 2024) pèse lourdement sur son industrie.
Tous les produits sont concernés (cuivre, aluminium, textile, meubles) mais le secteur le plus affecté serait l’automobile. Les importations de véhicules automobiles en provenance de Chine ont été multipliées par 106 entre 2017 et 2024. Dans le même temps, en Thaïlande comme en Indonésie, les productions domestiques de produits textiles et de véhicules à moteur ont sensiblement baissé. Depuis 2022, les évolutions de la consommation privée et de la production manufacturière sont décorrélées. La BOT a montré que la baisse de la production d’équipements électriques, d’automobiles, de métaux et de produits textiles étaient corrélées à l’augmentation du taux de pénétration des produits chinois.
Finalement, le dernier risque porte sur les flux d’investissements directs étrangers (IDE). La Thaïlande est parvenue à accroître ses parts de marché aux États-Unis au cours des dernières années parce qu’elle a bénéficié d’une hausse des IDE (comme le Vietnam mais dans des proportions moindres). Les investissements bruts chinois et américains ont été multipliés par respectivement 1,9 et 2,4, entre 2017 et 2024, pour constituer 20,8% et 10,1% des investissements directs étrangers (bruts).
Thaïlande : flux d'investissements par pays d'origine
Ces dynamiques pourront-elles se poursuivre ? Quels pays d’Asie présentent des conditions favorables à l’implantation d’entreprises étrangères ? Les conditions en Thaïlande seraient-elles suffisantes pour continuer de profiter d’une réorganisation des chaînes de valeurs et compenser les effets sur ses exportations et sa croissance d’un éventuel relèvement des droits de douane américains sur ses produits ?
Pour répondre à ces questions, plusieurs aspects méritent d’être analysés :
1/ les niveaux de salaire et de qualification,
2/ la fiscalité,
3/ le développement du secteur manufacturier,
4/ les performances logistiques.
Même si le Vietnam concurrence la Thaïlande sur les salaires moyens (1,5 fois inférieurs), ses capacités de production et ses infrastructures sont aujourd’hui saturées. En comparaison avec l’Inde et l’Indonésie (dont les salaires sont en moyenne 2,6 et 1,9 fois inférieurs à ceux de la Thaïlande), la Thaïlande a des atouts non négligeables : son niveau d’éducation est globalement supérieur à celui de l’Inde et de l’Indonésie, ses infrastructures sont plus développées (bien qu’elle ait un besoin urgent de moderniser ses infrastructures portuaires), son industrie est beaucoup plus développée et les taux d’utilisation de ses capacités de production sont relativement bas.
Elle offre aussi une fiscalité plus avantageuse que celle de l’Indonésie mais moins favorable que celle de l’Inde. L’Inde a, de fait, mis en place des programmes d’incitation fiscale depuis 2020 pour développer de son industrie, notamment dans certains secteurs (i.e. l’électronique) qui pourraient venir concurrencer les exportations thaïlandaises.
Achevé de rédiger le 13 juin 2025