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Pologne : Vers un redressement de l'investissement

06/02/2025
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La Pologne se démarque des pays voisins par une surperformance de son économie. Elle affiche, en outre, une croissance positive ininterrompue de son PIB depuis 1992, à l'exception de 2020. Les perspectives de croissance sont solides en 2025 et en 2026 en dépit des incertitudes liées aux élections présidentielles de mai 2025, et ce, grâce au rebond attendu de l’investissement public. L’inflation accélère à nouveau cette année et ne devrait pas converger vers sa cible avant 2026. Les autorités monétaires vont probablement maintenir leur statu quo dans un premier temps, puis s’orienter vers un assouplissement plus tard dans l’année. Concernant les répercussions du « Trump 2.0 », la Pologne a une exposition commerciale directe limitée vis-à-vis des États-Unis, mais reste vulnérable à la montée du protectionnisme.

Indicateurs économiques de la Pologne

Croissance proche de son potentiel

L’activité économique reste bien orientée pour l’ensemble de l’année 2024, même si la croissance du PIB a ralenti au T3 et qu’un rebond notable au T4 est peu probable. L’acquis était déjà de 2,2% au T3, ce qui signifie que la Pologne pourrait enregistrer une croissance supérieure à ses voisins sur l’année écoulée.

POLOGNE : FONDS EUROPÉENS POUR LA REPRISE ET LA RÉSILIENCE

Avec le rebond attendu en 2025 et 2026, principalement attribué au redressement de l’investissement public, la croissance économique dépasserait même le potentiel de moyen terme estimé à 3% par le FMI. L’amélioration des perspectives d’investissement repose sur le soutien des fonds européens prévus pour la Pologne dans le cadre du programme pour la reprise et la résilience qui doivent être déboursés d’ici fin 2026. Les montants alloués à la Pologne s’élèvent à EUR 25,3 mds au titre des subventions et à EUR 34,5 mds pour les prêts à taux préférentiels, soit l’équivalent de 8% du PIB de 2023. Le pays bénéficie aussi des fonds à hauteur de EUR 76 mds dans le cadre du budget européen, échelonnés sur la période 2021-2027.

Le dynamisme de l’investissement public sera sans doute suffisamment important pour compenser les freins à la croissance. Il est attendu que la consommation perde un peu de son élan en raison d’une certaine prudence des ménages, perceptible déjà, dans les enquêtes sur les intentions d’achats de biens durables. De même, l’impulsion tant espérée de la demande extérieure peine à se concrétiser étant donné que l’Allemagne, principal partenaire de la Pologne, ne devrait pas voir un rebond significatif de sa croissance à court terme.

Remontée de l’inflation en moyenne en 2025

Le léger reflux de l’inflation en novembre et en décembre (4,2% en g.a. en octobre, à 3,9% en g.a. en novembre et décembre ) est sans doute temporaire. Les pressions inflationnistes sont plutôt orientées à la hausse depuis juillet 2024 et devraient se maintenir au moins jusqu’au T1 2025. Ce regain d’inflation provient de la hausse du plafond sur les prix de l’électricité depuis juillet dernier, lequel restera en vigueur jusqu’en septembre 2025. Le poste « alimentation » tire aussi l’indice des prix à la consommation vers le haut. En revanche, une inflation plus modérée que prévu sur les trois derniers trimestres de cette année pourrait provenir d’une progression salariale moins prononcée que les années précédentes. En moyenne, l’inflation en 2025 pourrait être plus élevée que l’an dernier et le retour à la cible d’inflation ne se fera pas avant 2026.

En matière de politique monétaire, la Banque centrale polonaise a été la première dans la région à démarrer le cycle d’assouplissement en septembre 2023, avec deux baisses consécutives du taux directeur (première baisse de 75 points de base [pb] et de 25 pb le mois suivant), suivie d’une pause par la suite. Ce recalibrage s’explique par l’anticipation d’une inflation légèrement plus forte de la mi-2024 jusqu’au T1 2025. Par ailleurs, les incertitudes électorales ainsi que la volatilité attendue sur le marché des devises face à la montée du protectionnisme vont sans doute inciter à une plus grande prudence, ce qui renforce le scénario d’une pause monétaire au moins sur la première moitié de l’année. La reprise du cycle d’assouplissement monétaire, prévue pour le second semestre, se poursuivrait l’an prochain. Selon notre scénario, le taux directeur sera probablement ramené à 4,00% fin 2025 et à 3,50% en 2026.

Dette publique supérieure à 60% du PIB d’ici 2026

Le creusement du déficit budgétaire depuis 2020 résulte de mesures généreuses du gouvernement pour soutenir l’économie. Le déficit serait proche de 6% du PIB en 2024 selon les estimations et resterait supérieur à 5% en 2025.

Cette année, la marge de consolidation budgétaire est limitée compte tenu des enjeux électoraux (élections présidentielles prévues en mai 2025) et de l’ampleur des dépenses militaires (4,7% du PIB en 2025). Le budget contient aussi un volet social important, comprenant, entre autres, une hausse de 16% des dépenses de santé, une revalorisation des salaires dans certains secteurs de la fonction publique et une reconduction du programme d’aide à la famille (Family 800+).

La déterioration de la trajectoire budgétaire ne remet pas en cause la solvabilité de l’État. Sa dette est majoritairement libellée à taux fixe, et la capacité du Trésor à se refinancer est solide. De même, la charge d’intérêt de l’État reste contenue, à 9,2 % des recettes (1,5% du PIB). Toutefois, la proportion de la dette publique rapportée au PIB pourrait dépasser le seuil de 60% du PIB à horizon 2026, seuil inscrit dans la constitution polonaise, en plus des règles budgétaires de l’UE. En attendant, les perspectives d’un ajustement limité des comptes publics à court terme se traduit sur le marché obligataire par des taux qui demeurent largement supérieurs à la situation pré-Covid (5,7% mi-janvier pour le titre d’État à 5 ans contre 1,8% fin décembre 2019).

Trump 2.0 : la Pologne est exposée aux mesures douanières

BALANCE COMMERCIALE BILATÉRALE (DE BIENS) DES ÉTATS-UNIS

La Pologne n’échappera pas aux mesures tarifaires de l’administration Trump, même si le pays affiche depuis des années une balance commerciale bilatérale (de biens) marginale et à peine déficitaire vis-à-vis des États-unis (USD -2,2 mds en 2023 ; USD -208,7 mds pour l’UE). Les mesures douanières envisagées par l’administration Trump seront sans doute appliquées à l’ensemble des pays de l’UE de façon indifférenciée. L’excédent de la balance commerciale bilatérale de l’UE vis-à-vis des États-Unis qui, de surcroît, s’est accentué depuis le premier mandat de Donald Trump, laisse supposer des tarifs douaniers conséquents.

L’économie polonaise est exposée à la politique de l’administration Trump par le biais des canaux commercial, financier et du taux de changes. Sur le premier volet commercial, l’exposition directe de la Pologne est marginale et suggère un impact a priori limité puisque la proportion des exportations de biens vers les États-Unis a été de seulement 2,9% des exportations totales en moyenne sur ces 5 dernières années (1,4% du PIB). En revanche, l’impact indirect par le biais de l’Allemagne, davantage exposée aux États-Unis, pourrait être non négligeable. Au total, l’exposition directe et indirecte des exportations polonaises aux mesures douanières représente environ 15% du PIB. Les principaux postes d’exportations de la Pologne vers l’Allemagne, concernent l’automobile (9,8% du total en 2022) et les machines et équipements (26,4%). Par ailleurs, la Pologne étant une économie relativement ouverte (exportations/PIB : 46,8% en 2023), est vulnérable aux chocs externes compte tenu des répercussions négatives des mesures douanières sur le commerce à l’échelle mondiale.

Sur le volet financier, le ralentissement probable des flux d’investissements directs étrangers (IDE), dont l’essentiel vient d’Allemagne, pourrait mettre un sérieux coup de frein aux ambitions de la Pologne de monter en gamme dans la chaîne de valeur à court terme. La montée des incertitudes économiques et géopolitiques entraînera inévitablement un report des projets d’investissements étrangers. Par ailleurs, une réallocation des flux de capitaux en faveur des États-Unis est probable à court terme. Cette situation reste pour autant gérable et ne présente pas de risque majeur pour les comptes externes. Le déficit courant attendu pour cette année reste modéré et la Pologne dispose de liquidités très confortables (réserves de change de EUR 214,2 mds en décembre 2024) pour combler ses besoins en cas de besoin.

Sur le volet du taux de change, la volatilité des devises et la trajectoire haussière du dollar fragilisent davantage les pays avec une forte proportion de leur dette libellée en monnaie étrangère. En Pologne, la proportion de la dette du gouvernement en devises étrangères est modérée, s’élevant à 24,4% de la dette totale en 2023 (12,1% du PIB). Toutefois, l’exposition au risque de change a quand même augmenté depuis 2024 car le gouvernement polonais est très actif sur le marché des euro-obligataires (EUR 7,7 mds levés en 2024) pour combler en partie ses besoins de financement. Cette année, la Pologne a déjà levé EUR 3 mds en janvier sur les EUR 10,2 mds prévus par le gouvernement pour 2025. L’exposition du gouvernement au risque de change reste gérable en raison des règles prudentielles en vigueur. La proportion autorisée de la dette publique en devises étrangères est fixée à 25% en Pologne.

La tendance attendue en 2025 est une légère dépréciation du zloty polonais contre l’euro et le dollar. La prudence en matière de politique monétaire et les perspectives d’une croissance solide dans la région devraient en effet atténuer les pressions à la baisse sur le zloty. L’an dernier, la devise polonaise a affiché une appréciation modeste de 2,2% contre l’euro et une dépréciation limitée de 3,3% par rapport au dollar.

Achevé de rédiger le 22 janvier 2025

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