Croissance : accélération temporaire
La croissance économique a continué d’accélérer au T4 2024. Elle a atteint +1,6% en rythme trimestriel, après +1,3% au T3 et +0,9% au T2, et s’est établie à +5% sur l’ensemble de l’année, exactement en ligne avec la cible fixée en mars 2024 par les autorités. La croissance devrait rester solide au T1 2025, tirée, comme au trimestre précédent, par la bonne performance des exportations et le renforcement de la consommation privée. Les exportations ont en effet affiché une forte progression au T4 2024, en valeur (+10% en g.a., après +6% au T3) comme en volume (estimée à +12% en g.a., après +10% au T3). Cela s’explique par la stratégie toujours agressive des entreprises pour gagner des parts de marché et par le fait que les importateurs américains ont anticipé la hausse des droits de douane en gonflant prématurément leurs commandes. Ce phénomène devrait persister à très court terme.
Par ailleurs, la demande des ménages s’est enfin (légèrement) renforcée grâce aux mesures de relance mises en œuvre depuis fin septembre. Premièrement, la croissance des ventes au détail a accéléré (à un taux modeste +3,6% en g.a. en volume au T4, contre +2,2% au T3), notamment encouragée par le programme de remplacement de biens de consommation subventionné par le gouvernement. À court terme, ce programme devrait rester un instrument essentiel de soutien à la consommation ; le montant total des subventions accordées s’est élevé à 0,1% du PIB en 2024 et devrait augmenter en 2025, et la liste des biens subventionnés (appareils électroménagers, produits de décoration, automobiles, etc.) doit être étendue aux biens électroniques. Deuxièmement, les transactions immobilières ont légèrement augmenté en glissement annuel depuis novembre, après plus de trois années de contraction. Cette reprise résulte de l’assouplissement continu des politiques de soutien à la demande de logements au cours des derniers mois. Elle ne signale toutefois pas la fin de la crise immobilière. L’activité de chantiers a continué de chuter au T4 et le prix moyen des logements a poursuivi sa baisse (-8,1% en g.a. à fin 2024).
Après un solide début d’année, la croissance économique devrait retrouver sa tendance baissière. Dans notre scénario central, elle ne dépasserait pas 4,5% sur l’ensemble de 2025. Le secteur manufacturier exportateur devrait subir les effets de nouvelles barrières tarifaires. Sur le marché intérieur, l’activité sera aidée par une politique économique toujours accommodante, mais continuera de se heurter à des freins puissants (correction dans l’immobilier, pressions déflationnistes, faible confiance du secteur privé). Ainsi, la contribution des exportations nettes à la croissance du PIB réel devrait chuter considérablement en 2025, celle de la consommation totale augmenter modérément et celle de l’investissement se stabiliser. Sur le plan sectoriel, les dynamiques observées l’an dernier devraient s’inverser en 2025, avec une décélération de la croissance industrielle (+5,8% en 2024) et une amélioration dans les services (+5,2% en 2024).
Les pressions déflationnistes vont persister, notamment alimentées par les capacités de production industrielle excédentaires et par la baisse continue des prix immobiliers. Mais l’inflation des prix à la consommation devrait se ranimer un peu en 2025, grâce au redressement de la demande des ménages et au rebond des prix alimentaires.
Politique budgétaire : priorité à la consommation privée ?
Depuis septembre, la politique budgétaire a pris une orientation résolument expansionniste, que les autorités maintiendront à court terme. Les principaux objectifs seront de compenser les effets de la dégradation de l’environnement mondial sur l’activité et de renforcer la consommation intérieure. L’assouplissement devrait rester d’ampleur modérée, au moins dans un premier temps, et pourrait être ajusté au cours de l’année.
Le budget pour 2025 ne sera annoncé qu’en mars prochain. D’un côté, les autorités conservent une bonne marge de manœuvre pour augmenter les déficits grâce à des financements à taux bas sur les marchés obligataires locaux. Le déficit officiel au sens strict est attendu à 4% du PIB (contre les 3% annoncés dans le budget 2024), et le déficit au sens large du gouvernement général, tel que mesuré par le FMI, devrait être proche de 8% du PIB (contre 6,9% en 2023). D’un autre côté, les finances des collectivités locales sont fragiles (chute des recettes foncières depuis trois ans, niveau excessivement élevé de la dette de leurs véhicules de financement). Cela contraint leur marge de manœuvre et obligera le gouvernement central (GC) à accroître, comme en 2024, son rôle direct dans les mesures de relance. La dette officielle du gouvernement général devrait augmenter à 61% du PIB fin 2024 (dette du GC : 26% du PIB + dette directe des collectivités : 35%) et à 66% fin 2025. À ceci s’ajoute la dette indirecte contractée par les véhicules de financement, estimée à près de 50% du PIB par le FMI (et dont une petite partie est progressivement refinancée par des émissions obligataires des collectivités locales).
Concernant les instruments de politique budgétaire, le gouvernement continuera de mettre l’accent habituel sur l’investissement, en particulier dans les secteurs manufacturiers stratégiques et les infrastructures. Mais les autorités ont également indiqué, lors de la Conférence centrale sur le travail économique de décembre dernier, que le renforcement de la consommation privée serait une priorité pour 2025. Les mesures introduites pour le moment visent surtout à stimuler les dépenses des ménages de manière temporaire, alors qu’une revalorisation des pensions et de la couverture médicale a été annoncée mais reste à préciser. Elle devra être significative, car un important renforcement du système de protection sociale sera nécessaire pour améliorer la confiance des ménages, réduire leur taux d’épargne (estimé à 37% du revenu disponible en 2024) et augmenter durablement leur consommation (proche de 38% du PIB depuis 2020). Ceci aiderait à changer le modèle de croissance de la Chine, que les autorités veulent rendre plus équilibré, « de meilleure qualité », moins dépendant de l’immobilier et de la dette, et contribuant à la « prospérité commune ».
Politique monétaire : assouplissement sous contraintes
La banque centrale a conduit depuis 2020 une politique accommodante, qualifiée de « prudente » par les autorités. Les taux d’intérêt ont été réduits de manière très graduelle (le taux reverse repo à 7 jours est passé à 1,5% fin 2024, contre 1,8% fin 2023 et 2,5% fin 2019), de même que les coefficients de réserves obligatoires (à 9,5% fin 2024 pour les grandes banques, contre 10,5% fin 2023 et 13% fin 2019). La croissance des crédits à l’économie a toutefois ralenti depuis deux ans (pour atteindre 7,9% en g.a. au T4 2024, un point bas historique), conséquence de la prudence des banques et de la faiblesse de la demande de financements.
En décembre, les autorités ont annoncé la poursuite de l’assouplissement de la politique monétaire, qui devra être « modérément souple » en 2025. Le qualificatif change, mais le rythme d’assouplissement devrait rester graduel, la marge de manœuvre de la banque centrale étant contrainte par plusieurs facteurs. Le premier est l’effet de la baisse des taux sur la profitabilité des banques. Celle-ci s’est dégradée au cours des cinq dernières années, en raison du ralentissement de l’activité de prêts, de la détérioration de la qualité des actifs et du rétrécissement des marges nettes d’intérêt (tombées à un point bas de 1,5% en moyenne mi-2024, contre 2,2% en 2019). L’action de la banque centrale est également contrainte par la dynamique de baisse des taux longs obligataires et la dépréciation du yuan. Les rendements sur les bons du Trésor ont atteint des niveaux historiquement faibles (1,65% en moyenne en janvier 2025 pour les titres à 10 ans, contre 2,17% en octobre et 2,51% en janvier 2024), traduisant les inquiétudes des investisseurs quant aux perspectives de croissance de la Chine et aux effets des hausses de droits de douane américains.
Le RMB s’est déprécié de 3,5% contre le dollar entre mi-octobre et mi-janvier (taux spot), conséquence du renforcement général du dollar, de l’élargissement du différentiel entre les taux américains et chinois et des sorties de capitaux. Après s’être intensifiées en début d’année, les pressions sur le yuan se sont apaisées depuis le 20 janvier, et le taux de change spot contre dollar (7,24 au 24 janvier) s’est éloigné de la limite supérieure de la bande de fluctuation autorisée. La banque centrale a accru ses interventions pour défendre le yuan depuis l’automne, afin de réduire l’instabilité sur les marchés et de se laisser une certaine latitude pour répondre à des hausses des droits de douane par une nouvelle dépréciation.
Trump 2.0 : un nouveau choc pour les exportations
L’évolution des relations commerciales sino-américaines en 2025 est très incertaine. Le président américain appliquera-t-il son programme de fortes hausses des droits de douane dès les prochaines semaines, ou bien cherchera-t-il d’abord à installer un nouveau rapport de force pour ensuite avancer dans des négociations commerciales? Notre scénario central à ce jour table sur une première hausse de droits de douane de 10% au T1 2025, suivie de nouvelles augmentations à partir du T3 (de +15% sur un an).
La performance globale des exportations chinoises n’a pas été affaiblie par le premier épisode de guerre commerciale débuté en 2018-2019 et par le découplage entre les États-Unis et la Chine qui en a découlé. Les effets des barrières tarifaires sur les entreprises chinoises ont été compensés, au cours des dernières années, par des baisses des prix à l’exportation (largement aidées par la dépréciation du yuan et les subventions publiques) et la réorientation des flux commerciaux. Les exportations de marchandises ont progressé de 7% par an en moyenne depuis 2018 et leur part du marché mondial s’est accrue, de 12,8% à 14,7% sur les neuf premiers mois de 2024. La Chine a dégagé un excédent commercial record de USD992 mds en 2024 (5% du PIB) et un excédent courant estimé à 1,9% du PIB – toutefois compensé dans la balance des paiements par des sorties nettes de capitaux.
Le nouvel épisode de guerre commerciale qui s’amorce pourrait avoir des effets plus douloureux sur les exportations et la croissance chinoises. Certes, l’exposition directe de la Chine au marché américain s’est réduite, de 19% de ses exportations totales en 2017 à 14,6% en 2024 (soit 2,6% du PIB). En outre, la Chine va poursuivre la réorganisation de ses chaines de production et de ses flux commerciaux pour contourner les droits de douane et continuer à compenser les pertes de part de marché aux États-Unis. Cependant, d’une part, la menace protectionniste s’est étendue, et les nouvelles barrières tarifaires ne viendront pas seulement des États-Unis. D’autre part, la marge de manœuvre de la banque centrale pour déprécier le yuan s’est réduite par rapport à 2018-2019 (une dépréciation de 3% à 4% est attendue d’ici fin 2025 dans notre scénario central) et les profits des entreprises se sont dégradés, réduisant leur capacité à baisser leurs prix à l’exportation pour compenser les hausses de droits de douane. La Chine pourrait voir sa part du marché mondial fléchir en 2025.
Achevé de rédiger le 24 janvier 2025