MODÉLISATION DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES À PARTIR D’UN MODÈLE À CORRECTION D’ERREUR SUR LA PÉRIODE RÉCENTE, L’ÉCART DE PERFORMANCE S’ACCROIT ENTRE LA ZONE EURO ET LES ÉTATS-UNIS LA DÉTÉRIORATION DES FONDAMENTAUX EXPLIQUE EN GRANDE PARTIE LA MOINDRE CROISSANCE DE LA CONSOMMATION DANS LA ZONE EURO Notre modèle a eu, sans surprise, plus de difficultés à expliquer la consommation des ménages pendant la pandémie, en raison de l’extrême volatilité causée par la Covid-19. Néanmoins, sa performance s’est améliorée depuis.
La moindre progression de la consommation des ménages sur la période récente (+3,1% entre le T4 2019 et le T4 2024), par rapport à la période précédant la crise sanitaire (+8,1% entre le T4 2014 et le T4 2019), tient en premier lieu à la piètre performance des variables qui la sous-tendent (cf. graphique 5) : la progression de la richesse financière réelle a nettement ralenti comparativement à l’avant Covid, tout comme celle de la richesse immobilière réelle. En outre, notre modèle a légèrement surestimé la consommation sur la période post-Covid (de près de 0,5 pp en moyenne entre le T4 2019 et le T4 2024). Néanmoins, cette surestimation du modèle se réduit progressivement (cf. graphique 4), signifiant que les fondamentaux expliquent de mieux en mieux la consommation.
ÉVOLUTION DES PRINCIPAUX DÉTERMINANTS DE LONG TERME DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES EUROPÉENS
Comme avant la pandémie, le revenu disponible brut réel des ménages reste le principal déterminant de la consommation sur la période post-Covid. Néanmoins, sa contribution a diminué en comparaison à la période antérieure (4,0pp sur 2019-2024, contre 4,8pp sur 2014-2019). De leur côté, les contributions des effets de richesse restent moins importantes que celle du revenu disponible et ont également diminué sur la période post-Covid. Toutefois, la contribution de la richesse financière (+0,3 pp contre +1,6 pp) est désormais moins importante que celle de la richesse immobilière (+0,5 pp contre +1,2 pp). Enfin, les taux à 10 ans[3] contribuent négativement sur la période récente (-0,5 pp), contrairement à la période pré-covid où ils jouaient fortement et de façon positive (+0,9pp). Ainsi, la hausse des taux d’intérêt, en réponse à la crise inflationniste, a eu pour effet de soutenir l’épargne.
In fine, sur la période récente, les quatre variables explicatives susmentionnées surestiment la consommation des ménages européens de près de 0,5 pp. Cette surestimation, qui peut également être vue comme une sous-consommation des ménages européens sur cette période au regard des déterminants habituels de leur consommation, peut toutefois s’expliquer par l’hétérogénéité entre les pays de la zone euro.
Une augmentation du taux d’épargne en zone euro encore plus prononcée en France
Dans les principaux pays de la zone euro, le taux d’épargne des ménages reste nettement supérieur à son niveau d’avant Covid (qu’il s’agisse de 2019 ou de la moyenne sur les années 2010). Ce phénomène s’explique notamment par une évolution plus favorable du pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB) que de celle des seuls salaires. Cette dynamique a eu des effets redistributifs qui ont permis d’accroître le taux d’épargne. En effet, le RDB a bénéficié d’une forme d’indexation implicite des prestations sociales, en particulier des retraites. Or, les retraités présentent un taux d’épargne plus élevé que la moyenne de la population européenne – proche d’un tiers du RDB en France, selon la Banque de France. Par ailleurs, la progression des revenus de la propriété en 2022-2023 a principalement bénéficié aux ménages les plus aisés, dont la propension à consommer est inférieure à celle du reste de la population.
TAUX D’ÉPARGNE DES MÉNAGES EN % DU REVENU DISPONIBLE BRUT
Les périodes 2020-2023 et 2024-2025 présentent des dynamiques différentes. La première a été marquée par une augmentation généralisée de l’épargne, visible dans l’ensemble des pays et pour la plupart des catégories de ménages. Depuis deux ans toutefois, le taux d’épargne s’est relativement stabilisé en Allemagne, en Italie et en Espagne.
La France fait figure d’exception : le taux d’épargne y a encore progressé de près d’un point et demi de pourcentage, un phénomène entièrement attribuable à un surcroît d’épargne financière (l’épargne placée sur des actifs financiers). Le taux d’épargne y est désormais supérieur à celui de l’Allemagne. Cette hausse du taux d’épargne en France explique aussi un effet d’hystérèse du choc inflationniste plus important que dans les autres pays [4] : bien que l’inflation ait nettement reflué, le choc persiste dans la mémoire des ménages français.
Selon une enquête réalisée par la Commission européenne auprès des ménages, l’intention d’épargner des retraités français a continué d’augmenter après la fin de l’épisode inflationniste, atteignant même un niveau supérieur à celui observé pendant la pandémie.
De plus, cette tendance ne s’est pas inversée au cours des six derniers mois. Une étude de l’Insee, fondée sur des données d’enquête, conclut que la revalorisation des retraites en 2024 (supérieure à l’inflation contemporaine, puisqu’elle était indexée sur l’inflation de 2023 qui a été nettement plus élevée) explique la hausse du taux d’épargne des retraités[5] . Cette hausse a été encore plus prononcée pour les retraités du premier quintile de revenu, dont les ressources dépendent davantage des pensions, tandis que les retraités les plus aisés ont aussi bénéficié de la hausse des revenus de la propriété. La déformation du RDB des ménages français en faveur des prestations sociales en 2024-2025 et l’augmentation du taux d’épargne qui en a résulté expliquent ainsi la sous-performance de la consommation des ménages en France.
En Allemagne, la sous-performance de la consommation est tout aussi notable (croissance de 0,3% en 2024, contre 0,4% en France), mais la cause est différente. L’intention d’épargne y a le plus augmenté parmi les travailleurs, dans un contexte d’inflation plus forte que la moyenne européenne (2 points de plus en cumul entre fin 2021 et fin 2024). Plus qu’ailleurs en Europe, les salaires ont perdu en pouvoir d’achat[6] , ce qui explique une croissance de la consommation des ménages plus modérée qu’avant Covid. Cette faiblesse a pu être accentuée par la détérioration de l’emploi industriel. Si l’emploi dans les services a mieux résisté et que l’augmentation du taux de chômage est restée limitée, le poids de l’industrie (qui représente près d’un tiers du PIB allemand, construction comprise) continue de peser sur la dynamique économique globale.
En Italie et en Espagne, la sous-performance de la consommation est moins marquée. En moyenne, le taux d’épargne des ménages italiens et espagnols a moins augmenté par rapport à son niveau d’avant Covid que dans le reste de l’Europe. Dans ces deux pays, la croissance du PIB et celle des revenus restent proches de ce qui a été observé avant Covid, et la propension à consommer des ménages s’est mieux maintenue. Le RDB y dépend davantage des revenus du travail que de ceux de la propriété, et a été bien protégé lors de la période inflationniste (notamment en Espagne, où l’inflation a été moins élevée grâce à une hausse plus modérée des prix de l’énergie [exception ibérique]).
ÉCART MOYEN DU SOLDE D’OPINION DES MÉNAGES SUR L’OPPORTUNITÉ D’ÉPARGNER PAR RAPPORT À LA PÉRIODE AVANT COVID-19 UNE SUR-CONSOMMATION EST APPARUE AUX ÉTATS-UNIS, POURQUOI ? À l’inverse de ce nous observons dans la zone euro, la croissance de la consommation des ménages s’est maintenue aux États-Unis (+14,2% entre le T4 2019 et le T4 2024, contre +12,9% sur 2014-2019).
Toutefois, notre modèle ne parvient pas à expliquer la totalité de la croissance récente, qui dépasse de près de 2,2 pp notre estimation. Le revenu disponible brut réel des ménages est, selon notre modèle et comme pour la zone euro, la variable qui a le plus contribué à cette évolution de la consommation (+7,1 pp contre +9,0 pp sur la période 2014-2019), suivie de loin par la richesse immobilière réelle (+2,6 pp contre 2,5 pp). De son côté, la richesse financière réelle y a contribué significativement (+2,3 pp contre 3,0 pp). Enfin, le taux d’intérêt réel à 10 ans a, quant à lui, pesé négativement sur la consommation (-0,2 pp contre 0,2 pp).
Le jeu habituel des fondamentaux ne suffit donc pas à expliquer le dynamisme de la consommation américaine. Des changements de comportement sont ainsi apparus depuis la pandémie, que la modélisation n’intègre pas.
ÉVOLUTION DES PRINCIPAUX DÉTERMINANTS À LONG TERME DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES AMÉRICAINS
Le rôle de la richesse immobilière
Selon une étude du FMI[7] , cette surperformance de la consommation aux États-Unis s’explique principalement par une forte hausse de la propension marginale à consommer la richesse immobilière. Celle-ci aurait presque triplé, selon les auteurs, sur la période post-Covid en comparaison à la période pré-Covid[8] . L’appréciation de la valeur du patrimoine immobilier des ménages américains leur aurait permis d’obtenir des prêts hypothécaires, utilisés pour soutenir leur consommation.
Afin de tester cette conclusion, nous avons ajusté, dans notre modélisation sur la période post-Covid, la propension marginale à consommer la richesse immobilière à hauteur de ce qui est indiqué dans l’étude du FMI. Il en ressort que le résidu de notre modélisation disparaît (cf. graphique 9), ce qui confirme le rôle de cette variable dans la surperformance de la consommation des ménages américains sur la période post-Covid.
ÉTATS-UNIS : CONSOMMATION DES MÉNAGES OBSERVÉE VS. ESTIMÉE EN REHAUSSANT LA PROPENSION MARGINALE À CONSOMMER LA RICHESSE IMMOBILIÈRE
Ce résultat permet également d’expliquer pourquoi ce sont les ménages américains les plus riches qui ont porté la surperformance de la consommation sur la période post-Covid. Selon Moody’s[9] , « les consommateurs appartenant aux 10% les plus riches de la distribution de revenus ont représenté 49,2% des dépenses totales au T2 2025, contre 48,5% au T1, atteignant ainsi le niveau le plus élevé jamais enregistré depuis 1989 ».
L’impact du « stimulus Biden »
La politique budgétaire mise en place aux États-Unis en réponse à la pandémie de Covid-19 a largement contribué à la surperformance relative de la consommation des ménages américains, qui s’est poursuivie plusieurs trimestres après la levée des différentes restrictions. Les données budgétaires indiquent un total de USD 4 530 de dépenses liées à cette politique, soit plus de 10% du PIB de 2020-2021.
Cette réponse a été structurée en deux étapes majeures : d’abord, le CARES Act a été voté en mars 2020 dans une optique de soutien et d’assurance face au déclenchement de la pandémie. Un an plus tard, en mars 2021, la présidence Biden débutait par le vote de l’American Rescue Plan Act , davantage porté par la volonté d’accompagner la reprise économique. Ces plans ont principalement fourni aux ménages un soutien direct (USD 815 mds versés sous forme de Economic Impact Payments , des versements directs et automatiques), un élargissement temporel et financier de l’assurance chômage, ainsi que des crédits d’impôts.
La combinaison de ces mesures et d’une période moins propice à la consommation a permis un surcroît d’épargne de USD 2 100 mds en 2020-2021 d’après la Fed de San Francisco. Selon elle, ce surcroît dans lequel les ménages américains ont pu puiser leur a ensuite permis de maintenir leur consommation malgré le contexte inflationniste, avant qu’il ne s’épuise en début d’année 2024. Par ailleurs, la politique budgétaire américaine est restée expansionniste après la période pandémique.
OÙ VA-T-ON ? VERS UNE CORRECTION EN ORDRE DISPERSÉ DE LA SOUS-PERFORMANCE EN ZONE EURO La consommation des ménages est-elle appelée à se redresser en zone euro ? Oui, même si la réponse varie selon les pays.
La France et l’Espagne devraient continuer de se distinguer de la moyenne européenne
La France devrait enregistrer conjointement une croissance très modérée du pouvoir d’achat des ménages et une diminution très limitée de leur taux d’épargne. En effet, la croissance du RDB ralentirait en 2026-2027, car elle ne serait plus soutenue par la dynamique des prestations sociales (même dans l’hypothèse où aucune mesure ne serait prise pour les sous-indexer), en particulier des retraites. La croissance du RDB serait également moins soutenue par les revenus de la propriété. La moindre croissance de ces revenus serait la principale raison pour laquelle le taux d’épargne se replierait.
TAUX D’ÉPARGNE DES MÉNAGES (EN POURCENTAGE DU REVENU DISPONIBLE BRUT)
Celui-ci resterait toutefois élevé. Il retrouverait en 2027 son niveau de 2023 et resterait près de 3 points supérieur à celui de 2019. Le pouvoir d’achat du salaire poursuivrait sa progression observée depuis 2024, sans toutefois accélérer, et ne compenserait donc pas entièrement les pertes subies pendant la crise inflationniste. Avec un marché du travail relativement résilient, la confiance des ménages devrait se raffermir. Ainsi, la consommation des ménages pourrait retrouver son rythme croissance de 2022-2023 (+1% par an, contre +0,4% en 2025) en 2026-2027, mais sans aller au-delà. Les ménages les moins aisés (ceux sans emploi ou dépendant principalement d’un revenu d’activité) conserveraient en effet une consommation contrainte.
L’Espagne verrait aussi son taux d’épargne se maintenir au-dessus de son niveau d’avant-Covid, mais pour des raisons et des implications très différentes qu’en France. Les dynamiques de croissance du PIB et du RDB resteraient soutenues, permettant un gain net de pouvoir d’achat. La consommation des ménages resterait ainsi dynamique, sans qu’ils aient à puiser dans leur épargne.
ÉVOLUTION DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES, DU REVENU DISPONIBLE BRUT, DU DÉFLATEUR DE LA CONSOMMATION ET DU POUVOIR D’ACHAT
À l’opposé, les ménages allemands et italiens verraient leurs taux d’épargne effacer les augmentations post-Covid d’ici 2027
Dans les deux cas, ces évolutions s’accompagneraient d’une hausse de la consommation des ménages.
En Allemagne, celle-ci serait soutenue par l’amélioration des perspectives de croissance, le rebond associé des créations d’emplois et la hausse du salaire minimum (+8,5% en 2026 et +5% en 2027). Cependant, un risque à la baisse pour la croissance du RDB et du pouvoir d’achat pourrait apparaître si la coalition gouvernementale mettait en œuvre son intention de limiter la progression des prestations sociales (afin de générer les économies nécessaires au financement des mesures de soutien à l’économie). Une partie de ces mesures de soutien n’est pas exclue de la règle du frein à l’endettement (dont la mesure de suramortissement de l’investissement des entreprises qui réduirait l’impôt sur les sociétés) et doit donc être compensée par des mesures d’économies ou des recettes nouvelles afin de ne pas détériorer le déficit public.
En Italie, la baisse de l’impôt sur le revenu sur les ménages (EUR -9 mds sur 2026-2028) permettrait de maintenir la croissance du pouvoir d’achat, malgré le ralentissement de la croissance des salaires. Cette baisse ciblant les classes moyennes, elle aurait un impact positif sur leur consommation et permettrait un reflux du taux d’épargne.
EST-CE LA FIN DE LA SURPERFORMANCE AUX ÉTATS-UNIS ? Un équilibre inflation-emploi défavorable à la consommation durant les prochains trimestres
La hausse, en cours et à venir, de l’inflation aux États-Unis devrait peser sur la consommation des ménages. L’inflation a déjà rebondi (+3,0% a/a en septembre 2025 [+3,1% pour la mesure sous-jacente], soit +0,6pp depuis avril). De plus, nous anticipons une poursuite de cette hausse des prix en raison des droits de douane. L’inflation atteindrait +3,4% a/a au T2 2026 (+3,3% pour le sous-jacent), sans retour à la cible à horizon des projections (+2,9% a/a au T4).
ÉVOLUTION ET PRÉVISIONS COMPARÉES D’INFLATION AUX ÉTATS-UNIS ET DANS LA ZONE EURO
À ce stade, c’est par les données d’enquête que l’on peut saisir l’inquiétude des ménages au sujet de l’inflation. Dans l’enquête de sentiment de l’Université du Michigan, l’ampleur de la détérioration des anticipations d’inflation des ménages est semblable, à court terme (1 an), à ce qui prévalait durant la poussée inflationniste post-pandémie. Elle est encore plus prononcée à 5-10 ans, révélant un doute sur la capacité de l’inflation à revenir, à terme, à un niveau tolérable. Si le dernier épisode d’inflation, inédit depuis près de quarante ans, a été suivi par la résilience de la croissance de la consommation, la situation sur le marché du travail était tout autre. Le rapport entre les emplois vacants et le nombre de personnes à la recherche d’un emploi (ratio « v/u ») avait atteint 2 pour 1 au S1 2022 : un tel état de tension sur le marché du travail avait soutenu les salaires, participant de la résilience de la consommation. Aujourd’hui, ce ratio est très légèrement inférieur à 1. Dans ces conditions, la croissance des salaires devrait fléchir et pénaliser la consommation américaine. Ainsi, les anticipations d’une hausse du chômage à 1 an sont aussi importantes que durant la grande crise financière, ce qui pourrait engendrer un rebond du taux d’épargne.
FORCE DE TRAVAIL AUX ÉTATS-UNIS
En outre, le marché du travail post-pandémique a très largement bénéficié d’un afflux de travailleurs aux États-Unis, compensant le phénomène de « grande démission ». Cette dynamique a permis à la main-d’œuvre d’atteindre, dès 2023, un niveau supérieur aux prévisions pré-Covid (cf. graphique 13). Ce phénomène résulte à la fois du soutien de l’offre de travail et de la demande agrégée. Le changement de pied concernant la politique migratoire, avec l’objectif affiché de « net-zero migration », devrait entraîner un ralentissement de la croissance démographique qui, à son tour, ralentira la consommation.
Une politique budgétaire sans effet sur la consommation, particulièrement celle des ménages les plus modestes
La politique budgétaire de l’administration Trump ne comporte pas, selon les études non-partisanes, de caractère redistributif. La loi de réconciliation budgétaire « One, Big, Beautiful Bill Act » (OBBBA), qui pérennise les baisses d’impôts du « Tax Cuts and Jobs Act » (TCJA) de 2017, élargit la déduction standard et ajoute quelques mesures complémentaires, telles que la défiscalisation temporaire des pourboires et des heures supplémentaires.
Le Congressional Budget Office (CBO) estime que, en comparaison d’une législation dans laquelle les mesures temporaires du TCJA auraient expiré à la fin de l’année, la loi OBBBA conduit à un gain qui croît avec le niveau des revenus des ménages, sauf pour ceux appartenant aux deux premiers déciles de la distribution de revenu pour lesquels l’effet est négatif[10] .
Cela contraste nettement avec l’approche privilégiée par l’administration Biden. De plus, l’OBBBA relève principalement d’une prolongation et d’une extension du TCJA de 2017 : (i) la loi prolonge la fiscalité en place et ne génère donc pas de nouvelles incitations ; (ii) les réductions d’impôts introduites par l’administration Trump I en 2017 n’ont pas montré d’impact positif significatif sur l’emploi ni sur la progression des salaires[11] , ce qui réduit les chances que l’OBBBA stimule la demande des ménages.
L’administration américaine espère que les droits de douane seront supportés par les entreprises étrangères et financeront les baisses d’impôts de l’OBBBA. Toutefois, les droits de douane additionnels, dès lors que leur produit n’est pas redistribué aux populations à forte propension à consommer, peuvent être perçus, en partie, comme une taxe inflationniste venant pénaliser le pouvoir d’achat et donc la consommation de ces derniers, tandis que la consommation des plus aisés est préservée, voire favorisée. La prise de conscience politique de cet aspect a conduit l’administration à entériner des réductions de droits de douane sur les produits alimentaires et à évoquer un « chèque tarifs » de USD 2 000.
Les estimations du Yale Budget Lab font état d’une réduction du revenu disponible des ménages pour les huit premiers déciles de la distribution des revenus, sous l’effet combiné de l’OBBBA et des droits de douane ; l’effet étant décroissant en fonction du revenu (graphique 14).
ÉVOLUTIONS DU REVENU DISPONIBLE BRUT SUR LA PÉRIODE 2026-2034
Consommation et immobilier : vers une poursuite du trade-off
Étonnamment, la surperformance récente de la consommation américaine est intervenue en dépit du resserrement monétaire le plus ample et le plus rapide enregistré depuis le début des années 1980. En effet, la Fed a relevé de +525 pb sa cible de taux entre mars 2022 et juillet 2023, avec les conséquences associées en matière de durcissement des conditions financières. Cela a conduit à une augmentation des taux pratiqués sur les emprunts hypothécaires, de 3% fin 2021 à 7-8% en 2023 (en moyenne à 30 ans). Mais, ce changement de régime de taux n’a entraîné qu’une augmentation modeste du service de la dette immobilière – il est passé de 5,6 à 5,9% du revenu disponible depuis le T1 2022 (soit son niveau pré-pandémique). En effet, même si les propriétaires ont pu conserver leurs niveaux de consommation, les ventes de logements se sont nettement repliées depuis début 2023 et ont chuté bien en deçà des volumes observés après le déclenchement la crise financière de 2008, ce qui explique que le poids du service de la dette immobilière n’ait augmenté que marginalement.
Cependant, le biais favorable à la consommation pourrait perdurer par défaut. Il paraît improbable que l’assouplissement monétaire en cours (nous anticipons deux nouvelles baisses de taux [-25 pb chacune] d’ici à la mi-2026 après les -50 pb cumulés de septembre/octobre 2025) apporte une impulsion importante au marché de l’immobilier via une baisse des taux d’emprunt. En effet, ce sont les rendements à 10 ans des bons du Trésor américain, plus que la cible des Fed Funds , qui font office de référentiel principal pour les taux hypothécaires. Or, la transmission des baisses de taux de la Fed à la partie « long terme » de la courbe des taux a été imparfaite au cours des derniers trimestres : malgré 125 pb de baisse cumulée depuis septembre 2024, le rendement à 10 ans des bons du Trésor américain se situe, en octobre 2024, plus de 40 pb au-dessus de son niveau pré-assouplissement. La tendance devrait se prolonger, selon nos prévisions, avec un taux à 10 ans à 4,5% à la fin 2026, malgré un taux directeur à 3,5% ; ce qui correspond à un taux d’emprunt immobilier à 30 ans de 6-7%. Cela ne plaide pas pour un rebond de l’immobilier résidentiel, à plus forte raison dans un contexte de pression accrue sur le marché du travail.
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Les projections concernant la consommation des ménages sont soumises à des aléas importants. Aux États-Unis, singulièrement, puisque cette consommation dépend davantage qu’en Europe d’effets de richesse sur lesquels pourrait peser un retournement des marchés, notamment en lien avec les valorisations observées dans les entreprises liées au développement de l’intelligence artificielle. En Europe, ces aléas apparaissent plus équilibrés. Les derniers indicateurs de conjoncture confirment toutefois une amélioration notable. Même si elles restent élevées, les craintes des ménages européens concernant le marché du travail se sont récemment repliées et pourraient continuer de le faire, le marché du travail se révélant résilient. A contrario , le rebond modéré des salaires réels (après une diminution de ces derniers lors de la période inflationniste) et le maintien de l’incertitude à un niveau relativement élevé pourraient jouer à la baisse sur les perspectives de redémarrage de la consommation des ménages en Europe.
Achevé de rédiger le 3 novembre 2025
[1] Les auteurs remercient François Faure pour sa contribution à l’analyse économétrique.
[2] Ni le taux de chômage (qui peut générer une épargne de précaution), ni l’inflation (pouvant générer une épargne pour compenser les effets d’encaisses réels) ne ressort comme variable explicative dans la relation de long terme. Ce deux variables apparaissent parfois significatives et sont donc retenues comme variables explicatives dans les dynamiques de court terme.
[3] Le rendement moyen des obligations allemandes libellées en euros à 10 ans a été utilisé.
[4] Voir notre Graphique De La Semaine du 23 juillet 2025, Bonne nouvelle pour la BCE : les anticipations d’inflation des ménages sont revenues à la normale , L. Barette.
[5] Note de conjoncture de juin 2025, L’épargne des ménages au sommet .
[6] Voir notre Graphique De La Semaine du 8 janvier 2025, Le pouvoir d’achat des ménages a-t-il retrouvé son niveau d’avant la poussée d’inflation ? , L. Barette et H. Baudchon. Depuis le rattrapage s’est amélioré de quelques décimales de point de pourcentage, sauf en Allemagne et au Japon.
[7] Mai Dao, La-Bhus Fah Jirasavetakul, and Jing Zhou. Drivers of Post-COVID Private Consumption in the U.S. , IMF Working Papers 2024, 128 (2024), accessed October 31, 2025, https://doi.org/10.5089/9798400281044.001
[8] La propension marginale à consommer la richesse immobilière est passée de 0,06 sur la période 1990-2019 à 0,15 sur la période 2020-2023.
[9] Top 10% of Earners Drive a Growing Share of US Consumer Spending - Bloomberg , septembre 2024.
[10] CBO, 2025
[11] Brookings, 2021