Edito

Fed : L’héritage de Powell devrait lui survivre

08/12/2025
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Le contexte entourant la réunion du FOMC des 9 et 10 décembre (scénario BNP Paribas : -25 pb), la dernière de 2025, constitue un prologue aux défis auxquels la Réserve fédérale (Fed) fera face en 2026. Non seulement les perspectives liées à son mandat dual appellent des réponses divergentes, mais l’incertitude règne, alimentée par les divisions entre membres du FOMC qui contrastent avec l’inclination de l’institution pour le consensus. Dans le même temps, l’année à venir sera marquée par un test historique, pour la conduite de la politique monétaire américaine et son indépendance, avec le remplacement du président Jerome Powell. Le risque d’un changement brutal dans l’exercice de la politique monétaire américaine ne doit pas pour autant être exagéré. Les décisions de la Fed devraient rester guidées par les fondamentaux économiques.

L’héritage de Jerome Powell : une Fed dépendante aux données jusqu’au bout

Le mandat de J. Powell à la tête de la Fed prendra fin en mai 2026. Sa gouvernance, entamée en 2018, s’est articulée autour de la préservation du caractère non partisan de la banque centrale, d'une approche data dependent, économiquement fondée et doublée de réactivité dans la conduite de ses missions, et de la recherche du consensus. La réunion du FOMC des 9 et 10 décembre devrait s’inscrire dans cette lignée, et marquer la poursuite du rééquilibrage de la politique monétaire, dont le signal fut donné par J. Powell à Jackson Hole en raison de l’accroissement des risques baissiers sur l’emploi devenus plus évidents durant l’été. Les perspectives sur ce front n’ayant pas matériellement évolué depuis, une nouvelle baisse (-25 pb), dans le but de rapprocher la politique monétaire de la neutralité, est attendue lors de la réunion à venir, dans la continuité de celles de septembre et octobre 2025, portant ainsi la cible des Fed Funds à 3,5% - 3,75%.

L’année écoulée a vu une réallocation des risques autour du mandat dual de la Fed, de nature à justifier l’assouplissement monétaire, alors que le plein effet des politiques commerciale et d’immigration sur l’emploi et l’inflation ne s’est probablement pas encore manifesté. La diminution des créations d’emplois est nette (nonfarm payrolls à +59k en moyenne semestrielle en septembre 2025, contre +133k un an plus tôt) et doublée d’une révision baissière massive sur le total des emplois salariés entre avril 2024 et mars 2025 (-911k dans l’estimation préliminaire). Dans le même temps, l’inflation est en hausse depuis avril 2025 (+0,7pp à +3,0% a/a en septembre), mais l’impact des droits de douane apparaît plus mesuré qu’initialement craint. Il est, de plus, contrebalancé par l’effet désinflationniste d’un marché du travail moins tendu.

RÉSERVE FÉDÉRALE : SITUATION DIVERGENTE POUR LE MANDAT DUAL

Ainsi, la démarche d’abaisser la cible des Fed Funds repose sur des arguments macroéconomiques solides, même si elle apparaît opportune, aussi, par rapport à l’existence de pressions politiques. La fonction de réaction de la Fed est cependant manifestement déséquilibrée en faveur de l’emploi, avec des baisses de taux préventives ou de « gestion des risques », alors que le marché du travail ne s’est pas nécessairement éloigné du plein-emploi et que les pressions inflationnistes demeurent malgré tout (graphique 1).

Dans ces conditions, nous anticipons une dernière baisse (-25 pb) à la fin du T1 2026, réduisant la cible de taux à 3,25% - 3,50%. Au-delà, le maintien d’un certain dynamisme de la croissance (autour de son rythme potentiel) devrait limiter la probabilité d’un décrochage additionnel de l’emploi et, de ce fait, la nécessité d’une poursuite de l’assouplissement. J. Powell quitterait alors son poste de président de la Fed, en mai 2026, en laissant la politique monétaire bien positionnée, du point de vue du FOMC, pour atteindre la cible d’inflation « sans créer de risques indus pour l’objectif d’emploi maximal » (J. Williams, Fed de New York)[1].

En effet, le taux terminal se situerait alors légèrement au-dessus de l’estimation du FOMC de son niveau de long terme (+3,0% dans le dernier Summary of Economic Projections). Cela correspond à un biais modérément restrictif face à la persistance de l’inflation, qui préserverait une marge de manœuvre pour réagir, rapidement si nécessaire, à une détérioration plus durable du marché du travail. Toutefois, notre estimation du taux neutre (+3,75% en termes nominaux, milieu de notre fourchette comprise entre 3,25% et 4,25%) en fait une posture accommodante.

Des divisions à la résonnance nouvelle

Un élément perturbant, à plus forte raison quand le caractère ambivalent et lacunaire des données économiques en perturbe la lecture, a trait au désaccord croissant parmi les membres du FOMC. Diverses manifestations sont apparues : éclatement de la distribution des projections de taux dans le Summary of Economic Projections (SEP), dissensions de gouverneurs sur les décisions, votes dans des directions opposées (à la fois pour un hold et pour une plus grande baisse en novembre), désaccords exprimés dans les prises de position publiques. La prochaine réunion, qui inclura la décision de taux et le SEP, devrait s’inscrire dans cette lignée.

RÉUNION DE DÉCEMBRE DU FOMC :
PROBABILITÉ IMPLICITE D’UNE BAISSE D’AU MOINS 25 POINTS DE BASE

De plus, les divisions pourraient se prolonger et s’amplifier en cas de pressions internes, par exemple de la part du nouveau président de la Fed, pour baisser davantage les taux au-delà du T1 2026. Tout ceci se ferait au détriment de l’inclination pour le consensus que J. Powell a très nettement renforcée. L’évolution de la probabilité d’une baisse de taux pour la réunion à venir (marché des Fed Futures, graphique 2) témoigne de la moindre prédictibilité de la politique monétaire dans le contexte actuel. Celle-ci a été amplifiée par les divisions, l’orientation dovish des gouverneurs ayant répondu à celle, hawkish, des présidents des Fed régionales. Cela peut, à terme, altérer la crédibilité de l’institution et générer des réactions de marché plus abruptes après des décisions moins bien préparées.

Et après : un loyaliste à la tête de la Fed éloignera-t-il la politique monétaire des décisions fondées sur les données ?

Le nom du successeur de J. Powell devrait être connu en début d’année prochaine. Le président D. Trump a fait savoir que son choix était arrêté. La personne désignée devra, au préalable, être confirmée par le Sénat et nommée au Board en février. K. Hassett, actuel président du National Economic Council (NEC), semble avoir une longueur d’avance : le site spécialisé Polymarket en fait le très net favori, avec une probabilité de 78%. Depuis son retour à la Maison-Blanche, l’expression publique et les actions de D. Trump traduisent sa volonté d’aligner la politique monétaire sur l’agenda de son administration, avec la nomination d’une personnalité « loyaliste » à sa tête. Mais celle-ci ne pourra pas ignorer le risque de réactions négatives des marchés, notamment obligataires, et devra donc être bien accueillie par ceux-ci, ce qui pointe vers un choix conventionnel.

Le président des États-Unis ne fait pas mystère de sa volonté de voir baisser significativement la cible de taux de la Fed. L’objectif sous-jacent est d’aboutir à une réduction de la charge d’intérêts des agents économiques endettés, au premier rang desquels le gouvernement fédéral. Les entreprises qui investissent dans l’IA grâce à un recours massif à l’endettement sont aussi concernées. Il est également question de soutenir l’immobilier résidentiel par un effet de ricochet sur les taux mortgage. Enfin, un affaiblissement de l’USD, permis par des taux plus bas, soutiendrait la compétitivité des entreprises américaines.

La mise en place de baisses de taux au service de cet agenda, sans que les conditions économiques autour du mandat dual ne le justifient, pourrait être soutenue par un président du FOMC politiquement biaisé et jouant de son influence. Néanmoins, les décisions de taux résultent d’un vote au sein du comité, et il est peu probable que le nouveau Chair parvienne à construire les majorités nécessaires à cette entreprise. Cela constitue un garde-fou à une prise de contrôle politicienne et indique la poursuite d’une politique monétaire dépendante aux données. Un autre garde-fou tient à la structure de la Fed et au calendrier. Notons toutefois que des risques existent à ce propos. Certes, a priori, aucun autre poste de gouverneur ne se libérera avant septembre 2027 (P. Jefferson). Néanmoins, la décision de J. Powell concernant son éventuel maintien au board, après l’expiration de son mandat de président (son mandat de gouverneur s’étend jusqu’en 2028) reste en suspens. La Fed attend, par ailleurs, la décision de la Cour suprême (SCOTUS) dans l’affaire Trump v. Cook, laquelle sera lourde de conséquences[2].

RENDEMENT NOMINAL À 10 ANS (COUPON NOMINAL) ET DÉCOMPOSITION

Au-delà de son indépendance, l’impact de la politique monétaire repose sur sa crédibilité. La réalité des données peut être diversement interprétée, mais les décisions ne peuvent pas les écarter complètement. Ni la Fed, ni l’administration n’a intérêt à voir les anticipations d’inflation croître, tandis qu’une perte relative de confiance des marchés pourrait se refléter encore davantage sur des maturités longues – qui subissent déjà la marque d’un certain scepticisme sur la dynamique de la dette publique – ainsi que sur les valorisations boursières. À titre d’exemple, le taux souverain à 10 ans, qui constitue la référence et dont la baisse est souhaitée par le secrétaire au Trésor, S. Bessent, se subdivise en deux composantes : un break-even rate (qui a trait aux anticipations d’inflation) et un taux réel (graphique 3). Si la Fed était plus tolérante en matière d’inflation, l’effet pourrait être doublement contre-productif : le breakeven augmenterait, tandis que les baisses de taux ne se transmettraient pas nécessairement aux taux longs.

****

En définitive, une inclination légèrement dovish concernant les fondamentaux apparaît tolérable, voire relativement bien accueillie du fait de son potentiel haussier sur la croissance économique et la valorisation des actifs. Un éloignement explicite vis-à-vis de l’objectif-prix serait, en revanche, à la fois insoutenable, contre-productif par rapport aux buts poursuivis et généralement contraire aux intentions des membres actuels du FOMC. La Fed va probablement devoir continuer à vivre avec les coups de boutoir, qui sont pour elle l’occasion de renforcer sa résilience et sa prépondérance.


[1] John C. Williams, Navigating Unpredictable Terrain (discours), Federal Reserve Bank of New York, 21 novembre 2025

[2]Une décision favorable à l’administration consacrerait un pouvoir discrétionnaire extensif du président des États-Unis sur la composition du Board de la Fed. Symétriquement, l’annulation du renvoi de la gouverneure par la SCOTUS serait un signal positif pour l’indépendance opérationnelle de la banque centrale.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées

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