Edito

Détérioration des perspectives de croissance sous l’effet du choc tarifaire américain : une mise à jour

22/04/2025
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Les annonces du 2 avril, dévoilant une augmentation massive et généralisée (quoique différenciée par pays) des droits de douane américains, constituent un tournant majeur. Reste encore à déterminer quelles en seront toutes les conséquences. Qu’elles soient négatives, au premier chef pour les États-Unis, ne fait pas de doute. Les turbulences sur les marchés financiers américains en attestent déjà. Même en cas de désescalade (notre scénario central), une incertitude extrêmement importante demeure et l’activité s’en trouvera durablement pénalisée. D’après nos prévisions, l’économie américaine accuserait un ralentissement marqué mais échapperait à la récession. Le surcroît d’inflation attendu outre-Atlantique empêcherait la Fed d’assouplir sa politique monétaire en 2025. Le renforcement anticipé de la croissance de la zone euro, porté par les efforts de réarmement et d’investissement, serait amoindri par le choc tarifaire américain mais n’empêcherait pas la croissance de la zone euro de dépasser la croissance américaine en 2026. En 2025, la BCE continuerait d’avoir la tâche facile : le retour sécurisé de l’inflation à la cible et les risques baissiers sur la croissance confortent la poursuite des baisses de taux (notre scénario en prévoit deux de 25 pb chacune en juin et juillet). L’arbitrage inflation-croissance auquel est confrontée la BoE se rapproche de celui de la Fed mais pas au point de l’empêcher de poursuivre son assouplissement (une baisse par trimestre jusque début 2026). La BoJ, quant à elle, suspendrait la remontée précautionneuse de ses taux directeurs en raison de ses inquiétudes sur la croissance.

Avant / après

Il pourrait clairement y avoir un avant et un après le 2 avril 2025 et le choc causé par les annonces de Donald Trump, dévoilant une augmentation massive et généralisée (quoique différenciée par pays) des droits de douane américains, dépassant toutes les anticipations. Depuis, rétractations et revirements se sont enchaînés, à l’exclusion de la Chine, avec laquelle la surenchère s’est poursuivie (cf. notre Tariff tracker pour un récapitulatif). Ce choc néo-protectionniste américain est un tournant majeur, même s’il reste difficile à ce stade d’en imaginer toutes les conséquences, à court comme à long terme. Qu’elles soient négatives, en premier lieu pour les États-Unis, ne fait pas de doute ; l’incertitude porte davantage sur l’ampleur des répercussions et de la reconfiguration des échanges mondiaux et du système financier international. Même si l’on accorde du temps aux négociations et que celles-ci débouchent sur des accords et une levée ou un allégement des droits de douane, le contexte reste extrêmement incertain, avec des effets négatifs importants et pérennes sur l’activité[1].

Une baisse de croissance générale, surtout aux États-Unis

Avant les annonces du 2 avril, nous avions procédé, courant mars, à une double révision de nos prévisions de croissance, à la baisse pour les États-Unis (du fait d’une mise en œuvre des hausses de droits de douane un peu plus rapide et ample qu’initialement prévu) et à la hausse pour la zone euro (à la faveur d’une série d’annonces de la part de l’Allemagne et de la Commission actant d’un changement de pied majeur en termes de soutien à l’économie)[2]. Une conséquence directe et immédiate des annonces du 2 avril a été d’accentuer les risques baissiers sur l’économie américaine et de sérieusement secouer les marchés financiers. Le risque d’une récession aux États-Unis a fait une réapparition soudaine et remarquée. Nous lui assignons une probabilité de 25%. À ce stade, le scénario central que nous retenons est celui d’un ralentissement marqué de la croissance américaine (qui tomberait à 0,5% a/a au T4 2025 et à 1,3% en moyenne annuelle, puis à 1,1% en 2026). L’économie américaine échapperait à la récession sous l’hypothèse, optimiste, d’une désescalade tarifaire[3] assortie d’une moindre incertitude. Dans le cas contraire, la récession deviendrait le scénario le plus probable. Dans l’éventualité inverse où la désescalade allait plus vite et plus loin qu’anticipé, ce serait évidemment un plus pour la croissance.

L’accentuation du choc tarifaire post-Liberation Day affecte également les perspectives de croissance en Europe. Elle reprendrait environ la moitié du surcroît de croissance en zone euro généré par les efforts de réarmement et d’investissement et les effets d’entraînement entre pays. Nous prévoyons désormais une croissance de 1% en 2025 en moyenne annuelle et de 1,3% en 2026. Une amélioration est néanmoins toujours attendue entre 2025 et 2026, malgré le tassement américain, grâce à la montée en puissance du plan allemand sur les infrastructures et des dépenses de défense partout en Europe. Notre scénario, qui se caractérisait déjà par une convergence significative des taux de croissance entre les États-Unis et la zone euro, a désormais aussi pour particularité d’anticiper une croissance de la zone euro supérieure à celle des États-Unis en 2026. Ce n’est pas anodin et plus l’exception que la règle.

Au Royaume-Uni, la croissance en moyenne annuelle n’est que légèrement révisée à la baisse (à hauteur de -0,1 point, à 1% en 2025 et 0,8% en 2026, le pays étant moins sanctionné que ses voisins européens. Au Japon, le rebond attendu de la croissance en 2025, déjà modeste et s’intercalant entre deux années de croissance à peine positive (0,1% en 2024, 0,2% en 2026), a aussi été revu à la baisse (à 0,7% contre 1% précédemment) compte tenu de l’exposition forte du pays aux États-Unis.

Inflation au-dessus de la cible, sauf dans la zone euro

D’après nos prévisions, l’inflation américaine commencerait à visiblement remonter à compter du T3 2025, pour dépasser, légèrement, 3% a/a, jusqu’à atteindre un pic à 4% au T2 2026. En moyenne annuelle, l’inflation s’élèverait à 3,1% en 2025 et 3,7% en 2026. Cette hausse ne procède pas d’une mécanique inflationniste auto-entretenue comme en 2021-2023. De ce point de vue, elle revêt un caractère transitoire (à condition que la Fed ne procède pas à un assouplissement monétaire prématuré et/ou que son indépendance ne soit pas remise en cause). Un ralentissement plus marqué encore de l’économie américaine, voire une récession, pourrait modérer cette bosse d’inflation. Jusqu’à la faire disparaître ? C’est difficile à dire et pas plus acceptable comme conséquence de la guerre commerciale (inflation ou récession ? sachant que la combinaison des deux, c’est-à-dire la stagflation, reste un scénario possible). Le recul des prix du pétrole est, en revanche, un développement actuel favorable, qui va tirer vers le bas l’inflation américaine, mais pas seulement celle-ci.

Du côté de la zone euro, nous voyons la balance continuer de pencher du côté d’une poursuite de la désinflation et d’un retour sécurisé à la cible. Au niveau des composantes domestiques, la dynamique est désinflationniste, tandis qu’au niveau des composantes non-domestiques, l’inflation importée des États-Unis et les surcoûts entraînés par les frictions et la réorganisation des chaînes de production devraient être contrebalancés par le renforcement de l’EURUSD, l’absence de mesures de rétorsion d’envergure et la désinflation, voire la déflation, importée de Chine. En 2026, l’inflation headline passerait même, légèrement, sous la barre des 2%. En revanche, l’inflation sous-jacente resterait au-dessus de cette barre et s’inscrirait sur une légère tendance haussière dans le courant de l’année, alimentée par l’impulsion budgétaire allemande et les efforts européens de réarmement.

Au Royaume-Uni, la cible d’inflation apparaît hors de portée en 2025 comme en 2026, pour des raisons essentiellement internes (inflation alimentaire, dynamisme des salaires, des loyers) sans lien avec le choc tarifaire américain. Au Japon, une inflation au-dessus de la cible correspond a contrario à l’évolution recherchée afin de rompre la spirale de la déflation rampante.

La Fed fait face à l’arbitrage inflation-croissance le plus difficile, la BCE a la tâche la plus aisée

Nous continuons de penser que, compte tenu du risque de désancrage des anticipations d’inflation et au regard de nos prévisions, la Fed ne peut pas passer outre la remontée de l’inflation et baisser ses taux pour réagir au ralentissement de l’activité. Nous considérons que les risques haussiers sur l’inflation et ceux baissiers sur la croissance se neutralisent (et non que les seconds dominent les premiers, comme le suggèrent les baisses de taux « pricées » par les marchés). L’absence de baisse de taux confère à la politique monétaire un caractère restrictif en termes nominaux mais pas en termes réels compte tenu de la hausse de l’inflation. En 2026 en revanche, la Fed serait en mesure de reprendre ses baisses de taux (-100 pb), l’arbitrage inflation-croissance se déformant en faveur de la seconde.

Pour la BCE, les conditions restent réunies pour la poursuite de ses baisses de taux à court terme. Nous continuons d’en anticiper une autre de 25 pb en juin, après celle d’avril, précédant une nouvelle en juillet compte tenu des risques baissiers sur la croissance. Le taux de dépôt se situerait ainsi, à 1,75%, dans la fourchette basse de l’intervalle d’estimation du taux neutre (1,5-2,5%). En 2026, en revanche, sur la deuxième partie de l’année, la donne un peu plus favorable du côté de la croissance associée au caractère inflationniste de l’effort de réarmement amènerait la BCE à remonter ses taux (+50 pb d’après nos prévisions), accentuant davantage le découplage avec la Fed.

La BoE a les coudées moins franches que la BCE sur le front de l’inflation tout en faisant face à une situation économique difficile. D’après nos prévisions, cela amènerait la BoE à poursuivre son assouplissement au rythme lent d’une baisse par trimestre, en l’étalant jusque début 2026. La BoJ, qui se démarquait par une remontée précautionneuse de ses taux directeurs, se rapprocherait de ses pairs en suspendant cet ajustement pour le restant de l’année. Un statu quo comme la Fed mais pour des motifs différents : au Japon, ce sont les inquiétudes sur la croissance qui prédominent. Une fois ces inquiétudes passées, la BoJ reprendrait ses hausses prudentes de taux en 2026 (+25 pb au T1 et +25 pb au T3).

[1] Cf. EcoPerspectives pour une revue complète de notre analyse de la situation et des perspectives économiques actuelles des principales économiques avancées que nous suivons.

[2] Pour les États-Unis, nous avions abaissé notre prévision pour 2025 de 0,5 point de pourcentage (de 2,3% à 1,8% en moyenne annuelle) et laissé inchangée la prévision 2026 (1,3%). Pour la zone euro, nous avions rehaussé notre prévision pour 2025 de 0,4 pp (de 0,9% à 1,3%) et de 0,5 pp pour 2026 (de 1% à 1,5%).

[3] Tarif douanier effectif moyen sur les importations américaines rabaissé à 16% depuis 27,3% sur la base des annonces au 10 avril.

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