Podcast - En ECO dans le texte

Quels sont les effets de la politique tarifaire américaine sur le commerce mondial et les pays émergents ?

07/07/2025

À l’occasion de la parution du numéro du deuxième trimestre de l'EcoPerspectives Économies Émergentes, 3 membres de l’équipe Économies Emergentes prennent la parole dans «En Eco dans le texte» : Christine Peltier, Cynthia Kalasopatan Antoine et Lucas Plé. C'est l'occasion de faire le point sur des défis particuliers auxquels les pays sont confrontés.

Dans ce podcast, nos économistes reviennent sur les conséquences de la hausse des droits de douane américains sur la croissance mondiale, sur les dynamiques de reconfiguration du commerce international, et sur la réorganisation des chaînes de valeur. Nous analyserons les effets de ces bouleversements sur les pays émergents.

Transcription

Retrouvez ici EcoPerspectives Économies Émergentes

Bonjour à tous et bienvenue dans «En Eco dans le texte», le podcast des Études Économiques de BNP Paribas qui vous aide à mieux appréhender l’actualité économique.??

Trois fois par an l’équipe Économies émergentes des Études Économiques publie son EcoPerspectives. C’est l’occasion de mettre l’accent sur quelques grandes économies émergentes telles que la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil, ou encore le Mexique, le Chili, la Thaïlande ou la Hongrie. L’EcoPerspectives permet de faire le point sur des défis particuliers auxquels les pays sont confrontés, leurs prévisions de croissance, etc.?

À l’occasion de la parution du numéro du deuxième trimestre, 3 membres de l’équipe Économies Emergentes prennent la parole dans «?En Eco dans le texte?» : Cynthia Kalasopatan Antoine, Lucas Plé et Christine Peltier.

L’EcoPerspectives dédié aux économies émergentes du deuxième trimestre 2025 se consacre au choc tarifaire impulsé par l’administration américaine et à ses effets sur les économies émergentes.

Dans ce podcast, nous allons revenir sur les conséquences de la hausse des droits de douane américains sur la croissance mondiale, sur les dynamiques de reconfiguration du commerce international, et sur la réorganisation des chaînes de valeur. Nous analyserons les effets de ces bouleversements sur les pays émergents.

Les pays émergents vont d’abord subir des effets négatifs liés au ralentissement de leurs exportations et à la concurrence accrue des produits chinois. Mais ils pourraient aussi bénéficier de nouvelles opportunités pour attirer des IDE.

1. Commençons par une question globale avant d’entrer dans le détail des réactions au choc tarifaire…

Christine, Quels sont les effets du durcissement de la politique tarifaire américaine sur le commerce mondial et les économies émergentes ??

Le durcissement de la politique tarifaire de l'administration Trump se caractérise par une forte augmentation des droits de douane, en particulier sur les produits chinois.

Pour tous les autres pays, les droits de douane supplémentaires sont de 10% pour le moment. Mais en réalité, les taux effectifs moyens de ces droits de douane varient considérablement d’un pays à l’autre, en fonction de la structure des exportations de chacun de ces pays vers les Etats-Unis.

L'Asie émergente est la plus pénalisée aujourd’hui, tandis que les pays exportateurs de matières premières sont les moins touchés.

La hausse des droits de douane va entraîner une décélération de la demande américaine et de la demande mondiale, ainsi qu’une réorientation des flux commerciaux. Pour les pays émergents, les effets sont multiples : d’une part, leurs exportations vont ralentir. D’autre part, comme la Chine va redéployer ses marchandises vers des marchés alternatifs au marché américain, un grand nombre de pays va faire face à une concurrence accrue des produits chinois, sur leur marché intérieur et sur leurs marchés à l'exportation.

Cependant, certains pays émergents vont également tirer profit de la reconfiguration du commerce mondial et des chaines de valeur. Ils devraient attirer des investissements directs étrangers, et développer leur base de production et d’exportation manufacturière.

2. Commençons par la Chine Christine, pays le plus particulièrement visé par la politique protectionniste de l’administration Trump.

Comment la Chine réagit-elle au choc tarifaire américain et quelles sont les conséquences pour son économie ??

La Chine a mis en œuvre une stratégie pour réduire ou compenser les effets négatifs des droits de douane américains.

A court terme, cette stratégie repose, premièrement, sur le renforcement de la demande intérieure. Les autorités chinoises poursuivent donc l'assouplissement des politiques monétaire et budgétaire, et visent plus particulièrement à stimuler la consommation privée.

Cet objectif de renforcement de la consommation des ménages sera difficile à atteindre. La Chine est confrontée à des pressions déflationnistes. La demande du secteur privé reste freinée par la crise du secteur immobilier. Elle pourrait également souffrir des effets du ralentissement attendu dans le secteur manufacturier sur le marché du travail.

La stratégie chinoise face aux droits de douane américains repose également sur la réorientation des exportations vers d'autres marchés.

Au printemps, la baisse des exportations chinoises vers les États-Unis a déjà été compensée par la forte hausse des exportations vers d’autres régions. Cette réorientation va se poursuivre, mais pourrait toutefois rapidement se heurter à la multiplication des réactions protectionnistes des pays partenaires qui voient certains secteurs fragilisés par la montée de la concurrence chinoise.

3 . Le durcissement de la politique tarifaire américaine pourrait également entraîner une reconfiguration des chaines de valeur. Y aura-t-il des gagnants et des perdants de cette reconfiguration ?

On peut s’attendre à une nouvelle reconfiguration du commerce mondial, comme cela avait été le cas sous le premier mandat Trump, au début de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. A cette époque, le Mexique et le Vietnam avaient bénéficié des tensions commerciales pour se positionner comme pays dits « connecteurs », autrement dit des pays par lesquels transitent des biens chinois qui sont ensuite réexportés vers les Etats-Unis après création de valeur ajoutée.

A court terme, le durcissement de la politique commerciale américaine risque de freiner les IDE dans ces pays : dans le cas du Vietnam par exemple, il est probable que le pays soit contraint de limiter le re-routing des marchandises chinoises afin de ne pas être pénalisé par un tarif douanier punitif sur ses exportations vers les Etats-Unis.

Cependant, à moyen terme, il faut s’attendre à ce que les groupes chinois et autres groupes multinationaux poursuivent leur politique de diversification des chaines de production. Les IDE se dirigeront vers les pays qui offrent les meilleures conditions, à savoir : une main d’œuvre qualifiée et compétitive, une fiscalité attractive, un secteur manufacturier déjà intégré dans les chaines de valeur mondiales et des infrastructures de qualité. Il faut aussi prendre en compte des facteurs tels que la proximité géographique et géopolitique.

A cet égard, la Thaïlande, la Malaisie et l’Inde concentrent plusieurs atouts et pourraient bénéficier de nouveaux IDE. En Europe centrale, la Hongrie arrive déjà en tête des récipiendaires d’IDE chinois, mais la République Tchèque et la Pologne sont également bien positionnées. De l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique latine pourrait tirer parti de ses ressources naturelles abondantes pour attirer les IDE chinois.

4. Revenons aux deux exemples de pays asiatiques, la Thaïlande et l’Inde, qui sont affectés à des degrés différents par les conséquences de la politique commerciale américaine. Que peut-on en dire ??

La Thaïlande est l'un des pays d'Asie les plus vulnérables au durcissement commercial américain. Elle pourrait subir à la fois l’affaiblissement de ses exportations vers les États-Unis et la forte hausse des importations de biens chinois. Le secteur automobile, en particulier, est fragilisé par la concurrence chinoise.

Cependant, la Thaïlande pourrait aussi bénéficier de nouveaux investissements de groupes étrangers qui cherchent à diversifier leurs chaînes de production. La Thaïlande dispose d’atouts stratégiques tels qu’un bon niveau d'éducation, des infrastructures développées et une industrie manufacturière déjà intégrée dans les chaines de valeur mondiales.?

L'Inde sera moins affectée par les effets directs de la hausse des tarifs douaniers américains en raison de sa faible dépendance au commerce extérieur. De plus, l'Inde pourrait profiter de la réorganisation des chaînes de valeur grâce à sa dynamique démographique, une main-d'œuvre diplômée et des salaires compétitifs, mais ses capacités manufacturières restent sous-développées et les flux d'IDE sont faibles, concentrés dans les services. Les réformes structurelles avancent lentement, ce qui limitera sa capacité à pleinement tirer parti de la situation.?

5. Intéressons maintenant à l’Amérique latine, justement. Lucas, comment le Brésil se positionne-t-il face au choc tarifaire américain ?

Le Brésil est confronté au risque de ralentissement de ses exportations vers les Etats-Unis, tout particulièrement dans le secteur de l’acier : il faut savoir que 60% des exportations d’acier brésilien sont à destination des Etats-Unis, qui appliquent donc un tarif douanier de 50% depuis début juin. Cela étant, l’impact direct des droits de douane américains devrait rester limité dans l’ensemble, compte tenu de la part modérée des Etats-Unis dans les débouchés à l’exportation.

De plus, le Brésil fait partie des pays qui devraient bénéficier d’une reconfiguration des flux de commerce mondial. Depuis avril, on observe des changements qui sont profitables au pays. La Chine a déjà réorienté une partie de ses achats de soja, de viande et de pétrole depuis les Etats-Unis vers le Brésil. Par ailleurs, la guerre commerciale lancée par le Président Trump devrait inciter le Brésil et ses voisins à renforcer leur intégration au sein du Mercosur et à accélérer les négociations des accords de libre-échange avec l’Union européenne, mais aussi avec le Mexique et le Canada. A moyen-long terme, le pays dispose d’atouts stratégiques pour attirer les relocalisations, notamment un accès direct à diverses matières premières stratégiques ainsi qu’un mix énergétique faiblement carboné.

6. Repassons maintenant de l’autre côté de l’Atlantique, pour aller en Afrique du Sud : les relations avec les Etats-Unis sont très tendues depuis le début de l’année, que peut faire l’Afrique du Sud pour y remédier ?

Alors en effet, l’Afrique du Sud mène une politique de non-alignement qui est source de crispations diplomatiques avec les Etats-Unis. Ces tensions alimentent le risque de tarifs douaniers élevés sur les exportations sud-africaines. Dans tous les cas, il faut s’attendre à ce que le pays soit définitivement rayé de la liste des bénéficiaires de l’AGOA, une loi américaine qui offrait à 32 pays africains un accès préférentiel au marché américain pour de nombreux biens à l’exportation. Le secteur automobile sud-africain étant un bénéficiaire notable de cette loi, c’est le secteur le plus menacé par une hausse des droits de douane américains.

A l’heure actuelle, les autorités sud-africaines sont en négociation avec leurs homologues américains pour obtenir certaines exemptions. Elles veulent notamment des quotas pour continuer d’exporter à tarif préférentiel un certain nombre de voitures par an. En échange de quoi, les autorités sud-africaines ont proposé d’importer du GNL américain et de favoriser les investissements américains dans l’exploration minière. Ces deux propositions ont été favorablement reçues par l’administration américaine, il faut dire que l’Afrique du Sud est un fournisseur important de minerais critiques aux Etats-Unis.

Indépendamment de la conclusion des négociations avec les Etats-Unis, à l’avenir, l’Afrique du Sud pourrait réorienter ses exportations grâce à l’ouverture potentielle du marché chinois. En effet, la Chine a annoncé tout récemment vouloir lever les tarifs douaniers sur toutes les importations en provenance d’Afrique.

Un mot maintenant sur la Turquie, avec Cynthia,

7. Quelle est la situation économique actuelle de la Turquie et quels sont les impacts de la politique tarifaire américaine sur ses exportations ??

Fin 2024 et début 2025, on a observé une réaccélération de la croissance en Turquie. La croissance du PIB a été principalement tirée par la demande intérieure ; Les exportations sont quant à elles restées stables. Au cours des prochains trimestres, l’économie turque pourrait ralentir en raison des tensions financières, de l'impact des hausses de droits de douane américains et d'une politique budgétaire plus restrictive.

Sur Trump 2.0 le taux effectif des droits de douane américains appliqués à la Turquie est substantiel.Toutefois, les exportations vers les États-Unis ne représentent qu'une faible part du PIB (C’est 1,3%).

L'impact direct sur le PIB est marginal. La principale menace est indirecte, car les produits turcs concurrencent les produits chinois sur le marché européen, marché européen qui est le principal débouché pour les exportations turques (cela représente 41% des exportations totales).La principale menace est indirecte, car les produits turcs concurrencent les produits chinois sur le marché européen, marché européen qui est le principal débouché pour les exportations turques. Cela représente 41% des exportations totales. De plus, l'appréciation significative du taux de change réel de la livre turque risque de faire perdre des parts de marché aux exportateurs turcs sur ce marché clé.?

Venons-en maintenant aux pays d’Europe centrale :

8. Comment la Hongrie et la Slovaquie sont-ils affectés par les mesures tarifaires américaines et les dynamiques du commerce mondial ??Comment la Hongrie et la Slovaquie sont-elles affectées par les mesures tarifaires américaines et les dynamiques du commerce mondial ??

Pour répondre à ta question Lucas, Les économies d'Europe centrale, très ouvertes, sont également touchées par la hausse des droits de douane américains, même si leur déficit commercial avec les États-Unis est marginal.?

La Hongrie est l'un des pays d'Europe centrale les plus exposés. Certes, la part des exportations vers les États-Unis est faible (c’est à dire 4,1% en 2024), mais la Hongrie est indirectement et plus fortement affectée par son lien commercial important avec l'Allemagne. La Chine est à la fois un concurrent (notamment sur les machines et équipements de transport) et un partenaire clé en termes d'investissements directs étrangers ; la Hongrie a et continue d’attirer des investissements chinois majeurs dans l'automobile et la production de batteries électriques.?

La Slovaquie, tout comme la Hongrie fait partie des pays plus exposés en Europe centrale le plus exposé aux mesures douanières américaines en raison de la concentration de ses exportations dans le secteur automobile ; cela représente 77,4% des exportations slovaques vers les États-Unis.

De plus, la Slovaquie subit un effet indirect via la baisse de la demande en provenance de l’Allemagne, son principal partenaire commercial.

Le défi est de taille pour la Slovaquie. La réorientation des exportations vers d'autres marchés est complexe en raison de sa spécialisation sectorielle et de la concurrence chinoise sur le marché automobile. Toutefois, à moyen terme, le plan d'investissement allemand et les flux d'IDE, y compris ceux de la Chine dans le secteur des véhicules électriques et des batteries, pourraient offrir des relais de croissance.?

Pour finir, Cynthia, il nous reste une région du monde que nous n’avons pas abordée, et c’est le Moyen-Orient. Peux-tu nous parler de la situation économique aux Emirats Arabes Unis ? Les Emirats semblent plutôt épargnés par les perturbations du commerce mondial, comment est-ce possible ?

Oui, en effet, Lucas, les Emirats Arabes Unis sont "globalement épargnés par la politique commerciale de D. Trump.

Cependant, l'économie est la "plus sensible de la région au ralentissement du commerce mondial" en raison de sa forte ouverture vis à vis du commerce extérieur. Les exportations de biens et de services sont supérieures à 110% du PIB.?

Malgré cela, les perspectives de croissance restent "solides" à 4% en 2025, tirées par la diversification économique, l'attractivité pour les investissements étrangers et le soutien public. Les EAU multiplient les accords de partenariat économique pour renforcer leur position de plateforme commerciale et se prémunir contre la fragmentation géoéconomique.?

Nous voyons donc que le choc tarifaire impulsé par l'administration Trump crée un environnement économique incertain pour les pays émergents. Si certains, comme les EAU et le Brésil, semblent mieux positionnés pour traverser ces turbulences et saisir de nouvelles opportunités de réorientation commerciale, d'autres, comme le Mexique et la Slovaquie, font face à des défis plus importants en raison de leur forte dépendance commerciale et de leur spécialisation sectorielle. La capacité de ces économies à adapter leurs politiques et à attirer des investissements stratégiques sera cruciale pour leur résilience.

Merci à tous nos auditeurs de nous avoir suivis pour ce numéro spécial dédié aux économies émergentes. Vous retrouverez en description le lien vers le dernier numéro d’EcoPerspectives. Face au choc tarifaire américain, nos économistes vous livrent une analyse pays par pays.

Merci à tous

Nous vous rappelons que vous trouverez sur le site de la recherche économique de BNP Paribas les analyses de notre équipe d’économistes tout au long de l’année.

À bientôt?!

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies Émergentes