Edito

Budget français : le plus dur est devant nous

19/05/2025
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Budget français : le plus dur est devant nous

Le déficit public de la France s’est dégradé en 2023 comme en 2024. La dynamique des dépenses a été maintenue, alors même que les recettes publiques avaient perdu la leur. Le budget 2025 devrait permettre un début de consolidation grâce à un rebond des recettes. Toutefois, le poids des dépenses dans le PIB devrait se révéler relativement stable. L’enjeu de la poursuite de la consolidation budgétaire en 2026 reste donc entier. Cet exercice sera contraint par la hausse attendue de la charge d’intérêt et des dépenses militaires.

Le prochain budget s’est d’ores et déjà invité dans le débat public français. L’adoption tardive du budget 2025 et le contexte politique difficile justifient le fait que ce sujet émerge tôt. D’autant plus que le gouvernement projette de nouveau de réduire le déficit public en 2026, alors que la baisse de la croissance en 2025 fragilise déjà la cible de déficit (5,4% du PIB) cette année.

Un coup d’œil dans le rétroviseur

Il est important que cibles budgétaires initiales et exécution finale coïncident en 2025, après deux années de net décalage (surcroît de déficit public de 0,4 point de PIB en 2023 et de 1,4 point en 2024 par rapport aux cibles initiales). L’augmentation du déficit en pourcentage du PIB a donc été constante entre 2022 (-4,7%, puis -5,4% en 2023) et 2024 (-5,8%). Les autres pays de la zone euro ont pourtant, pour l’essentiel, continué de consolider leurs finances publiques. La charge d’intérêt ne s’est que modérément accrue sur la période (2,1% du PIB en 2024, contre 2% en 2022) et n’est donc pas en cause. L’explication réside dans un décalage important entre recettes et dépenses publiques.

Les dépenses publiques ont globalement suivi la croissance nominale du PIB sur la période d’inflation. Le niveau de leur poids dans le PIB est demeuré élevé au-delà du niveau pré-Covid. Ainsi, le budget a totalement compensé l’inflation, là où une compensation partielle aurait permis de revenir au poids des dépenses publiques observé avant la pandémie. Les prestations sociales ont notamment fortement augmenté, plus vite que l’inflation contemporaine en 2024, tandis que les retraites ont compensé l’inflation observée (plus élevée) de 2023[1].

Ce faisant, la France a aussi maintenu son surcroît de dépenses publiques par rapport aux autres pays européens. Il procède principalement du poids de son système de sécurité sociale qui dépasse celui des autres pays européens. De plus, le poids des dépenses sociales dans le PIB s’est renforcé en 2024. Il a ainsi retrouvé le plus haut (hors période de Covid) atteint en 2014, avant qu’une consolidation budgétaire, entre 2014 et 2019, permette de réduire un peu leur poids (graphique 1)[2].

DÉPENSES PUBLIQUES PAR ADMINISTRATION EN % DU PIB EN 2014, 2019 ET 2024 (DONNÉES NON CONSOLIDÉES)
PART DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES ET AUTRES RECETTES DANS LE PIB (PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES NON RETRAITÉS DES CRÉDITS D’IMPÔTS)

Or, la base taxable à même de financer ces dépenses n’a pas connu la même dynamique. Les salaires ont progressé moins rapidement que l’inflation tout comme les cotisations sociales assises sur ces derniers. Le recul des prélèvements obligatoires (PO) en pourcentage du PIB concerne également d’autres postes mais pour des raisons différentes (graphique 2). Les recettes de la TVA ont pâti de l’atonie de la consommation et les droits de mutation du repli des transactions immobilières. Les recettes au titre de l’impôt sur le revenu ont été pénalisées par l’indexation du barème des tranches d’imposition sur l’inflation. L’une des seules bonnes nouvelles a été la solidité des marges des entreprises en 2023-24. Les impôts payés par les entreprises se sont donc stabilisés en 2024, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés (IS) ou des impôts de production (après un retour à la normale des recettes au titre de l’IS en 2023, qui avaient été exceptionnellement élevées en 2022 en raison de l’effet des aides Covid sur le bénéfice imposable).

2025 : la consolidation débute

2025 devrait marquer un premier tournant. Évacuons tout d’abord le seul train qui devrait continuer de ne pas arriver à l’heure du côté des recettes : la TVA. En effet, les hypothèses du gouvernement concernant la hausse de la consommation des ménages restent supérieures aux nôtres (1,2% contre 0,7%). Elles seront d’autant plus difficiles à atteindre compte tenu de la stagnation de la consommation observée au 1er trimestre. Pour le reste, la dynamique des recettes devrait engendrer un léger rebond du poids des PO dans le PIB :

  1. Les salaires progressent désormais plus rapidement que l’inflation : les cotisations sociales, la CSG et le CRDS devraient donc suivre.
  2. La résilience de la situation des entreprises en 2024 devrait permettre de soutenir les rentrées fiscales au titre de l’impôt sur les sociétés.
  3. En l’absence de nouveau geste en faveur des ménages (tel que l’indexation sur l’inflation des tranches d’imposition de l’impôt sur le revenu en 2023-24), le produit de l’impôt sur le revenu devrait croître à un rythme plus proche de la croissance du PIB.
  4. Les deux mesures annoncées comme exceptionnelles, la surtaxe d’impôt sur les sociétés et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, devraient assurer un rebond du poids des recettes publiques dans le PIB.

À moyen terme, une consolidation budgétaire réussie — i.e. qui permette à terme de stabiliser la dette publique et ne pénalise pas trop la croissance — ne saurait trop reposer sur les recettes. Les prélèvements obligatoires sont en effet supérieurs à la moyenne européenne. C’est le cas pour les entreprises, principalement au travers des impôts de production. Malgré une baisse, leur niveau reste supérieur à ce qui est observé dans la plupart des autres pays européens (en dehors de la Suède). Une hausse des prélèvements augmenterait le décalage entre la fiscalité française et celle de ses principaux voisins, et dégraderait la compétitivité de la France.

Davantage de marges de manœuvre apparaissent du côté des dépenses publiques, tout d’abord parce que leur poids dans le PIB est supérieur à celui d’avant Covid-19. Avec l’indexation intégrale des prestations sociales sur l’inflation en 2023-24, ces dernières ont pris un poids majeur dans la dynamique du revenu disponible des ménages. Ce poids pourrait diminuer désormais plus facilement puisque les salaires progressent depuis près d’un an plus vite que l’inflation, et qu’ils devraient continuer à le faire. Or, nos anticipations soulignent une relative stabilité du ratio de dépenses publiques sur PIB en 2025. C’est bien principalement le rebond des recettes qui permettrait un repli du déficit.

2026 : le triangle d’incompatibilité d’une consolidation…qu’il faudra pourtant poursuivre

En 2026, les marges de manœuvre budgétaires seront (encore plus) limitées en raison de l’augmentation de la charge d’intérêt et des dépenses militaires.

En 2026, la donne devrait changer plus sensiblement concernant la charge d’intérêt. En 2025, elle devrait encore rester contenue. En effet, l’impact du reflux de l’inflation sur les obligations indexées devrait compenser celui de la hausse des taux. Toutefois, le plein effet de cette dernière sur la charge d’intérêt se fera de plus en plus ressentir, en raison de la maturité moyenne de la dette publique (8 ans et demi). La situation devrait se détériorer à partir de 2026. Selon nos estimations, la charge de la dette devrait croître de près de 0,4 point de PIB en 2026, et de plus de 0,3 point de PIB par an en moyenne entre 2025 et 2029. Elle pèserait d’autant sur le déficit public. Sa contribution au déficit public passerait ainsi de 2,2 points de PIB en 2025 à 3,6 points en 2029 (graphique 3), dépassant alors son précédent record (3,1% du PIB en 1996). De plus, une hausse additionnelle de 50 pb des taux d’intérêt accroîtrait encore la charge d’intérêt, avec un effet cumulatif (0,1 point de PIB de plus au bout de 2 ans, 0,3 point au bout de 5 ans).

CHARGE D’INTÉRÊT EN % DU PIB

S’agissant des dépenses militaires, le budget 2025 prévoit une hausse de près de EUR 4 mds par rapport à 2024 (un peu plus de 0,1 point de PIB). À partir de 2026, cet effort devrait encore s’accélérer et le budget augmenter de près de 0,2 point de PIB par an. Cela permettrait aux les dépenses militaires d’atteindre 3% du PIB en 2030 (soit 0,5 point de PIB de plus que ce que prévoit la loi de programmation militaire), hypothèse que nous retenons, étant donné la volonté d’accélérer l’effort de réarmement. Néanmoins cet effort devrait être lissé dans le temps, compte tenu du niveau élevé du déficit public. En 2026, ce sera donc 0,6 point de PIB de dépenses supplémentaires avec ces deux coûts additionnels (le service de la dette et l’effort de réarmement).

Dans ce contexte, ramener le déficit public à 5% (notre hypothèse pour 2026), c’est-à-dire le réduire de 0,4 point de PIB par rapport à 2025, nécessiterait un effort de 1 point de PIB sur le déficit primaire (1,4 point pour le ramener à 4,6% du PIB, comme le projette pour le moment le gouvernement). Considérant une croissance du PIB affaiblie en 2025 (0,6%) et le retour à son rythme de 2023-24 en 2026 (1,1%), les marges de manœuvre devraient rester réduites côté augmentation des recettes. Ce sera donc vers une réduction du poids des dépenses dans le PIB (en dehors des deux postes décrits plus haut) qu’il faudra probablement s’orienter. En d’autres termes, une hausse des dépenses publiques certes, mais moins rapide que celle du PIB. En effet, les salaires progressent depuis 2024 plus vite que l’inflation. Le soutien des dépenses publiques est donc moins indispensable à la protection du pouvoir d’achat des ménages qu’en 2022-23.

Les choix budgétaires seront certainement difficiles à faire accepter, mais leur report ne ferait que compliquer davantage l’équation. En effet, même avec un scénario de consolidation budgétaire d’ici à 2029 (ce qui ramène, dans nos prévisions, le déficit public à 3,5% du PIB à cet horizon), la dette publique augmenterait de nouveau pour atteindre près de 120% du PIB (soit 7 points au-dessus du niveau de 2024). La consolidation budgétaire sera, alors, plus difficile : à la fin de la décennie, la France devra a minima parvenir à équilibrer son budget primaire (c’est-à-dire hors charge d’intérêt), compte tenu de la dynamique des taux d’intérêt et de la croissance nominale moyenne attendue dans les prochaines années (2,5%), si elle veut stabiliser sa dette[3].

[1] Les prestations ont augmenté de 5,5% contre une croissance nominale du PIB de 3,5%, 2% d’inflation en 2024 après 4,9% en 2023 en moyenne annuelle

[2] Sur le graphique, les dépenses publiques par administration sont non consolidées. Elles incorporent donc les transferts entre administrations, dont les principaux concernent ceux de l’État vers la sécurité sociale et les collectivités locales. L’écart entre dépenses publiques consolidées et non consolidées est stable entre 2019 et 2024, de l’ordre de 6 points de PIB (7 points de PIB en 2014).

[3] Cf. notre analyse dans Graphique de la semaine, « Stabilisation des dettes publiques : des surplus budgétaires primaires seront nécessaires dans de nombreux pays », 24 avril 2025

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