Podcast - En ECO dans le texte

Économies Émergentes — Croissance solide, marges de manœuvre contraintes

04/12/2025

Aujourd’hui, nous plongeons dans les finances publiques des économies émergentes en 2025, à travers une analyse exclusive de notre dernier numéro EcoPerspectives consacré aux économies émergentes. Entre croissance solide mais ralentie, endettement public croissant et marges de manœuvre budgétaires réduites, quels sont les défis et les leviers pour ces pays ?

Transcription

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode d’En Éco Dans Le Texte, le podcast des Études Économiques de BNP Paribas. Aujourd’hui, nous plongeons dans les finances publiques des économies émergentes en 2025, à travers une analyse exclusive de notre dernier numéro EcoPerspectives consacré aux économies émergentes. Entre croissance solide mais ralentie, endettement public croissant et marges de manœuvre budgétaires réduites, quels sont les défis et les leviers pour ces pays ? C’est ce que nous allons explorer ensemble. Je suis Claire d’Izarny-Gargas, et pour en parler, je reçois :

- Hélène Drouot, spécialiste de l’Amérique latine

- Lucas Plé, qui suit de près l’Afrique subsaharienne

Bonjour et bienvenue à tous les deux !

Commençons par la bonne nouvelle. Hélène, comment se porte la croissance globale des pays émergents ?

Hélène Drouot : Dans l’ensemble, la croissance est restée solide depuis le début de l’année 2025. Pour notre échantillon de 28 pays émergents, le Produit Intérieur Brut (PIB) agrégé a progressé d’un peu plus de 1% en rythme trimestriel au T1 et au T2 2025. Pour l’ensemble de 2025, on s’attend à une croissance moyenne du PIB réel légèrement supérieure à 4% (4,1%) qui reste finalement très proche de la moyenne 2024 (4,2%).

Claire d’Izarny-Gargas : Quels ont été les moteurs de la croissance, dans le contexte actuel de fortes tensions commerciales??

Hélène Drouot : L’assouplissement des conditions financières et surtout le dynamisme des exportations ont été les principaux soutiens à la croissance depuis le début de l’année. Contrairement à ce qui avait été anticipé, le commerce mondial a, au moins sur la première partie de l’année, plutôt bien résisté au choc tarifaire américain. D’abord grâce aux achats anticipés, c’est-à-dire avant l’application effective de la hausse tarifaire. Ensuite, et surtout, grâce à la réorganisation des flux commerciaux.

Claire d’Izarny-Gargas : C’est-à-dire??

Hélène Drouot : Prenons l’exemple de la Chine, un des principaux pays visés par l’augmentation des droits de douanes américains. Malgré le choc tarifaire, Les exportations chinoises ont augmenté de 6% en glissement annuel sur les neuf premiers mois de 2025, en se redéployant vers des marchés tiers, de manière à contourner les droits de douane mais également en diversifiant les partenaires commerciaux, afin de compenser les parts de marché perdues aux Etats-Unis

Par ailleurs, la demande mondiale de produits électroniques, liée au boom des investissements dans l’intelligence artificielle, a fortement soutenu les exportations, particulièrement dans les pays de l’ASEAN. Les semiconducteurs sont exemptés de droits de douane américains pour le moment.

Claire d’Izarny-Gargas : Abordons maintenant la question de la politique monétaire. A quel soutien pouvons-nous nous attendre ?

Hélène Drouot : Dans une très grande majorité de pays, et à l'exception notable du Brésil, le ralentissement progressif de l’inflation a permis aux Banques centrales de baisser leurs taux directeurs depuis le début 2025. L'assouplissement devrait se poursuivre en 2026, et le Brésil et la Hongrie devraient entamer un cycle d'assouplissement. Mais les baisses de taux seront très probablement de moindre ampleur que ce que l'on a observé en 2025. D'abord parce que le rythme de désinflation est inégal. Et ensuite parce que, bien que contenue à court terme, la volatilité des flux de capitaux pourrait s’intensifier, notamment en Inde, en Indonésie ou dans certains pays d’Amérique latine (Pérou, Colombie, Brésil) avant les élections de 2026.

Claire d’Izarny-Gargas : L’assouplissement monétaire va se poursuivre mais ralentir. Lucas, y a-t-il d’autres facteurs qui risquent de freiner la croissance ?


Lucas Plé : Oui tout à fait. En fait, une contrainte importante qui risque de peser sur la croissance dans les prochaines années est d’ordre budgétaire. Pour la plupart des pays, la dette publique et les déficits budgétaires se situent actuellement à des niveaux nettement plus élevés qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise du Covid. Les gouvernements ont besoin de freiner cette hausse du ratio d’endettement, mais ça va devenir de plus en plus difficile dans les prochaines années, selon le FMI, parce que l’écart entre le taux d’intérêt effectif sur la dette et le taux de croissance du PIB va se rapprocher de zéro, voire s’inverser et devenir positif pour certaines économies émergentes.

Claire d’Izarny-Gargas : C’est le fameux "effet boule de neige" qui s'aggrave. Vous dites que pour certains pays, la différence entre taux d’intérêt effectif et croissance nominale deviendrait positif, vous pensez à quels pays en particulier ?

Lucas Plé : Selon le FMI, l'écart entre le coût d'emprunt et la croissance deviendrait positif entre 2026 et 2030 pour le Brésil, le Mexique, l’Afrique du Sud et la Colombie. Mais de manière générale, tous les pays émergents vont être confrontés à des taux d’intérêt plus élevés que sur la décennie passée et ce alors que la croissance potentielle va ralentir pour beaucoup d’entre eux. Pour cette raison, les dettes publiques ne sont pas près de se stabiliser : les projections du FMI montrent que la dette agrégée des pays émergents devrait augmenter de près de 10 points de PIB d’ici à 2030, c’est-à-dire que la dette publique passerait de 74% du PIB actuellement à 84% du PIB à horizon 2030. Parmi les émergents, la dette de la Chine et de la Pologne sont celles qui augmenteront le plus sur la période : la dette publique chinoise (telle que mesurée par le FMI) devrait prendre 20 points de PIB d’ici 2030, et la dette polonaise 18 points de PIB. Alors bien sûr, il y a des exceptions : je pense notamment à l’Argentine et à l’Egypte, qui bénéficient de plans de soutien du FMI et qui devraient connaître une baisse de leur ratio d’endettement sur la période.

Claire d’Izarny-Gargas : Compte tenu de cette détérioration des finances publiques, la question se pose : quels sont les pays qui ont le moins de marge de manœuvre pour soutenir leur économie face à un ralentissement de la croissance ?

Lucas Plé : On a des pays comme le Mexique, l’Argentine, l’Égypte et la Roumanie, pour lesquels les marges de manœuvre sont quasiment inexistantes. Ces pays ont une dette publique qui a augmenté rapidement et qui est désormais élevée. Ils continuent d’enregistrer des déficits budgétaires conséquents qui sont gonflés par une charge d’intérêts sur la dette qui est préoccupante. On a aussi des pays dont les marges de manœuvre sont limitées par des contraintes structurelles, par exemple, en raison de la rigidité des dépenses, notamment au Mexique, au Brésil et en Colombie, ou encore en raison de recettes assez faibles, par exemple en Inde où les recettes publiques stagnent autour de 20% du PIB.

Claire d’Izarny-Gargas : Un mot sur le Brésil, Hélène. La croissance ralentit, mais le gouvernement a-t-il des leviers pour la soutenir ?

Hélène Drouot : La dette publique est déjà élevée au Brésil, à 76% du PIB fin 2024. Comme Lucas l’a dit juste avant, les marges de manœuvre du gouvernement seront fortement contraintes par l’effet boule de neige sur sa dette. Néanmoins, le pays pourrait mobiliser des canaux extra-budgétaires tels que les banques et les entreprises publiques pour soutenir le crédit et l’investissement et ainsi stimuler la demande intérieure. Mais il ne faudrait pas que ces mesures compromettent la détente monétaire attendue par les marchés au début de l’année prochaine.

Claire d’Izarny-Gargas : En conclusion, Lucas, quel est le principal risque à moyen terme pour l'ensemble des économies émergentes ?

Lucas Plé : Eh bien, compte tenu de la hausse des ratios d’endettement public des économies émergentes d’ici 2030, je dirais que le principal risque à surveiller dans les prochaines années serait la hausse de la vulnérabilité des gouvernements aux conditions de financement internationales. Face à cette vulnérabilité accrue, les marges de manœuvre des gouvernements vont demeurer réduites. La charge d’intérêt sur la dette devrait rester élevée et les dépenses des gouvernements vont devenir de plus en plus rigides. Cela va laisser moins de place aux dépenses d’investissement dans les infrastructures et l’innovation, qui seront pourtant nécessaires pour soutenir le potentiel de croissance et in fine contenir la hausse de l’endettement public.

Claire d’Izarny-Gargas : Je vous remercie, Hélène et Lucas, pour ces éclairages très complets. Merci également à nos auditeurs de nous avoir suivis. Nous vous invitons à consulter nos analyses sur le site des Études Économiques de BNP Paribas.

Nous vous recommandons particulièrement notre nouveau numéro d’EcoPerspectives, une publication consacrée aux économies émergentes.

Tous les liens sont en description.

À très bientôt pour un nouveau numéro d’En Eco dans le texte.

Pour en savoir plus consultez notre numéro d'EcoPerspectives :

EcoPerspectives — Économies Émergentes | 4e trimestre 2025 – Etudes Economiques – BNP Paribas

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies Émergentes