Eco Perspectives

Indonésie | Pressions sur les finances publiques et les comptes extérieurs

13/11/2025
PDF

L’Indonésie est moins exposée aux conséquences de la hausse des tarifs douaniers américains que les autres pays de l’ASEAN, mais les risques baissiers sont importants. Pour soutenir la croissance, les autorités ont multiplié les mesures de soutien à l’économie. La Banque centrale a réduit ses taux directeurs, davantage que dans les autres pays asiatiques, et le nouveau ministre des Finances a annoncé un relèvement des dépenses sociales. La dette publique reste contenue mais elle est financée principalement sur les marchés obligataires, en particulier par les investisseurs étrangers qui s’inquiètent d’un dérapage budgétaire sous l’administration Prabowo. Mais bien que ce gouvernement soit moins conservateur que le précédent et que la situation nécessite une plus grande vigilance, les risques de soutenabilité de la dette publique sont contenus.

Croissance robuste mais ralentissement en vue

Sur les neuf premiers mois de l’année, la croissance économique a atteint 5% en g.a. La demande intérieure est restée solide, soutenue par une consommation des ménages robuste et des investissements en machines et équipements en forte hausse. La contribution des exportations nettes à la croissance a été positive. Comme dans les autres pays de l’ASEAN, les exportations de l’Indonésie ont accéléré sensiblement au T2 2025 (par rapport à la même période en 2024) en raison de la hausse anticipée des tarifs douaniers américains. La croissance a rebondi sensiblement dans l’agriculture et l’industrie manufacturière (hors machines et équipements de transport), alors qu’elle a ralenti dans les services.

Prévisions

Mais les risques baissiers sont élevés. Les industries à forte intensité en main-d’œuvre sont menacées par la hausse des droits de douane américains et l’augmentation des importations de biens chinois à bas prix. La consommation des ménages devrait rester robuste, soutenue par les dépenses sociales du gouvernement ainsi que par un taux de chômage stable depuis un an à 4,8%. En revanche, les entreprises pourraient suspendre certains de leurs investissements (comme l’illustre le net ralentissement des importations de biens d’investissement en août) en raison de l’incertitude qui pèse sur l’environnement international.

Bien que toujours supérieure à la croissance de la Thaïlande et de la Malaisie (mais inférieure à celle du Vietnam), la croissance du PIB réel ne devrait guère excéder 5%, un rythme très insuffisant pour répondre aux importants besoins de créations d’emplois, notamment pour les jeunes.

Assouplissement monétaire

La Banque centrale indonésienne a réduit ses taux directeurs de 125 points de base entre janvier et octobre 2025, pour les ramener à 4,75%. Bien que son discours soit toujours accommodant, il est possible qu’elle maintienne ses taux à ce niveau jusqu’à la fin de l’année en raison, d’une part, des pressions à la baisse sur la roupie indonésienne et, d’autre part, du rebond de l’inflation (+2,9% en octobre en g.a. contre 1,7% en moyenne depuis le début de l’année, graphique 1). La hausse des prix reste toutefois dans la cible de 2,5% (±1 pp) fixée par la Banque centrale.

L’assouplissement monétaire ne s’est répercuté que très partiellement sur les taux du crédit. Entre janvier et septembre, ils n’ont baissé que de 56pb en moyenne pour les crédits aux investissements et sont restés presque inchangés pour les crédits à la consommation. La croissance du crédit bancaire a continué de ralentir.

Indonésie : L’inflation reste faible

Comptes extérieurs sous pression

Parmi les pays de l’ASEAN, l’Indonésie est, avec la Malaisie, l’un des pays les plus vulnérables à l’environnement financier international.

Bien que les réserves de change du pays couvrent 1,5 fois ses besoins de financement à court terme, elles sont trop modestes pour aider à contenir la volatilité de la roupie, structurellement élevée. Pour renforcer la position de liquidité extérieure du pays, les autorités obligent, depuis mars 2025, les entreprises exportatrices de matières premières à conserver l’intégralité de leurs recettes en devises dans le pays.

Au S1 2025, les comptes extérieurs se sont détériorés, principalement en raison d’une baisse des entrées nettes de capitaux. Alors que le déficit du compte courant s’est réduit de 0,3 point de PIB à seulement -0,6% du PIB, le compte financier s’est détérioré et a enregistré un déficit de -0,8% du PIB (vs un solde à 0% au S1 2024).

Au T2 2025, les entrées nettes d’investissements directs étrangers (IDE) ont atteint un des niveaux les plus faibles jamais enregistrés (0,7% du PIB vs 1,3% du PIB en moyenne sur les cinq dernières années, cf. graphique 2). À titre de comparaison, ils se sont élevés à 1,5% du PIB en Malaisie et 3,7% du PIB au Vietnam.

Dans le même temps, les sorties nettes d’investissements de portefeuille ont atteint 2,2% du PIB (le niveau le plus élevé depuis la pandémie en 2020). Les pressions baissières sur la roupie (-2,4% contre le dollar entre juillet et octobre) laissent penser que les sorties de capitaux se sont intensifées au troisième trimestre. Les désinvestissements, qui ont majoritairement porté sur les titres souverains (54,3% des ventes), résultent de la baisse des écarts de rendements entre les obligations indonésiennes et américaines (avec les fortes baisses de taux d’intérêt directeurs depuis le début de l’année), des risques de dérapage budgétaire et des craintes quant à l’indépendance de la Banque centrale (avec la réactivation du burden sharing).

Risque de dérapage des finances publiques

En dépit de recettes budgétaires faibles, l’Indonésie est parvenue depuis deux décennies à maintenir sa dette à des niveaux modestes, en plafonnant le déficit budgétaire à 3% du PIB (hors période de pandémie). Mais depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2024, le gouvernement Prabowo a procédé à plusieurs ajustements budgétaires qui ne s’inscrivent pas dans la stratégie conservatrice du gouvernement Widodo et qui ont suscité des inquiétudes quant au risque de dérapage des finances publiques, déjà fragilisées par la pandémie.

Prabowo est notamment revenu sur la décision prise par le précédent gouvernement de relever le taux de TVA sur tous les biens de consommation de 11% à 12%. En janvier 2025, seuls les biens de luxe ont vu leur taux augmenter. La perte de recettes est estimée à 0,3% du PIB. Dans le même temps, la création du fonds souverain Danantara, financé par les dividendes des entreprises publiques, prive le gouvernement de recettes estimées à 0,4% du PIB sur une année complète. Contrairement aux objectifs du gouvernement Widodo, les recettes bugétaires devraient rester parmi les plus faibles d’Asie (avec celles de l’Inde), contraignant fortement les marges de manœuvre du gouvernement.

Sur les huit premiers mois de 2025, les recettes ont baissé de 7,8% en g.a. et devraient atteindre seulement 12,0% du PIB cette année, un niveau très en deçà de celui enregistré au cours des trois dernières années (13,2% du PIB) et inférieur à celui de la Malaisie (16,8% du PIB) et de la Thaïlande (21% du PIB). Même si cette contraction résulte en partie de la baisse des prix des matières premières et des retards de paiement liés à l’adoption du nouveau système numérique, il n’en demeure pas moins que les recettes devraient rester durablement faibles alors que les dépenses continuent d’augmenter. Conformément à son engagement pris pendant sa campagne, le gouvernement de Prabowo a augmenté les dépenses sociales pour soutenir les ménages les plus défavorisés (avec notamment la distribution de paniers alimentaires gratuits). Les dépenses sociales devraient doubler en 2026.

Ainsi, entre janvier et août 2025, le déficit budgétaire a été multiplié par plus de deux par rapport à la même époque l’année dernière. Pour l’année complète, il a été revu à la hausse par le ministère des finances, à 2,8% du PIB (vs. 2,3% du PIB en 2024). Pour 2026, les risques d’un dérapage du déficit au-delà du seuil de 3% du PIB sont en hausse. Un nouveau ministre des finances, Purbaya Yudhi Sadewa, a été nommé en lieu et place de l’ancienne ministre, connue pour son orthodoxie budgétaire. Même s’il a annoncé qu’il contiendrait le déficit à 2,7% du PIB (vs les 2,5% initialement annoncés), cette prévision semble optimiste car elle s’appuie sur une hypothèse de croissance élevée (5,4%). Par ailleurs, même si le budget 2026 prévoit une hausse modeste des dépenses totales, leur structure a changé. Les dépenses non productives (comme les dépenses alimentaires) ont augmenté au détriment des dépenses d’investissement, ce qui va peser sur la croissance à moyen terme.

Sur les huit premiers mois de l’année 2025, le gouvernement s’est financé, comme les années précédentes, presque exclusivement sur les marchés obligataires. Au T2 2025, sa dette a atteint 39,7% du PIB, légèrement en hausse par rapport au T2 2024 et 10,5 points de PIB au-dessus du niveau atteint fin 2019. La dette est non seulement exposée aux chocs de taux de change mais aussi aux mouvements de défiance des investisseurs étrangers. Au T2 2025, 28,3% de la dette totale du gouvernement était libellée en devises et près de 37% était détenue par les investisseurs étrangers (vs 21,3% de la dette du gouvernement en Malaisie, 8,3% en Thaïlande, et 1,4% en Inde). La dette était constituée à 86,6% d’obligations (dont 34,2% en devises et 42,7% détenues par les investisseurs étrangers). La dépendance du pays aux financements extérieurs pèse sur ses marges de manœuvre budgétaire et monétaire.

Le paiement des intérêts sur la dette a par ailleurs augmenté de 0,5 point de PIB entre 2019 et 2024 et cette tendance devrait se poursuivre à court terme. La charge d’intérêts devrait atteindre 2,3% du PIB cette année et absorber 18,4% des revenus du gouvernement (un niveau bien supérieur à celui de la Thaïlande ou de la Malaisie). La réactivation (sous une forme ajustée) du processus de partage des coûts entre le gouvernement et la Banque centrale (burden sharing), initialement mis en place pendant le Covid-19, pourrait donner plus de latitude au gouvernement pour financer ses programmes prioritaires. Cependant, la réactivation de ce mécanisme suscite encore plus d’inquiétudes quant à la volonté du gouvernement de consolider ses finances publiques ; et les investisseurs étrangers pourraient exiger des rendements plus importants.

Cependant, même si la situation mérite une plus grande vigilance que sous la présidence de Widodo, les risques de soutenabilité de la dette restent contenus.

Achevé de rédiger le 03 novembre 2025

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Éditorial | Pays émergents : la croissance résiste mais ne suffit pas à stabiliser l’endettement public

Éditorial | Pays émergents : la croissance résiste mais ne suffit pas à stabiliser l’endettement public

La croissance des économies émergentes reste solide depuis le début de l’année, grâce notamment au dynamisme des exportations et à l’assouplissement des conditions financières [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Pays émergents | Panoramas régionaux

Pays émergents | Panoramas régionaux

Europe centrale : Résilience | Asie : Des exportations toujours dynamiques | Afrique du Nord et Moyen-Orient : Optimisme prudent | Amérique Latine : Peu impactée par le choc tarifaire américain mais des finances publiques fragiles [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Pays émergents | Indicateurs économiques

Pays émergents | Indicateurs économiques

Les indicateurs clés des principaux pays émergents et ceux de leur endettement public et de leur vulnérabilité aux conditions financières extérieures. [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Chine | Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré

Chine | Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré

Après un début d’année solide, la croissance économique chinoise a ralenti progressivement. Grâce à une réorientation rapide, les exportations ont bien résisté au choc tarifaire américain [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Inde | Soutien budgétaire à la croissance

Inde | Soutien budgétaire à la croissance

La croissance économique indienne a surpris à la hausse entre avril et juin 2025 (+7,8% en g.a.). Mais l’activité est moins dynamique qu’il n’y paraît et les risques baissiers sur la croissance sont élevés. La consommation des ménages reste molle [...]

LIRE L'ARTICLE
Turquie
Turquie | Ralentissement sur fond d'instabilité financière

Turquie | Ralentissement sur fond d'instabilité financière

La croissance économique turque marque le pas. Hors restockage, la demande finale s’est contractée au T2 2025, après avoir nettement ralenti au T1. Ce faisant, elle s’est rééquilibrée avec moins de consommation et plus d’investissement [...]

LIRE L'ARTICLE
Pologne
Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

La Pologne devrait faire son entrée, dès 2025, dans le cercle des 20 plus grandes puissances économiques mondiales. Son PIB en valeur dépasserait les 1000 milliards de dollars cette année [...]

LIRE L'ARTICLE
Roumanie
Roumanie | Cure d'austérité budgétaire

Roumanie | Cure d'austérité budgétaire

Les incertitudes électorales ont fortement pesé sur l’activité économique de la Roumanie l’an dernier. En 2025 et 2026, la croissance économique ne devrait s’améliorer que légèrement [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
Brésil | Face au ralentissement : un État contraint mais pas impuissant

Brésil | Face au ralentissement : un État contraint mais pas impuissant

Sous l’effet du resserrement monétaire, la croissance économique du Brésil s’essouffle depuis deux trimestres [...]

LIRE L'ARTICLE
Mexique
Mexique | Marges de manœuvre limitées

Mexique | Marges de manœuvre limitées

La croissance économique mexicaine a bien résisté au premier semestre 2025 [...]

LIRE L'ARTICLE
Argentine
Argentine | Dilemmes

Argentine | Dilemmes

Depuis le printemps, la situation macroéconomique et financière s’est fortement détériorée. La stabilisation pourtant réussie de 2024 a finalement été de courte durée. L’économie devrait avoir formellement basculé en récession au troisième trimestre [...]

LIRE L'ARTICLE
Colombie
Colombie | Dans l’attente des élections

Colombie | Dans l’attente des élections

En Colombie, la croissance économique rebondit après deux années de mauvaises performances, mais plusieurs secteurs d’activité sont encore à la traîne et l’investissement reste faible [...]

LIRE L'ARTICLE
Egypte
Égypte | Perspectives favorables à court terme

Égypte | Perspectives favorables à court terme

La stabilisation progressive de l’économie égyptienne se confirme, portée par le rétablissement de la liquidité en devises, et ce malgré le rythme inégal des réformes [...]

LIRE L'ARTICLE
Maroc
Maroc | Les voyants économiques sont au vert

Maroc | Les voyants économiques sont au vert

L’économie marocaine poursuit sur sa lancée. Peu impactée par le resserrement de la politique douanière américaine, elle enregistre une croissance du PIB soutenue depuis le début de l’année [...]

LIRE L'ARTICLE