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Rearm Europe : faire du défi du réarmement une opportunité pour l’industrie et la croissance européennes

25/06/2025
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De nombreux pays européens ont décidé d’augmenter significativement leurs dépenses militaires, au premier rang desquels l’Allemagne. Cet effort sera-t-il favorable à la croissance ? Cela dépendra de la capacité de l’Europe à augmenter, ou non, sa production de matériel militaire. Cela dépendra, ensuite, des effets d’éviction éventuels (inflation, taux d’intérêt) liés à une augmentation des dettes publiques. La capacité de l’industrie européenne à répondre à la demande (hausse des dépenses militaires de l’UE de 2 à 3,5% du PIB) sera décisive. Une réallocation de capacités de production actuellement sous-utilisées (automobile, biens intermédiaires principalement) pourrait permettre d’augmenter la production.

La Commission européenne a annoncé le 4 mars dernier un plan de réarmement européen (Rearm EU ou Readiness 2030). Il prévoit de mobiliser EUR 800 mds pour permettre aux dépenses militaires de l’Union européenne (UE) d’atteindre 3,5% du PIB d’ici la fin de la décennie (contre 1,9% en 2024)[1]. Ce plan sera mis en œuvre par les États membres dans le cadre d’efforts renforcés de programmation commune afin d’assurer la complémentarité des initiatives nationales. Plusieurs pistes de financements communs sont toutefois identifiées, dont EUR 150 mds inclus dans le plan. Une autre piste pourrait être l’intégration d’un financement dédié à l’effort de défense au prochain budget de l’UE.

Le soir même de l’annonce, la coalition allemande tout juste formée annonçait déjà son propre plan : une hausse du budget de la défense rendue possible par l’exclusion des dépenses militaires de la règle du frein à l’endettement, si celles-ci dépassent 1 point du PIB. Cela permettrait même à l’Allemagne de porter à terme ses dépenses à 5 points de PIB, comme l’a récemment suggéré F. Merz.

La mise en œuvre de ces mesures bénéficiera-t-elle à la croissance européenne ? Trois points critiques, que nous allons développer, permettront de juger de leur impact :

- La traduction de l’effort de défense dans les budgets nationaux,

- Son impact en termes de déficit budgétaire (ainsi que de dette et de taux d’intérêt), de croissance et d’inflation,

- La capacité de l’industrie européenne à produire les équipements additionnels nécessaires afin de maximiser les gains en termes de croissance, tout en réduisant le risque inflationniste. En la matière, la reconversion de sites industriels pourrait aider à court terme, avant que l’investissement dans de nouveaux projets permette d’accroître l’offre de façon plus significative et durable.

Des budgets nationaux déjà en ordre en marche

Plusieurs pays européens avaient déjà amorcé une hausse de leurs dépenses militaires avant le 4 mars 2025 : la Pologne et les trois pays baltes (dont les budgets militaires dépassent déjà 3 points de PIB), ou encore l’Allemagne (augmentation de 1,5% à 2,1% entre 2022 et 2024) et la France dont l’effort était plus graduel (2,1% du PIB en 2024 contre 1,9% en 2022). En revanche, d’autres pays, dont les dépenses militaires étaient parmi les plus faibles en points de PIB, notamment l’Espagne et l’Italie, n’avaient pas programmé de montée en charge (graphique 1).

DÉPENSES MILITAIRES DES PRINCIPAUX PAYS
DE L’OTAN EN 2024

Le principal changement tient dans le plan allemand. Celui-ci n’indique pas formellement de montant mais acte que les dépenses militaires ne seront plus limitées par la règle du frein à l’endettement. Il met ainsi en place un guichet ouvert, à charge pour la coalition au pouvoir d’en définir le montant effectif. Toutefois, notre interprétation est que sa mise en œuvre devrait être rapide et les dépenses militaires atteindraient 3% du PIB dès 2027[2].

Les dépenses devraient également significativement s’accroître dans les pays où elles étaient jusqu’à présent les plus faibles avec l’objectif de se rapprocher rapidement de la moyenne européenne actuelle de 2 points de PIB. L’Espagne et la Belgique ont d’ores et déjà annoncé des plans, et l’Italie devrait suivre. Dans les pays nordiques, qui disposent de marges de manœuvre budgétaires, l’objectif des 3,5% du PIB en 2030 devrait être tenu, en particulier en Suède.

L’effort additionnel sera plus modéré pour les pays dont les budgets de défense ont déjà été accrus et/ou dont la marge de manœuvre budgétaire est plus contrainte. C’est le cas de la France et des pays d’Europe centrale et orientale.

UE : DÉPENSES MILITAIRES ADDITIONNELLES 2025-2027
PAR RAPPORT À 2024 (MDS EUR)

Le graphique 2 montre la montée en charge des dépenses militaires dans l’UE par pays d’ici à fin 2027. Entre ce qui était déjà prévu et ce qui a été annoncé entre début mars et mi-juin, les dépenses envisagées sont cohérentes avec les métriques énoncées dans le plan Rearm EU. Selon nos calculs, les dépenses militaires augmenteraient d’environ 1 point de PIB (soit EUR 180 mds), passant d’une moyenne de 1,9% du PIB en 2024 à 2,8% en 2027. Elles seraient donc sur la bonne trajectoire pour atteindre 3,5% du PIB d’ici à la fin de la décennie.

Augmentation des dépenses militaires à budget constant ou hausse de la dette publique

Finances publiques et taux longs

Les conséquences de ce plan sur les finances publiques des pays membres dépendront de la façon dont elles seront ajustées afin de composer avec l’augmentation des dépenses militaires[3]. Certains pays ont d’ores et déjà indiqué qu’elle se ferait à budget constant. C’est le cas de la France, dont le déficit public est important (5,8% du PIB en 2024) et qui a entrepris une consolidation pluri-annuelle afin de limiter l’augmentation de sa dette publique.

D’autres ont augmenté leur déficit et financent donc cette augmentation de budget par la dette. C’est le cas de la Pologne (déficit de 6,6% du PIB en 2024 et dette en hausse de 49,7% du PIB en 2023 à 55,3% du PIB en 2024). L’Allemagne devrait suivre. C’est ce que suppose l’exclusion des dépenses militaires (au-delà de 1 point de PIB) de la règle du frein à l’endettement.

Selon nos calculs, l’Allemagne passerait ainsi d’un déficit public de 2,8% du PIB en 2024 à 5% du PIB en 2027 (quand les plans d’investissement dans la défense et les infrastructures seront pleinement appliqués). Par la suite, des mesures d’économies (envisagées, mais non détaillées par le gouvernement) devraient permettre de réduire le déficit. Cela n’empêcherait toutefois pas une augmentation du ratio de dette publique, qui atteindrait près de 71% du PIB à la fin de la décennie (contre 62,5% du PIB en 2024). La dette passerait en valeur absolue de EUR 2692 mds en 2024 à près de EUR 3750 mds en 2030 (près de +40%).

Cette augmentation aurait un impact durable sur les taux allemands : +40 pb entre 2,5% leur niveau actuel et 2,9% en fin d’année dès 2025, +40 pb de nouveau en 2026 au-delà. Dans les autres principaux pays de la zone euro, l’effort de défense ne serait pas financé par une augmentation additionnelle de la dette (par exemple en France, la dette augmenterait en raison d’un déficit public par ailleurs élevé, mais pas en raison de l’effort de réarmement). En Italie ou en Espagne, la décrue engagée du ratio de dette serait ralentie par les dépenses additionnelles (nettement moins importantes qu’en Allemagne, voir graphique 2), mais elle ne serait pas remise en cause.

Toutefois, comme les spreads avec le taux allemand ont déjà fortement diminué, ils risquent de ne pas se contracter suffisamment pour éviter une hausse des taux longs (Italie, Espagne). Dans le cas de la France, le maintien du spread proche de son niveau actuel entraînerait une répercussion intégrale de la hausse des taux allemands sur les taux français. En Europe centrale, le niveau relativement contenu de la dette publique (55% du PIB en 2024 en Pologne) a, jusqu’à présent, permis d’éviter une augmentation des taux longs (qui restent toutefois proches des plus hauts atteints au terme de la période d’inflation, soit 5,8% sur le 10 ans polonais). Par ailleurs, le niveau des taux longs dépendra aussi de l’impact anticipé et effectif des efforts de réarmement sur la croissance et l’inflation (et donc de la politique monétaire).

Impact du réarmement sur la croissance et l’inflation en 2025-2027

Nos calculs en matière de finances publiques, décrits plus haut, intègrent une estimation de l’impact des dépenses militaires additionnelles sur la croissance[4]. Cet effet serait particulièrement positif pour les pays qui augmenteront leurs déficits. En Allemagne, il passerait, selon nos calculs, d’abord par une augmentation de la consommation publique (deux tiers de l’effet) et de l’investissement public (un tiers de l’effet), des proportions proches de ce qui a été observé jusqu’ici en moyenne dans l’UE selon des données du Conseil européen.

Nous faisons ensuite l’hypothèse d’un effet multiplicateur supérieur à 1, malgré le fait qu’une partie des matériels sera importée. Près de 80 à 90% de l’investissement public concerne des achats d’équipements militaires dans les pays de l’UE. La partie importée varie (10% en France, près de 50% en Allemagne).

Plusieurs effets joueraient dans le sens contraire et soutiendraient le multiplicateur :

- Les investissements dans le secteur privé pour répondre à l’augmentation de la commande publique, que faciliterait la reconversion de capacités de production industrielles sous-utilisées à même de répondre à cette demande.

- Le rôle de la politique budgétaire nationale avec les mesures complémentaires mises en place par la coalition allemande. Notamment, un mécanisme de suramortissement de l’investissement en équipement des entreprises[5], actuellement soumis au Bundestag.

- L’existence de financements européens mobilisés seulement quand la production dans l’UE atteint au moins 65% de l’investissement réalisé (fonds dit SAFE, Security Action For Europe) ; il s’agirait d’un autre soutien à l’effet multiplicateur des dépenses militaires instaurant une forme de préférence communautaire.

En définitive, l’impact sur la croissance allemande serait de +0,4pp en 2025, +0,7pp en 2026 et +0,6pp en 2027 (graphique 3).

ALLEMAGNE : IMPACT DES PLANS D’INVESTISSEMENT SUR LA CROISSANCE

Pour les pays qui réaliseront cet effort à budget constant, l’effet devrait être nettement plus modéré, mais il serait positif par le biais de deux canaux : un rebond de la production dans l’industrie, qui bénéficierait d’un relai de demande (point développé dans les parties « l’industrie européenne en panne de débouchés » et « le réarmement pour ne pas désindustrialiser davantage ») et l’effet d’entraînement des dépenses additionnelles sur le commerce intra-zone, notamment en Allemagne.

Ainsi, la zone euro devrait bénéficier d’un surcroît de croissance de +0,3pp en 2025, puis +0,5pp en 2026 et +0,5pp en 2027. Il proviendrait, dans un premier temps, des dépenses militaires (et en infrastructures en Allemagne). En dehors de l’Allemagne, la croissance des pays qui dépensaient peu (Espagne, Italie) en bénéficierait le plus.

Au fil du temps, l’effet d’entraînement sur le commerce intra-zone se renforcerait jusqu’à représenter la moitié de l’impact positif en 2027 (graphique 4). Un effet dont les économies ouvertes les mieux connectées à l’Allemagne devraient bénéficier en priorité (Pays-Bas, Belgique, Italie, France notamment).

ZONE EURO : IMPACT SUR LA CROISSANCE DES DÉPENSES MILITAIRES ADDITIONNELLES ET DES PLANS D’INVESTISSEMENT ALLEMANDS

Les conséquences en termes d’inflation sont plus incertaines. L’inflation a nettement diminué en Europe et les tensions sur l’offre, observées à la sortie de la période Covid, ont largement régressé[6]. Elles restent toutefois supérieures à ce qu’elles étaient avant la pandémie. En termes d’inflation, celle-ci devrait se maintenir à moyen terme autour de la cible de 2% de la BCE, pour la zone euro comme pour l’Allemagne. Toutefois, l’état actuel de sous-utilisation des capacités de production pourrait atténuer ce risque.

L'industrie européenne en panne de débouchés

Face à une augmentation notable de la demande, et compte tenu de l’ambition de l’UE d’augmenter significativement son autonomie stratégique, l’industrie va devoir s’adapter. Elle allouera ainsi une part croissante de ses capacités de production aux équipements militaires. Ainsi, l’utilisation des EUR 150 mds de financements communs inclus dans Rearm EU (fonds dits SAFE, Security Action For Europe) suppose un contenu européen d’au moins 65%, qui devrait permettre de soutenir un développement du secteur industriel en Europe.

Loin d’être une contrainte, cette situation constitue une opportunité pour une industrie qui souffre d’une demande faible persistante. De fait, la production manufacturière européenne a nettement diminué par rapport à 2017, année du pic de production notamment en Allemagne. Cette perte de production est la plus forte en Allemagne et en Italie, les deux leaders européens en termes de production industrielle. Elle touche en premier lieu l’automobile et les secteurs énergo-intensifs (dont la chimie, la métallurgie, les plastiques), ainsi que le textile en Italie (graphique 5).

DÉCOMPOSITION DE L’ÉVOLUTION DE L’INDICE DE PRODUCTION INDUSTRIELLE PAR SECTEURS PAR RAPPORT À 2017

Malgré une diminution de la demande notable depuis plusieurs années, les capacités de production sont restées élevées, dans l’attente d’un rebond de la demande qui n’est pas intervenu. Dans ce contexte, la baisse additionnelle du taux d’utilisation des capacités (TUC) de production, observée en 2024 (graphique 6), comporte le risque d’une destruction d’une partie d’entre elles.

TAUX D’UTILISATION DES CAPACITÉS DE PRODUCTION

Il existe plusieurs exemples de transformation d’usines visant à produire du matériel militaire en lieu et place de matériel civil (notamment en Allemagne et en France[7]), et d’autres capacités pourraient probablement être réallouées. En effet, la baisse de la demande, à laquelle ces secteurs font face, apparaît au moins en partie structurelle.

S’agissant de la demande externe, la baisse de la part de marché de l’Allemagne à l’exportation (principale puissance exportatrice de notre échantillon de pays sous revue ici, d’où notre focus) apparaît ainsi structurelle (graphique 7). D’une part, la montée en puissance de la Chine ne devrait pas se démentir en tant que concurrent, principalement dans l’automobile, la chimie et les équipements électriques ; d’autre part, le débouché américain, qui a été un véritable relai de croissance pour les entreprises allemandes pendant 5 ans, devrait souffrir de la nouvelle politique tarifaire de l’administration Trump.

ÉVOLUTION DES PARTS DE MARCHÉ À L’EXPORTATION

Concernant la demande interne, nous anticipons un rebond modéré des immatriculations automobiles, qui ne combleraient pas toutefois l’écart avec le niveau pré-Covid[8] (cumul sur les 12 derniers mois inférieur de près de 20% par rapport à ce niveau). Un mélange de contraintes conjoncturelles et de défis structurels spécifiques au secteur automobile devrait freiner son redressement, en tout cas dans l’immédiat, et laisser les capacités de production durablement sous-utilisées. Autre secteur, autre problème : celui de la construction de logements (autre débouché important pour les biens intermédiaires). Son manque de rebond limite également la demande et contribue à la sous-utilisation des capacités de production.

Un réarmement pour ne pas désindustrialiser davantage

L’ampleur des capacités de production additionnelles, qui devront répondre à l’augmentation de la demande d’équipement militaire, est importante compte tenu de l’effort de réarmement annoncé. Tous les secteurs industriels ne sont pas dans la même situation. Ainsi, le TUC ne semble pas avoir diminué dans l’aéronautique, et ce secteur aura aussi besoin de nouvelles capacités pour répondre à la demande. En revanche, l’automobile, le secteur des biens intermédiaires énergo-intensifs ou celui des équipements électriques affichent une sous-utilisation de leurs capacités de production.

Pour autant, toutes les capacités inutilisées pour le moment ne sont pas disponibles pour être réallouées. En effet, un rebond de la conjoncture ferait naturellement remonter le TUC. Toutefois, un retour aux niveaux observés avant la pandémie semble peu probable car ils correspondaient à des niveaux de demande qui ne devraient plus être atteints. L’un des reflets de cette sous-utilisation des capacités de production est la diminution de la productivité du travail. Dans sa dernière estimation pour la France, la Banque de France souligne que la productivité des branches marchandes était inférieure de 5,6 points fin 2024 à ce que la tendance 2010-2019 aurait impliqué ; 4,3 points seraient durables (près des trois quarts), ce qui confirme notre conclusion selon laquelle ces capacités de production resteront sous-utilisées à l’avenir.

UE : CAPACITÉS DE PRODUCTION « DISPONIBLES » DANS LES PRINCIPAUX PAYS (MDS EUR)

La diminution des capacités de production dans les secteurs concernés ou leur reconversion vers la production de matériel militaire pourrait donc aussi redresser cette productivité (seule la seconde option aurait un impact positif sur la croissance).

Les TUC de 2022-2023, plus bas que ceux d’avant-Covid, correspondent à une période de forte activité lorsque l’industrie s’est mise à tourner à plein régime (à différents moments selon les secteurs) afin de rattraper d’importants retards de production apparus post-Covid. Cette situation correspond à notre sens à ce qui pourrait constituer désormais un haut de cycle.

Entre le niveau moyen du TUC en 2022-2023 et le pic du TUC pré-Covid, les capacités de production pourraient donc être réallouées, car elles n’ont plus été utilisées depuis plus de 5 ans[9]. Pour estimer ce que cela représenterait en milliards d’euros, il convient également d’estimer le niveau de production en 2024[10].

Notre estimation porte sur les plus grands pays européens (Allemagne, Italie, France, Espagne, Pologne, Pays-Bas, Suède). Il en résulte que, en moyenne sur les secteurs concernés, près de 6,5 points de leurs capacités de production pourraient être réalloués pour un cumul potentiel de production de près de EUR 180 mds (dont le tiers dans le secteur automobile, graphique 8). Près de la moitié de ce montant proviendrait d’Allemagne eu égard à la taille de son secteur industriel.

En moyenne sur notre échantillon de sept pays, cela représente près de 1 point de PIB de production additionnelle potentielle. Or, sur 1,5 point de PIB de dépenses militaires additionnelles d’ici à la fin de la décennie (pour passer de 2 à 3,5% du PIB de dépenses), une partie seulement aura trait à des dépenses d’équipement (près de 27% des dépenses militaires de l’UE en 2024 selon des données du Conseil européen, une proportion voisine de ce que prévoient les plans belge ou espagnol). Même dans l’hypothèse où l’accroissement des dépenses passerait pour deux tiers par un investissement additionnel en équipement militaire, cela représenterait l’équivalent de 1 point de PIB par an : un montant donc à peu près équivalent à ce que permettrait la réallocation des capacités de production inutilisées.

Enfin, répondre à la demande en partie au travers de sites existants pourrait :

- Éviter une hausse du chômage en cas de fermeture d’un grand nombre de sites industriels ;

- Permettre de réduire les besoins de financement associés si ces reconversions limitent le montant des investissements nécessaires ;

- Permettre d’accélérer la production de matériel militaire si ces reconversions étaient suffisamment rapides ;

- Soutenir la productivité et donc la croissance, une des lectures (sectorielle) de la perte de productivité par rapport à l’avant Covid tenant dans la perte de production observée dans des secteurs dont la capacité de production est sous-utilisée (ex. : l’automobile) ;

- Permettre de limiter l’inflation, en réduisant les contraintes d’offre (moins de pénuries de main d’œuvre et de foncier si on utilise l’existant).

En conclusion, certaines conditions devront être remplies pour réussir l’effort de réarmement et maximiser son impact sur la croissance. La visibilité, qui passe par des commandes publiques fermes et durables, est un élément important. Le financement, qui passera autant par la mobilisation des outils à disposition du secteur public que par ceux du secteur privé, en est un autre (voir notre EcoWeek du 26 mai 2025, « Comment financer le surcroit d’investissement nécessaire dans l’Union européenne »). Enfin, la mobilisation des acteurs économiques sera également nécessaire afin d’organiser davantage de reconversions de sites industriels. Ce que réalise l’Allemagne depuis de nombreuses années dans ce domaine, au travers d’une forte implication des collectivités locales, des municipalités et des Landers notamment, pour transformer des sites et des friches industriels, en est un parfait exemple.

Stéphane Colliac et Lucie Barette

[1] Depuis, un objectif de 5% du PIB a été évoqué et pourrait être retenu au sommet de l’Otan fin juin. Le point et demi additionnel (en sus des 3,5%) tiendrait à intégrer dans la comptabilité des dépenses militaires, certaines dépenses qui sont faites en parallèle mais pour le moment non incorporées à cette comptabilité (infrastructures, cyberdéfense, satellites militaires notamment). Il ne s’agirait donc pas nécessairement d’une dépense additionnelle.

[2] M. Rutte, le secrétaire général de l’Otan a déclaré qu’un objectif à 5% serait soumis au sommet de l’Otan de La Haye des 24 et 25 juin prochain selon les modalités suivantes : « I will propose an overall investment plan that will total 5% of GDP on defence investment – 3.5% of GDP for core defence spending and 1.5% of GDP per year in defence and security related investments, like infrastructure and industry »

[3] Sur le financement global des dépenses, dans une optique plus large que le seul effort de réarmement, voir notre graphique de la semaine, « UE : Réarmement, transitions énergétique et numérique, la mesure de l’effort »

[4] Voir notre estimation de l’impact des plans allemands sur la croissance outre-rhin, « Allemagne : quoi qu’il en coûte » et des plans de l’ensemble des pays européens sur la croissance en zone euro, « Droits de douane : le grand chamboule-tout ».

[5] En amortissant davantage de leurs investissements les premières années, les entreprises verraient ainsi leur bénéfice imposable diminuer (et donc leur impôt sur les sociétés en 2026 et 2027), avant que le gouvernement mette en place, à partir de 2028, une baisse de 15 à 10% de l’impôt sur les sociétés.

[6] Voir notre dernier baromètre de l’inflation, avril 2025

[7] Notamment la reprise du site des fonderies de Bretagne par Europlasma en France ou la réorientation de l’usine Rheinmetall de Neuss vers la production de satellites militaires (au lieu de l’automobile).

[8] Voir la dernière étude de l’Observatoire Cetelem sur le secteur automobile.

[9] Le pic du TUC pré-Covid correspond à 2017 pour l’automobile et à 2019 pour les autres secteurs.

[10] La production en valeur est ainsi estimée pour 2024 (la dernière donnée observée correspond à 2022 ou 2023 selon les pays) en utilisant les évolutions des indices de production en volume, ainsi que les données de prix à la production disponibles par secteurs.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées