Eco Emerging

Chine : double circulation toujours difficile

12/07/2024
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En Chine, l’activité du secteur manufacturier reste dynamique, mais la montée des tensions avec la plupart de ses partenaires commerciaux et la multiplication des mesures protectionnistes pèsent dorénavant sur les perspectives d’exportations. Dans le même temps, la demande intérieure reste bridée par la crise du secteur immobilier et la croissance du crédit ralentit malgré les mesures d’assouplissement monétaire. Les autorités devraient donc encore assouplir, de manière prudente, leur politique économique à court terme. Les difficultés financières des collectivités locales et, plus généralement, la dégradation des finances publiques ont réduit la marge de manœuvre budgétaire. Le gouvernement central est contraint à prendre un rôle plus direct dans les mesures de soutien.

Menace protectionniste

PRÉVISIONS

Les différentes composantes de la croissance économique chinoise ont affiché des trajectoires variées depuis le début de l’année 2024. La performance d’ensemble est plutôt terne. Après un rebond à +1,6% en rythme trimestriel au T1 2024, la croissance devrait ralentir au T2.

Au cours des derniers mois, l’activité a été largement portée par le dynamisme du secteur manufacturier exportateur, lui-même soutenu par la politique industrielle très ambitieuse des autorités. Bien qu’elle ait légèrement ralenti en mai, la croissance de la production industrielle a atteint +6,2% en glissement annuel (g.a.) sur les cinq premiers mois de 2024 (contre +5,2% au S2 2023). Ce taux de croissance est proche de ceux enregistrés pendant les années pré-Covid (graphique 1). L’investissement manufacturier s’est quant à lui accru à un rythme soutenu depuis le début de l’année (+9,6% en g.a. contre +6,5% en 2023).

CHINE : DIVERGENCES ENTRE SECTEURS

La croissance industrielle a été largement tirée par la production de biens destinés à l’exportation dans les secteurs de haute technologie et de technologie verte. La production de puces électroniques et celle de véhicules électriques (VE) ont par exemple bondi de plus de +30% en g.a. en janvier-mai. Les exportations mesurées en dollars courants ont enregistré une hausse modeste sur les quatre premiers mois de 2024 (+2% en g.a.) puis ont rebondi de +7,6% en g.a. en mai. Surtout, les volumes d’exportations de marchandises ont atteint des niveaux records (+10% en g.a. au T1 2024), les entreprises chinoises gagnant des parts de marché grâce à la baisse de leurs prix de vente.

Ces stratégies ont aggravé les tensions entre la Chine et la plupart de ses partenaires commerciaux. Par conséquent, si les perspectives d’exportations semblent rester bonnes à très court terme, elles pourraient rapidement s’assombrir avec la montée du protectionnisme. Diverses barrières protectionnistes ont en effet été mises en œuvre ou envisagées : i) l’Union européenne prévoit d’imposer à partir de juillet 2024 des droits de douane sur les importations de VE chinois, allant de 17,4% à 38,1% selon le constructeur, ii) les États-Unis ont récemment augmenté leurs droits de douane sur une série de biens chinois tels que VE, semiconducteurs et équipements médicaux (et le candidat à l’élection présidentielle Donald Trump menace même d’appliquer, s’il est élu, une hausse importante des droits de douane américains sur l’ensemble des marchandises chinoises), et iii) un nombre croissant de pays émergents leur emboîtent le pas. La Turquie vient, notamment, d’annoncer des droits de douane supplémentaires sur les importations de véhicules chinois, et plusieurs États ont lancé des enquêtes sur les subventions chinoises (comme le Brésil dans le secteur de l’acier ou le Vietnam dans l’éolien).

Crise sans fin du secteur immobilier

Dans les services, l’activité s’est renforcée en mai et s’est accrue de +5% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024 – à comparer à la croissance moyenne de +7,6% pendant les trois années précédant la pandémie. Les secteurs de services ont bénéficié au mois de mai du léger regain des ventes au détail, dont la progression est néanmoins restée modeste (+3,7% en g.a. en valeur). L’inflation a légèrement accéléré mais reste très faible ; l’indice des prix à la consommation a augmenté de +0,3% en g.a en avril et en mai, après 0% au T1 2024 et -0,3% en g.a. au T4 2023.

Surtout, le principal frein à la croissance de la demande intérieure reste puissant puisque la crise immobilière ne montre pas de signe d’amélioration. Les volumes de ventes de logements continuent de se contracter (-24% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024), de même que les démarrages de chantiers (-25%). L’investissement dans le secteur immobilier a poursuivi sa chute (environ -10% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024). En outre, la baisse des prix immobiliers s’est aggravée (-7,5% en g.a. en moyenne en mai pour les logements anciens dans les 70 principales villes, contre -4,1% en g.a. en décembre 2023). Le train de nouvelles mesures de soutien annoncé en mai par les autorités n’a pas encore eu d’effets positifs sur l’activité du secteur immobilier. Ces mesures comprennent un nouvel assouplissement des conditions de prêts hypothécaires (avec une baisse de l’apport personnel minimum et des mesures visant à réduire les taux d’intérêt) et un programme d’achat de logements invendus par les collectivités locales, visant à réduire les stocks d’invendus des promoteurs et à augmenter les stocks de logements sociaux.

Ralentissement de la croissance du crédit

CHINE : ASSOUPLISSEMENT MONÉTAIRE

Plus généralement, la croissance des crédits à l’économie a ralenti depuis le début de l’année en dépit du maintien d’une politique monétaire accommodante (graphique 2). L’encours total des financements domestiques (Total Aggregate Financing, TAF) a augmenté de 8,4% en g.a. en mai 2024, contre +9,8% en décembre 2023, et l’encours des prêts bancaires en monnaie locale (64% du TAF) a augmenté de +8,9% en g.a. en mai, contre +10,9% en décembre. En revanche, les émissions obligataires par le gouvernement et les collectivités locales ont augmenté à un rythme un peu plus soutenu depuis le T4 2023, afin d’accompagner la hausse des dépenses publiques (en particulier des investissements dans les infrastructures, les projets environnementaux et les logements sociaux).

Étant donné la persistance de la crise immobilière, le manque de vigueur de l’activité dans les services et l’émergence de nouveaux risques pesant sur les perspectives d’exportation, les autorités devraient encore assouplir leurs politiques monétaire et budgétaire dans les prochains mois. Elles garderont toutefois une attitude prudente. D’abord, l’action de la banque centrale est actuellement gênée par les sorties de capitaux et les pressions à la baisse sur le yuan – qui devraient se réduire une fois le cycle de baisse des taux entamé par la Réserve fédérale américaine, soit au T4 2024, selon nos prévisions. Ensuite, la marge de manœuvre des autorités pour stimuler le crédit est toujours très contrainte par le niveau excessif de l’endettement des entreprises et des collectivités locales. Le gouverneur de la banque centrale a d’ailleurs récemment précisé que le soutien à l’activité devait davantage passer par une meilleure allocation des crédits plutôt que par une hausse plus rapide de leur encours total.

Des finances publiques moins solides

La fragilité financière des collectivités locales et, plus généralement, la dégradation continue des finances publiques limitent également de plus en plus la marge de manœuvre budgétaire des autorités.

De fait, les soldes budgétaires et la dette des administrations publiques se sont fortement dégradés au cours des dernières années. Sur la base des estimations du FMI, le déficit total du gouvernement général s’est creusé de 3,9% du PIB en moyenne sur les années 2015-2019 à plus de 7,5% depuis 2020. Cette hausse s’explique par l’augmentation des dépenses publiques, en particulier liée à la crise sanitaire, par l’affaiblissement des recettes fiscales, et par la baisse des revenus fonciers des collectivités locales provoquée par la chute des ventes de terrains. Le déficit budgétaire « officiel » est, quant à lui, passé de 2,7% du PIB en moyenne en 2015-2019, à 3,9% en 2023. Mais ce déficit ne reflète pas correctement la situation de l’ensemble des comptes publics, puisqu’il représente le solde du gouvernement général ajusté de différents transferts en provenance d’autres comptes publics, sur lesquels les données disponibles restent incomplètes.

Entre 2018 et 2023, la dette totale officielle du gouvernement général a augmenté de 36,4% à 56,1% du PIB. Il s’agit de la dette inscrite au budget, constituée de titres obligataires émis par le gouvernement central (23,8% du PIB en 2023) et les collectivités locales (32,3% du PIB). La dette obligataire du seul gouvernement central est encore à un niveau modéré et son refinancement ne pose aucune difficulté. Son profil est très favorable puisqu’elle est constituée essentiellement de titres en monnaie locale (98,9% du total), émis à des taux d’intérêt faibles et détenus par des institutions financières locales. Les investisseurs étrangers détenaient 8,7% des obligations du gouvernement central fin 2023 (contre un pic à 11,9% fin 2021).

Du côté des collectivités locales, la dette obligataire est élevée, et de moins en moins soutenable pour certaines provinces ou municipalités. Mais surtout, à cette dette « officielle » s’ajoute une dette indirecte contractée par les véhicules de financement des collectivités locales (Local Government Financing Vehicles, LGFV). La dette des LGFV a augmenté de 38% du PIB en 2018 à 53% en 2023, selon les estimations du FMI, et est excessivement élevée. Les risques de défaut des LGFV se sont très fortement accrus ces deux dernières années. En conséquence, Pékin a autorisé depuis l’an dernier certaines collectivités à émettre de nouvelles obligations pour refinancer les LGFV les plus fragiles et réduire ainsi les risques de liquidité à court terme. Cependant, ces mesures sont d’ampleur modeste (les swaps de dette en 2023 n’ont représenté que 1,2% du PIB). De plus, le passif des collectivités locales s’alourdit, de sorte que le risque de solvabilité à moyen terme demeure. Les autorités ont également demandé aux banques de restructurer certains prêts aux LGFV (via un allongement des maturités et/ou une réduction des taux). Mais cette solution a également des limites car elle pèse sur la performance du secteur bancaire.

Par ailleurs, le gouvernement central accroît son rôle direct dans la politique de stimulus budgétaire et le soutien aux collectivités locales. Il a par exemple lancé mi-mai un programme d’émissions de titres obligataires à très long terme (20 à 50 ans), d’un montant de RMB 1 000 mds pour l’année 2024 (0,8% du PIB). La moitié de ce montant doit servir à couvrir les besoins financiers du gouvernement central et l’autre moitié doit être transférée aux collectivités locales. À court et moyen terme, la dette du gouvernement général devrait continuer d’augmenter, essentiellement en raison du maintien de déficits budgétaires élevés dans un contexte de ralentissement structurel de la croissance économique. Dans le même temps, il est probable que la part du gouvernement central dans le stock total de dette augmente progressivement.

Achevé de rédiger le 27 juin 2024.

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