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Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

13/11/2025
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La Pologne devrait faire son entrée, dès 2025, dans le cercle des 20 plus grandes puissances économiques mondiales. Son PIB en valeur dépasserait les 1000 milliards de dollars cette année. Le pays pourrait aussi voir son PIB par tête (en volume et en PPA) dépasser celui du Japon, selon les prévisions du FMI. L’économie polonaise continue de surperformer dans la région. En 2025 et 2026, l’investissement et la consommation seront les principaux piliers de la croissance. L’inflation est revenue à la zone cible depuis juillet, procurant ainsi davantage de flexibilité pour la politique monétaire. En revanche, la marge de manœuvre budgétaire est plus limitée, même si la consolidation se fera graduellement.

Croissance solide portée par la demande intérieure

Au premier semestre 2025, la croissance du PIB réel s’est établie à 3,4% en g.a. après 3,0% au S2 2024. Elle a principalement reposé sur la consommation privée et publique ainsi que sur l’ajustement des stocks. La progression de l’investissement a été, en revanche, décevante dans ses composantes « résidentiel » et « construction ». Mais l’investissement en biens d’équipements de transport et en machines a plutôt bien résisté.

La croissance économique restera solide sur l’ensemble de l’année, avec déjà un acquis de 2,8% au T2 2025. La consommation des ménages en sera le pilier principal, en raison des gains de pouvoir d’achat des salaires et du rebond du crédit. Elle pourrait cependant ralentir sous l’effet d’un taux d’épargne qui resterait élevé, reflétant une certaine prudence des ménages. La légère détérioration de leur confiance et la remontée du taux de chômage vont du reste dans ce sens.

Prévisions

La croissance sera, de surcroît, soutenue par l’investissement public, par le biais des fonds européens, dont une large proportion reste à débourser d’ici fin 2026. Sur les EUR 59,8 mds (8% du PIB de 2023) alloués à la Pologne dans le cadre du plan pour la résilience et la relance, 65% des fonds sont en attente de transfert. Le décaissement des fonds par l’UE est conditionné à l’état d’avancement des réformes. Or, les autorités polonaises se sont engagées à les mettre en œuvre. Quant à la demande extérieure, elle est restée morose depuis plusieurs trimestres et une amélioration significative n’est pas prévue à court terme compte tenu de la croissance modeste de l’Allemagne (principal partenaire commercial de la Pologne) prévue en 2026.

L’économie polonaise devrait compter parmi les plus performantes de la région au cours des deux prochaines années, avec une croissance proche du potentiel de moyen terme de 3,4%, selon nos estimations. La croissance ininterrompue du PIB depuis 1992 (à l’exception de 2020) a permis un rattrapage spectaculaire qui devrait permettre au pays de se hisser, dès cette année, parmi les 20 plus grandes puissances économiques mondiales selon la taille de leur PIB nominal (graphique 1). Le pays pourrait aussi voir son PIB par tête (en volume et en PPA) dépasser celui du Japon, selon les prévisions du FMI.

Classement mondial par PIB nominal en dollars et PIB par habitant

Reflux de l’inflation et assouplissement monétaire

L’inflation s’est repliée depuis le début de l’année pour atteindre 3,1% en g.a. en juillet et 2,9% en août et septembre. Fait marquant, l’inflation est désormais revenue à l’objectif cible de la Banque centrale de 2,5% (±1 point), aidée par la baisse de la facture de gaz pour les ménages depuis juillet (environ 10%). L’appréciation du zloty à la fois vis-à-vis du dollar et de l’euro et la progression plus lente des salaires y ont également contribué. L’inflation pourrait atteindre 3,7% en moyenne sur l’ensemble de l’année et 2,8% en 2026, après 3,8% en 2024. Le taux d’inflation serait parmi les plus faibles de la région.

Sur la politique monétaire, la Banque centrale a repris son cycle d’assouplissement en mai 2025, mettant ainsi fin à une longue pause monétaire observée depuis novembre 2023. Le taux directeur a été ramené à 5,25% (-50 points de base). Quatre nouvelles réductions de 25 pb chacune ont eu lieu par la suite. Le cycle d’assouplissement devrait se poursuivre à court terme, compte tenu de l’amélioration des perspectives de l’inflation. Le taux directeur serait abaissé à 4,25% fin 2025 et 3,50% fin 2026.

Les exportations et les flux de capitaux résistent malgré les incertitudes tarifaires

La hausse des tarifs douaniers américains depuis avril dernier laissait a priori penser que même la Pologne serait indirectement affectée en raison de ses liens commerciaux avec l’Allemagne. Or les exportations polonaises ont bien résisté sur la première moitié de l’année, avec une progression de 1,6% en g.a. dans l’ensemble et de 1,7% en g.a. vers l’Allemagne, principal partenaire commercial de la Pologne (27% des exportations totales). Cette résilience est aussi observée pour les autres pays de la région.

En Pologne, la progression des exportations au S1 2025 est proche de la moyenne des années 2023/2024. Parmi les secteurs les plus performants figurent, entre autres, les postes « biens alimentaires », « produits chimiques », « biens d’équipements et transports hors véhicules à moteur » et « produits manufacturés divers », postes qui représentent 82% des exportations polonaises (graphique 2). Les catégories « carburants minéraux et lubrifiants » et « huiles d’origines végétales et animales » sont celles qui ont le plus reculé, mais ont un poids dans les exportations assez marginal.

Exportations polonaises par secteur

La Pologne maintient aussi sa position comme destination attractive pour les investissements étrangers. Le montant des flux d’IDE observés en 2022 et 2023 a été exceptionnel et s’est normalisé depuis. Sur les sept premiers mois de l’année en cours, les flux d’IDE nets ont atteint des niveaux presque équivalents à 2024 (EUR 9,1 mds comparés à EUR 9,6 mds en 2024). Les flux de portefeuille nets (EUR 7,8 mds de janvier à juillet ; contre EUR 10,1 mds en 2024), de nature plus volatile, ne semblent pas perturbés. À court terme, le différentiel positif entre le rendement des obligations d’État polonaises et allemandes laisse entrevoir de bonnes perspectives pour les flux obligataires entrants. De même, la poursuite de la réorganisation des activités productives (nearshoring) suggère que les IDE resteront dynamiques dans la région.

Une marge de manœuvre budgétaire limitée

Les finances publiques se sont nettement dégradées, sous l’effet des nombreux chocs subis par l’économie polonaise depuis 2020. L’augmentation des dépenses militaires et des dépenses sociales généreuses ont creusé le déficit budgétaire au cours des 5 dernières années, et fait grimper le niveau de la dette publique. Cette dernière est désormais proche du seuil de 60% du PIB. La charge d’intérêts a sensiblement augmenté et pénalise les autres postes de dépenses. Les intérêts ont représenté 2,2% du PIB en 2024, en hausse de 1,1 point comparé à 2021. À titre de comparaison, ce ratio est légèrement supérieur à la moyenne de l’UE (1,9%).

La marge de manœuvre en matière de politique budgétaire est limitée. Le gouvernement est confronté à un jeu d’équilibre complexe. D’une part, il s’est engagé vis-à-vis de l’UE à consolider ses finances publiques, le pays ayant été placé sous procédure pour déficit excessif en 2024, et pour le non-respect des règles budgétaires (les autorités ont opté pour un délai de 4 ans). D’autre part, l’administration Tusk est confrontée à l’opposition du président Nawrocki sur son budget pour l’an prochain. La difficile cohabitation sur le plan politique perdure depuis 2023 (les élections présidentielles de mai dernier n’ont pas changé la donne) et le gouvernement ne dispose pas d’une majorité de 60% des votes au parlement pour contourner les veto présidentiels. Des mesures de consolidation perçues comme trop contraignantes pour les ménages pourraient faire l’objet d’un veto et bloquer le processus budgétaire.

Compte tenu de cette marge de manœuvre limitée, le processus d’ajustement budgétaire sera graduel à court terme, et la politique budgétaire reste tout de même favorable à la croissance en 2025 et 2026. Pour 2025, le gouvernement anticipe un déficit budgétaire élevé à 6,9% du PIB, et plus prononcé qu’en 2024. Le solde budgétaire compterait parmi les plus élevés en Europe centrale cette année, après la Roumanie.

Le projet de budget pour 2026, en attente de validation par le parlement, ne prévoit qu’une réduction minime du déficit budgétaire. En 2026, le montant des dépenses est figé au même niveau qu’en 2025. Le gouvernement table sur une hausse de 7,3% des recettes sans pour autant recourir à des hausses d’impôts sur le revenu ou de taux de TVA. Il compte sur la croissance économique, et une augmentation du taux d’imposition pour les banques est envisagée (à 30% contre 19% actuellement), qui rapporterait PLN 11,3 mds (0,3% du PIB) ces deux prochaines années. Sur les dépenses, les volets « social » et « santé » continuent d’occuper un poids important dans le budget (environ 27% et 25% des dépenses respectivement). L’augmentation du poste « santé » serait de 11,8% l’an prochain (après +16,1% prévus en 2025). À titre de comparaison, le poste « défense » (environ 22% du total des dépenses ; 4,8% du PIB) augmenterait de 7% en 2026.

La vulnérabilité aux conditions de financement externes est limitée. Certes, les besoins d’emprunt sont importants (environ 14,1% du PIB en 2025), mais ils sont aisément financés sur le marché domestique. La Pologne a pour l’instant déjà financé environ 90% de ses besoins pour cette année. Sur la période récente, la levée de dette sur les marchés obligataires internationaux vise à alléger le coût de financement. Le risque de change reste toutefois limité grâce aux règles prudentielles en vigueur, qui incluent, entre autres, une obligation de limiter la part de la dette libellée en devises étrangères à 25% de l’encours. Fin août 2025, la part en devises étrangères était de 21% (principalement en euros).

Les risques liés aux taux d’intérêt sont modérés. Le taux d’emprunt sur le marché obligataire domestique et en zone euro est plus élevé qu’en 2019, mais le taux des obligations d’État à 5 ans est stable autour de 5% depuis 2023. La majeure partie de la dette (à la fois en devises locales et étrangères) est contractée à taux fixe (environ 70% de la dette en juillet 2025), mais la maturité moyenne de la dette totale est relativement courte, à 5,8 ans.

Achevé de rédiger le 16 octobre 2025

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