La croissance économique des pays émergents a bien résisté au premier semestre 2025. Jusqu’à présent, les mesures tarifaires américaines affectent peu le commerce mondial et donc leurs exportations. Par ailleurs, la demande intérieure, un autre moteur de la croissance dans ces pays, ne faiblit pas grâce en particulier au soutien du crédit domestique. La croissance des crédits bancaires a retrouvé son niveau pré-covid dans une grande majorité de pays ; dans plusieurs d’entre eux elle dépasse, en termes réels, celle du PIB potentiel. Une dérive à surveiller car elle peut aboutir à une dégradation des échanges extérieurs et/ou à une augmentation des créances bancaires douteuses.
Peu d’effets des relèvements tarifaires américains jusqu’à présent La croissance du PIB dans les pays émergents a bien résisté jusqu’au T2 2025. Le PIB agrégé de notre échantillon de 24 principaux pays progressait encore de 1% sur un trimestre et de 4,7% sur un an. Même hors Chine, dont l’activité a nettement accéléré au S1 (cf. l’éditorial de l’Ecoweek du 08/09/2025 ), la progression atteint également 1% t/t.
À l’exception de l’Amérique latine, la contribution des exportations à l’activité des pays est restée positive durant la première partie de l’année. Elle s’est même légèrement renforcée en Europe centrale et en Asie. L’opinion des industriels sur leurs carnets de commande à l’exportation ne s’est pas effondrée depuis l’annonce des mesures tarifaires de l’administration Trump.
En Asie, à l’exception de Taïwan, l’effritement des soldes d’opinion (entre les entreprises qui anticipent une amélioration et celles qui prévoient une dégradation des commandes), par rapport au T4 2024, ne dépasse pas 2 points de pourcentage.
En Europe centrale, le choc qui frappe le secteur automobile européen atteint a priori durement la République tchèque et la Slovaquie. Pourtant, les soldes d’opinion en juillet-août y étaient légèrement supérieurs à leur niveau du T4 2024. En comparaison, la Pologne est plus affectée.
En Amérique latine, l’opinion des industriels s’est sensiblement dégradée, tandis qu’au Mexique elle est revenue à son niveau du T4 2024 après une forte contraction au deuxième trimestre. Cela s’explique par la différence de traitement imposée à ce pays par les États-Unis et à la protection qu’apporte l’accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA) à une grande partie des exportations mexicaines[1] .
Le retour du crédit domestique La bonne résistance de la croissance des pays émergents hors Chine tient également à l’accélération ou au maintien d’une forte hausse du crédit domestique[2] quasi-générale depuis 2024.
ÉVOLUTION DU CRÉDIT BANCAIRE DANS LES ÉCONOMIES ÉMERGENTES (VARIATIONS EN GLISSEMENT SUR UN AN) Ainsi, entre le dernier trimestre 2023 et la mi-2025, le taux de progression des crédits bancaires au secteur privé est passé, sur un an, d’environ 2% à 5% pour les pays avancés d’Asie (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taïwan), de 2% à 7% pour les principaux pays d’Europe centrale, de 7% à 9% pour les principaux pays d’Amérique latine, de 8% à 11% pour les principaux pays du Moyen-Orient. Sur cette même période, la progression s’est effritée dans les autres pays d’Asie, mais elle est restée très soutenue avec 9% contre 11% par an en moyenne depuis 2023. Sur notre échantillon de pays émergents, ce n’est qu’au Maroc et en Afrique du Sud que la croissance du crédit domestique n’a pas accéléré depuis 2024 et reste modérée (autour de 5% par an).
Au sein de ce mouvement d’ensemble, la Turquie fait figure d’exception. Depuis 2022, la politique monétaire y a été en décalage total avec celle des autres pays émergents. Deux cycles complets de crédit se sont succédé depuis 2020, la période 2024-2025 correspondant à la période basse du deuxième cycle. Au-delà des évolutions cycliques, le crédit domestique a été un facteur de soutien important à la croissance depuis la sortie de la pandémie à travers, notamment, l’utilisation des cartes de crédit par les ménages. Mi-2025, la progression sur un an des crédits bancaires en livre turque s’élevait encore à près de 40% pour une inflation ramenée à 35%.
L’accélération générale du crédit s’inscrit dans un contexte désinflationniste i/ générant des gains de pouvoir d’achat pour les ménages et ii/ autorisant un assouplissement des politiques monétaires. Si les gains de pouvoir d’achat compensent les pertes des années antérieures, ils facilitent le recours des ménages au crédit pour consommer a fortiori si les taux d’intérêt et les taux directeurs baissent parallèlement.
C’est le cas des pays d’Europe centrale. On y observe concomitamment, depuis 2024, une baisse des taux d’intérêts directeurs et une accélération des salaires réels et du crédit, tout particulièrement du crédit aux ménages. En Turquie, le très fort rattrapage des salaires réels depuis 2023 contrebalance la hausse de l’endettement.
Éviter la surchauffe Ailleurs, les situations sont plus contrastées. Néanmoins, dans plusieurs grands pays, le crédit croît fortement, voire un peu trop vite.
En Asie, l’Inde, les Philippines et le Vietnam connaissent une croissance du crédit à deux chiffres (10% pour Inde et Philippines, 18% pour le Vietnam à la mi-2025). Les assouplissements monétaires aux Philippines et, plus récemment, en Inde n’ont pas entraîné d’accélération. En revanche, au Vietnam, l’assouplissement monétaire (initié dès début avril 2023) a renforcé l’augmentation tendancielle du ratio de crédit/PIB. Dans ce pays mais aussi aux Philippines, la croissance réelle du crédit (croissance nominale corrigée du taux d’inflation sous-jacent) dépasse très largement le potentiel de croissance réel du PIB. Une dérive à surveiller qui peut aboutir à une dégradation des échanges extérieurs et/ou à une augmentation des créances bancaires douteuses.
En Amérique latine, la situation du Brésil et du Mexique mérite d’être soulignée pour les mêmes raisons. Dans ces deux pays, le crédit n’a pas accéléré depuis 2024 mais il affiche toujours une croissance d’environ 10% (pour les ménages comme pour les entreprises) et d’environ 5% en termes réels, soit un rythme également supérieur à la croissance potentielle. Au Brésil, la croissance forte du crédit s’est maintenue malgré le durcissement monétaire initié en septembre 2024 et poursuivi jusqu’en juin 2025. Les taux d’intérêt réels dans ces deux économies sont d’ailleurs les plus élevés au sein des pays émergents (Turquie exceptée). Toutefois, comme dans les pays d’Europe centrale, la progression des salaires réels y est très soutenue (6% à la mi-2025), ce qui assure pour l’instant la soutenabilité de l’endettement des ménages.
À court terme, le soutien du crédit à l’activité économique va se poursuivre. Le cercle des banques centrales engagées dans un cycle d’assouplissement monétaire va s’élargir. En effet, il est probable qu’elles soient sollicitées à l’avenir pour soutenir l’activité si les effets négatifs du choc tarifaire US, jusqu’à présent peu visibles, se produisaient. L’assouplissement monétaire pourrait toutefois devenir plus mesuré, ne serait-ce que parce que le rythme de désinflation ralentit déjà. Pour certains pays, ce serait même souhaitable afin d’éviter la surchauffe.