Le redémarrage de la croissance allemande a été freiné par les droits de douane américains. Toutefois, les perspectives continuent de s’éclaircir grâce à la stratégie du gouvernement, articulée autour d’un vaste programme d’investissements publics et d’incitations à l’investissement des entreprises. Au-delà du rebond conjoncturel anticipé, le redressement structurel de la croissance dépendra de la capacité du pays à maîtriser ses chaînes de valeur et à se repositionner dans le commerce mondial, face à une concurrence accrue. L’inflation devrait poursuivre sa décrue. Malgré les évolutions défavorables dans l’industrie, le chômage demeure contenu, et des tensions sur la main d’œuvre pourraient rapidement ressurgir. La dette publique devrait croître sous l’effet du creusement du déficit budgétaire et de la hausse des taux d’intérêt (dont les répercussions se feront sentir sur les autres membres de la zone euro).
Malgré un premier semestre difficile, la reprise économique semble engagée CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE) Après un début d’année dynamique (+0,3 % t/t au T1), porté par un surcroît d’exportations en anticipation du relèvement des droits de douane américains, l’activité a reculé au T2 (-0,3 % t/t). Si les exportations subissent un contrecoup attendu, leur recul est modéré. C’est le repli de l’investissement en machines et équipements, ainsi qu’en construction, qui explique le chiffre négatif du T2. Or, cette baisse pourrait s’expliquer par le report de projets qui bénéficieront d’aides (pour les entreprises) et de financements additionnels (pour les infrastructures et la défense, voir ci-après) à partir du 2nd semestre – une analyse que le redressement ininterrompu depuis neuf mois de l’indice Ifo du climat des affaires corrobore (+4,2 pts entre décembre dernier et août, où il atteint 89 pts). En parallèle, la consommation des ménages reste bridée par un sentiment dégradé. A la mi-2025, le PIB réel reste ainsi proche de son niveau de fin 2019[1] .
Dans un contexte où les pressions extérieures devraient perdurer, c’est sur la politique économique du nouveau gouvernement que repose la reprise. Celle-ci vise à soutenir un rebond de l’investissement public et privé (via notamment le dispositif d’amortissement anticipé de l’investissement permettant de réduire l’impôt sur les sociétés). Les premiers effets sont attendus dès le 2nd semestre, avant une accélération en 2026 en raison des effets d’entraînement anticipés. Le diagnostic d’un recul au T2 de l’investissement lié à un report de ces dépenses conforte celui d‘un rebond prochain. Nos prévisions de croissance s’établissent à +0,3 % en 2025 et +1,4 % en 2026 (après -0,5 % en 2024) respectivement 0,1 point en deçà et 0,2 point au-dessus des prévisions du Consensus Forecasts pour septembre.
L’emploi stagne, mais le taux de chômage reste bas Si la dynamique des créations d’emploi s’est étiolée sous l’effet de la récession industrielle, le marché du travail reste historiquement solide. Après un point bas de 3% en 2023, le taux de chômage est remonté progressivement à 3,7% en juillet 2025 - un niveau toujours bas, en particulier comparé à la moyenne de 6,2% en zone euro.
Les destructions d’emplois se poursuivent dans l’industrie manufacturière (-85 000 au S1 2025, -220 000 depuis 2023), à l’inverse des services qui continuent d’en créer, en particulier dans la santé et les services sociaux (+120 000 au S1 2025).
A court terme, le redressement de la conjoncture devrait relancer la demande de travail et soutenir de nouvelles embauches. Toutefois, à plus longue échéance, c’est l’offre de travail qui pourrait devenir contraignante : faute d’une immigration suffisante et adaptée, les évolutions démographiques risquent en effet de générer des pénuries de main d’œuvre, en particulier pour les travailleurs qualifiés.
La désinflation se poursuivrait au-delà de l’objectif fixé par la BCE L’inflation a nettement ralenti, et la tendance devrait se poursuivre. Après +2,5% en moyenne en 2024, l’inflation harmonisée devrait s’établir à +2,2% en 2025 puis +1,3% en 2026. L’énergie devrait continuer de tirer l’indice vers le bas (en particulier si la baisse envisagée des taxes sur l’électricité est effectivement mise en place), tandis que l’inflation des services continuerait de refluer sous l’effet du ralentissement de la hausse des salaires (indice du coût du travail en progression de +3,4 % a/a au T2 25, après +2,5 % au T1 mais une moyenne de +5 % entre 2022 et 2024).
Plusieurs facteurs pourraient néanmoins contrarier la poursuite de la désinflation, tels que la revalorisation du salaire minimum prévue (EUR 13,9 en 2026, puis EUR 14,6 en 2027, vs EUR 12,82 actuellement) et les plans d’investissements allemand et de réarmement européen, susceptibles de raviver les tensions sur les salaires à terme.
Une politique budgétaire ambitieuse, dont les conséquences dépassent les frontières du pays Avec le gouvernement Merz, l’Allemagne connaît un tournant important dans sa politique économique et budgétaire. Un fonds de EUR 500 Mds, étalé sur douze ans, doit permettre de moderniser les infrastructures publiques et d’accélérer la transition bas carbone. Le budget de la défense devrait aussi connaître une hausse notable. Ces mesures ont nécessité un assouplissement du « frein à l’endettement ».
En parallèle, le gouvernement engage une série de réformes en faveur des entreprises. Ces réformes n’étant pas concernées par l’assouplissement du frein à la dette, leur coût devra être compensé par des mesures d’économies. Une refonte des aides sociales est envisagée pour se faire, sans qu’un consensus ait été pour le moment trouvé entre les différentes parties prenantes de la coalition au pouvoir.
ALLEMAGNE : ÉVOLUTION DU PIB ET DE SES COMPOSANTES Cette nouvelle politique budgétaire allemande implique un recours accru à l’endettement et devrait creuser le solde budgétaire, qui, de -2,8% du PIB en 2024, atteindrait -3,8 % en 2025 et -4,4 % en 2026 selon nos estimations. Dans le même temps, la dette publique atteindrait 66% en 2026 (contre 62,1% du PIB en 2024). Le Bund à 10 ans continuerait de remonter pour s’établir à 3,2% fin 2026 (contre 2,66 % début septembre 2025) – une évolution importante pour l’ensemble de la zone euro, pour qui les taux allemands constituent la référence.
Pilier de l’économie allemande, le commerce extérieur est fragilisé En 2025, les exportations représentent encore près de 41 % du PIB allemand et contribuent à maintenir des excédents extérieurs récurrents (solde courant de +120 Mds au S1 25, stable autour de 5,5 % du PIB). Pourtant, ce moteur traditionnel de prospérité ne porte plus la croissance depuis plusieurs années.
ALLEMAGNE : NOUVELLES ÉMISSIONS DE DETTE ET RATIO DE DETTE PUBLIQUE La perte de débouchés dans deux marchés clés explique cela. Les exportations vers la Chine, dont la compétitivité s’est améliorée, baissent depuis trois ans déjà (-28 % en valeur cvs depuis janvier 2022, dernières donnés en juillet). Et avec le durcissement de la politique commerciale américaine, c’est le dernier relais de croissance significatif qui est en train de s’étioler. Les exportations allemandes vers les États-Unis ont ainsi reculé de 2,8% a/a en valeur cvs au 1er semestre 2025, entraînant une dégradation de EUR 3.9 Mds (-11 %) de la balance bilatérale en un an.
Premier partenaire commercial de l’Allemagne, l’Union européenne a permis de compenser en partie ces pertes. Mais compte tenu de la taille des marchés perdus, le pays n’a d’autre choix que de chercher davantage de relais de croissance en interne. La réorientation du modèle de croissance allemand vers l’investissement, potentiellement financée par une meilleure mobilisation de l’épargne domestique, pourrait se traduire par une hausse des importations et réduire l’excédent courant, qui resterait néanmoins confortable.
Quels leviers pour la croissance ? À court terme, le regain de croissance pourrait être obtenu grâce à une meilleure mobilisation de la main-d’œuvre et du capital, actuellement sous-employé (taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie manufacturière de 77,2% au T3 25, soit près de 6.5 pp en-deçà de la moyenne historique). Mais ces ajustements ne permettraient que de retrouver un rythme de croissance potentielle déjà historiquement bas. Estimée à 2,5 % dans les années 1970, celle-ci s’est établie à 1,4 % entre 2000 et 2019, puis à moins de 1 % depuis 2020. Ce déclin s’explique par une contribution affaiblie du capital - conséquence d’un investissement privé et public insuffisants -, par le ralentissement des gains de productivité et, plus récemment, par la hausse du chômage.
Or, les prochaines années s’annoncent particulièrement exigeantes au regard du vieillissement démographique, et alors que la transition énergétique – autre défi majeur – devra être conduite dans une économie dominée par des industries très consommatrices d’énergie. Face à ces défis, la politique économique du nouveau gouvernement constitue une source d’optimisme. En misant sur la modernisation et le renforcement du capital productif, ainsi que sur le soutien à l’innovation qui relancerait les gains de productivité, elle pourrait compenser en partie la potentielle contraction du facteur travail. Reste à savoir si ces ambitions se traduiront effectivement et rapidement par des résultats tangibles.
Achevé de rédiger le 18 septembre 2025