Incertitudes sur la reprise économique
Après une chute de l’activité en année budgétaire 2024 (AB2024) en raison d’une grave crise de la balance des paiements, l’économie égyptienne est dans une phase de reprise graduelle et la croissance devrait atteindre 4% en moyenne au cours de l’AB2025. La stabilisation du marché des changes et l’apaisement des tensions sur la liquidité en devises dans les deux prochaines années seront des éléments clés de la reprise de l’activité, en raison notamment de la forte dépendance aux importations et aux transferts des expatriés. Cette reprise devrait initialement reposer sur la consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance égyptienne (environ 80% du PIB) qui a montré des signes de reprise au cours du premier semestre de l’AB2025. Néanmoins, certaines incertitudes subsistent à court terme et nous anticipons une reprise plus équilibrée à partir du début 2026. Le revenu disponible des ménages reste affecté par la persistance d’une inflation élevée. L’investissement du secteur public ne devrait pas être un facteur de soutien significatif en raison de l’effort de consolidation budgétaire mené dans le cadre du programme du FMI. De son côté, l’investissement productif du secteur privé ne devrait repartir réellement qu’à partir de 2026. Pour le moment, les capacités d’utilisation restent en moyenne inférieures à 70%, un niveau insuffisant pour déclencher une dynamique d’investissement (à partir de 90%). Par ailleurs, en terme nominal, le niveau des taux d’intérêt reste très élevé et l’assouplissement monétaire devrait être graduel en raison de risques sur le rythme de baisse de l’inflation. Dans ce contexte, nous prévoyons une accélération modérée de la croissance en AB2026 à 4,7%.
Dépréciation sous contrôle de la livre égyptienne
La crise de balance des paiements provoquée par le choc géopolitique de 2022 a entrainé une dépréciation massive de la livre et des rationnements multiples pour l’accès au dollar. Le soutien financier des EAU puis des bailleurs internationaux a permis de rétablir un fonctionnement normal du marché des changes. Les principaux déséquilibres ont été corrigés (notamment la position extérieure nette des banques commerciales), les réserves de changes de la banque centrale ont atteint USD 46,4 mds en décembre (excluant l’or et incluant les réserves Tier II), soit l’équivalent de 6,5 mois d’importations de biens et services (USD 33,2 mds et 4,8 mois en décembre 2023) et la livre a gagné en flexibilité. Celle-ci ne s’est dépréciée que de 5,5% au cours du second semestre 2024 notamment en raison de l’appréciation du dollar US contre l’ensemble des monnaies. La faible volatilité du change durant cette période a signalé la volonté de la banque centrale de garder une certaine influence sur ce marché. À court terme, la livre devrait continuer de se déprécier en raison de la force du dollar sur les marchés internationaux et de l’augmentation du déficit des comptes courants, à un rythme toutefois modéré.
Assouplissement attendu de la politique monétaire
ÉGYPTE : REFLUX DES PRESSIONS INFLATIONNISTESL’inflation des prix à la consommation a atteint 24,1% en décembre, confirmant la décrue initiée en septembre dernier, grâce notamment à la forte baisse des prix des biens alimentaires et à la stabilisation du change. Néanmoins, l’inflation d’ensemble reste largement au-delà de la cible de la banque centrale à cette date (7% +/-2%). L’inflation sous-jacente suit une tendance identique. En raison notamment d’effets de base, l’inflation devrait descendre d’un cran à partir de février 2025 et atteindre en moyenne 19,8% pour l’ensemble de l’AB2025 et environ 10% pour l’AB2026. Si la tendance à la baisse paraît assurée pour les prochains 18 mois, certains éléments pourraient en ralentir le rythme, notamment la consolidation budgétaire, surtout si elle se traduit par des hausses de TVA et des baisses de subvention. Par ailleurs, la dépréciation attendue de la livre, même sous contrôle, pourrait alimenter les pressions inflationnistes.
L’accélération attendue de la baisse de l’inflation au cours du T1 2025 devrait permettre à la banque centrale d’amorcer un cycle d’assouplissement monétaire, après 1 900 points de base de hausse depuis février 2022. Le rythme de cette baisse de taux met la banque centrale face à un choix difficile : d’un côté, la forte hausse des taux réels à partir de février va constituer un frein à la reprise de l’investissement. À taux nominal inchangé, le taux prêteur de la banque centrale devrait passer de 4% en décembre 2024 à plus de 16% en février 2025 en terme réel. D’un autre côté, les incertitudes pesant sur les perspectives d’inflation devraient inciter la Banque centrale à la prudence. On peut donc anticiper une baisse graduelle des taux en 2025.
Un objectif ambitieux d’excédent primaire
Les performances budgétaires en AB2024 ont été remarquables mais ont un caractère exceptionnel en raison de l’apport de fonds liés à l’opération Ras El-Hekma (USD 24 mds, environ 7% du PIB, d’IDE provenant des Émirats Arabes Unis). Le déficit budgétaire a atteint 3,3% du PIB tandis que le solde primaire était excédentaire de plus de 6% du PIB. Pour l’année en cours, l’objectif budgétaire du gouvernement reste ambitieux puisqu’il prévoit d’atteindre un excédent primaire équivalent à 3,5% du PIB. Cet objectif devrait être atteint grâce à des mesures d’élargissement de la base fiscale, une réduction de certaines subventions (énergie principalement), la réduction de certaines dépenses d’investissement public et l’augmentation de la TVA sur certaines catégories de produits. Au cours des cinq premiers mois de l’année budgétaire en cours, le surplus primaire est estimé à 1% du PIB par le ministère des Finances, par rapport à 0,4% pour la même période de l’exercice précédent. Le déficit budgétaire total restera élevé (6,8% du PIB attendu cette année) en raison de la charge d’intérêts qui représentaient 47% des revenus du gouvernement général en AB2024 (55% cette année), soit un des niveaux les plus élevé parmi les pays émergents. Une gestion active de la dette devrait permettre d’en réduire le coût, notamment en allongeant les maturités. L’objectif du gouvernement est d’atteindre une maturité moyenne de 4,5 années en AB2026 (3,2 en AB2023). Le caractère graduel de la baisse des taux rendra ce processus assez lent. Le gouvernement a intérêt à continuer à émettre sur des maturités courtes dans un premier temps pour bénéficier de la baisse progressive des taux.
Trump 2.0, quelles conséquences sur les comptes extérieurs ?
ÉGYPTE : RÉTABLISSEMENT DE LA LIQUIDITÉ EN DEVISESDu point de vue américain, l’Égypte n’est pas un partenaire commercial significatif, elle représente moins de 0,05% des importations américaines totales. Cela réduit le risque lié à une hausse unilatérale des droits de douanes. Les conséquences sur les comptes extérieurs égyptiens de la politique du gouvernement Trump sont plus indirectes.
Sur le plan géopolitique, le soutien américain à un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, s’il est durable, aura des effets positifs. Les tensions en mer Rouge devraient se réduire et permettre la reprise progressive du trafic maritime passant par le Canal de Suez. Les recettes de ce dernier (9% des recettes en devises du pays) ont baissé de 60% au cours des neuf premiers mois de 2024. Les recettes touristiques devraient aussi bénéficier de la réduction des tensions géopolitiques. Néanmoins, l’apaisement actuel reste précaire et les objectifs américains dans la région ainsi que les moyens pour y parvenir demeurent incertains.
La question énergétique est centrale en Égypte, et la détérioration du solde extérieur des hydrocarbures accroit la vulnérabilité des comptes extérieurs aux variations des prix du pétrole et du gaz. La baisse plus rapide qu’attendue de la production gazière égyptienne et l’augmentation constante de la consommation oblige l’Égypte à importer une quantité croissante de gaz naturel liquéfié (GNL) en complément des importations en provenance d’Israël par gazoduc. Ces importations de GNL ont coûté environ USD 1 mds en AB2024. Malgré les résultats encourageants d’exploration de compagnies gazières, la mise en œuvre progressive de nouvelle capacité de production électrique d’origine solaire et l’importation possible d’électricité en provenance d’Arabie saoudite, le déficit gazier égyptien pourrait encore perdurer dans les 2-3 prochaines années au moins. L’augmentation des capacités de production et d’exportation de GNL, au centre de la politique énergétique américaine à venir, ne devrait pas avoir de conséquences positives à court terme sur la facture énergétique égyptienne. La hausse des exportations de GNL américain attendue en 2025 est liée à des décisions prises sous la précédente administration. Les effets des nouvelles autorisations d’exportation ne se feront pas avant quelques années et seront alors seulement un des vecteurs de l’augmentation de la production de GNL, le Qatar devant y être dominant.
La politique monétaire américaine joue un rôle important pour i/ la couverture du besoin de financement extérieur de l’Égypte au travers des flux de portefeuille (carry-trade) et ii/ le coût du service de la dette extérieure.
Même si les opérations de carry-trade devraient être moins importantes qu’avant 2022, en raison de la hausse des financements bilatéraux et des IDE, elles restent un élément important dans l’équilibre de la balance des paiements. Nous estimons que les entrées nettes d’investissement liées aux opérations de carry-trade devraient couvrir 19% et 12% du besoin de financement externe total (déficit courant et amortissement de la dette extérieure) respectivement en AB2025 et AB2026. Mais la Fed pourrait laisser ses taux inchangés cette année. Or, mécaniquement, une stabilité des taux américains et une réduction des taux en Égypte réduirait l’attractivité des titres égyptiens libellés en monnaie locale. La poursuite de la dépréciation de la livre, même a priori modérée, ajoute un facteur négatif supplémentaire à l’attractivité des titres égyptiens en monnaie locale.
Le service de la dette en devise a augmenté significativement depuis quelques années et contribue à la vulnérabilité des finances extérieures égyptiennes. En AB2024, le paiement des intérêts de la dette en devise était équivalent à 9% du total des recettes en devises contre 3% en moyenne entre 2018 et 2022. Le gouvernement égyptien, qui vient d’émettre des obligations internationales (en USD) pour un montant de USD 2 mds, prévoit des émissions pour un montant d’environ USD 3 mds (pas uniquement en USD) au cours du premier semestre 2025.
Au total, les conséquences possibles de la politique de la nouvelle administration américaine sur les comptes extérieurs nous paraissent relativement équilibrées et a priori d’une ampleur limitée. Ils pourraient être plutôt positifs sur le solde courant et neutres voire négatifs sur la partie financement.
Achevé de rédiger le 24 janvier 2025