Eco Perspectives

États-Unis : Une croissance à deux vitesses

17/12/2025
PDF

La croissance des États-Unis devrait se rapprocher de son rythme potentiel en 2026. Cette résilience masquerait une croissance « en forme de K » soutenue par l’investissement lié à l’IA et la consommation des plus aisés. L’investissement dans les autres postes de l’économie n’est pas aussi dynamique, tandis que la plupart des Américains font face à une inflation persistante et à une détérioration du marché du travail. À la fin du T1 2026, la Fed devrait clore son cycle d’assouplissement monétaire lié à l’emphase sur la composante emploi de son mandat dual. L’impulsion budgétaire resterait légèrement négative en 2026 du fait des tarifs douaniers, dont la délimitation restera un sujet central.

La croissance soutenue par l’optimisme autour de l’IA

La croissance a connu une variabilité inhabituelle en 2025 en raison de facteurs temporaires : la volatilité des importations de biens (S1 2025) et le shutdown du gouvernement fédéral (T4 2025). D’après nous, ce dernier a réduit à +0,0% t/t le résultat du T4 2025 (une perte qui sera rattrapée ultérieurement vs. +0,8% t/t au T3[1]. Les avancées du PIB seraient plus stables en 2026, à près de +0,4% t/t par trimestre (à partir du T2) avec +1,9% en moyenne annuelle, comme en 2025. La croissance serait ainsi proche de son rythme potentiel, mais marquée par une modification de ses supports et une modération de l’emploi.

CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE)

Le dynamisme des investissements sur fond d’optimisme lié à l’intelligence artificielle (IA) constitue l’élément distinctif de la croissance. En revanche, les autres composantes de l’investissement se sont repliées (graphique 2). Au S1 2025, les catégories liées à l’IA représentent 9% du PIB, mais expliquent 40% de sa croissance. Toutefois, cela s’accompagne d’une hausse des importations associées, relativisant le résultat précédent et témoignant d’une dépendance extérieure des États-Unis dans ce domaine. De plus, la valorisation des « sept magnifiques » (Magnificent Seven) du secteur de la tech[2] a contribué significativement à la hausse récente de la richesse financière des ménages (+30 points depuis le T3 2023, à 420% du PIB au T2 2025), ce qui soutient la consommation de ceux d’entre eux détenant des actions.

PIB AMÉRICAIN : UN INVESTISSEMENT EN FORME DE K
(100 = T1 2023)

La croissance américaine est donc « en forme de K » (K-Shaped). Le caractère divergent de l’investissement devrait perdurer en 2026-27 et la consommation des ménages devrait continuer d’être soutenue par le haut de la distribution des revenus et du patrimoine (voir l'EcoInsight ‘Consommation des ménages : Vers un rebond en zone euro et une modération aux États-Unis ?). Le sentiment des ménages porte la trace de ces contrastes : il reste particulièrement dégradé au niveau agrégé (au plus bas depuis 2015), avec un accroissement du différentiel entre le segment supérieur des revenus (USD > 120 000/an) et la quasi-totalité du reste de la distribution en 2025, selon le Conference Board. La croissance se trouve dès lors vulnérable à une forte correction des valorisations boursières, qui sont historiquement élevées.

Baisse des taux d’endettement des ménages et des entreprises

Le taux d’endettement des ménages s’est replié à 93,6% du PIB au T2 2025, un plus bas sur plus de vingt ans. Celui des entreprises a également baissé, à 46,1%, mais reste proche de ses plus hauts historiques (hors Covid). La progression de l’encours des prêts hypothécaires aux ménages reste assez dynamique (+2,9% a/a au S1 2025), mais la capacité d’achat immobilière demeure faible (niveau élevé des taux et des prix). Si les taux fixes à 30 ans (90% de la production nouvelle de crédits) ont reculé depuis mai (-65 pb à 6,3% en novembre), la poursuite du mouvement semble peu probable au regard de notre scénario de hausse des taux longs souverains (voir ci-après). Les demandes de refinancement demeureront par ailleurs modestes, la grande majorité des prêts ayant été souscrite à des taux fixes inférieurs à 6% (78% de l’encours au T2 2025). La demande de crédits à la consommation, à l’encours quasi-stable a/a en septembre, reste déprimée. À l’inverse, les flux de financements des entreprises (production nouvelle de crédits, émissions de titres de dette) se sont accrus au S1 2025, contribuant à soutenir l’investissement. Le mouvement pourrait se poursuivre, porté par la baisse des taux courts.

Emploi : moins de demande, moins d’offre

En 2026, le taux de chômage devrait avoisiner 4,4%, proche du plein-emploi. Les créations d’emploi ont diminué (nonfarm payrolls à +59k en moyenne semestrielle en septembre 2025, contre +133k un an plus tôt), et la révision annuelle confirme cette tendance (-911k d’emplois salariés entre avril 2024 et mars 2025). La main d’œuvre disponible diminue aussi avec l’objectif de « zéro immigration nette » de l’administration. Il en résulte une situation paradoxale où la détérioration des embauches n’engendre pas de hausse du chômage, mais où la croissance potentielle est réduite par la politique migratoire.

ÉTATS-UNIS : L’EMPLOI DES SECTEURS LIÉS À L’IA EN DÉLICATESSE (100 = 01/2023)

Le soutien lié à l’IA à la croissance ne se répercute pas significativement sur l’emploi, directement ou indirectement. L’emploi salarié a même reculé dans les secteurs concernés depuis janvier 2023 (graphique 3). De plus, le marché du travail fait écho à la croissance « en forme de K » : au T3 2025, le différentiel de croissance des salaires entre le premier et le quatrième quartiles atteint un plus haut depuis 2013 (Fed d’Atlanta). Les enjeux associés en matière de consommation des ménages en sont plus importants du fait de la stabilité de la croissance agrégée des salaires (+3,8% a/a en septembre, stable en 2025), du rebond de l’inflation et de craintes accrues des ménages en matière d’emploi.

Inflation : pas de retour à la cible avant 2028

L’inflation (CPI) dépasserait les +2% a/a jusqu’en 2028 au moins, selon nos prévisions, avec un pic à +3,3% a/a à la mi-2026 pour les indices headline et sous-jacent. La hausse a été amorcée en avril 2025, le CPI passant de +2,3% à +3,0% a/a en septembre (+2,8% à +3,0% pour le core). Les droits de douane supplémentaires constituent le facteur principal, du fait de l’accroissement du tarif effectif moyen sur les importations (15,9% contre 2,3% en 2024, même si les recettes effectivement collectées indiquent 11,5% pour le moment). Toutefois, jusqu’ici la transmission aux prix à la consommation s’est révélée moins forte que prévu. La détérioration des perspectives des ménages pourrait avoir occasionné une absorption plus importante des hausses de droits de douane par les entreprises. Néanmoins, la désinflation serait lente après le pic de la mi-2026, le CPI atteignant +2,5% a/a au T4 2027, au-dessus du niveau « pré-tarifs » d’avril 2025.

La Fed au défi de la neutralité

La Réserve fédérale (Fed) a repris, en septembre 2025, son assouplissement monétaire du fait du rééquilibrage des risques entre emploi et inflation, procédant à trois baisses de taux (-25 pb) et réduisant un biais restrictif. Nous anticipons une dernière baisse en mars 2026, avec une cible de taux à +3,25% - +3,50% (légèrement en-dessous de notre estimation du taux neutre, de 3,75%). Les risques sont orientés vers davantage d’assouplissement, du fait du biais pour l’emploi des membres les plus influents du FOMC. Par ailleurs, le comité est très divisé à propos des baisses de taux dans un contexte de persistance de l’inflation. Dans le même temps, l’USD devrait s’affaiblir modérément face à l’euro (1,20 fin 2026, contre 1,16 à ce jour) sur fond de croissance plus importante que prévu dans la zone euro (voir le chapitre) et de réduction du différentiel de taux directeur.

La décision de la Cour suprême (SCOTUS) dans l’affaire Trump vs. Cook et le remplacement du président J. Powell sont des enjeux majeurs pour l’avenir de la politique monétaire. Un jugement favorable à l’administration accorderait un pouvoir discrétionnaire étendu au président américain sur la composition du FOMC, alors que le futur président de la Fed pourrait être choisi pour son biais en faveur de l’assouplissement. Un autre risque tient à la possibilité de démissions au board, dont celle de J. Powell, qui, pouvant occasionner une recomposition plus profonde, ouvrant la porte à un changement de structure institutionnelle et à une forte perte d’indépendance. Il pourrait alors en résulter une érosion de la crédibilité de la Fed et de son engagement pour la stabilité des prix. Toutefois, ce n’est pas notre scénario (voir notre Edito, Fed : l’héritage de Powell devrait lui survivre) : les décisions resteraient guidées par les fondamentaux économiques, malgré un déséquilibre persistant en faveur de la partie « emploi » du mandat dual.

Une impulsion budgétaire modérément négative

Le déficit budgétaire total atteindrait 6,5% du PIB en 2025 et 6,3% en 2026, des niveaux particulièrement élevés mais en repli (7,0% en 2024) du fait de la réforme des emprunts étudiants et de la hausse des revenus douaniers. Ces derniers devraient permettre de réduire le déficit primaire, fluctuant entre 1,0% et 1,5% du PIB entre 2025 et 2027, mais restent mouvants (exemptions récentes sur l’alimentaire) et incertains (voir ci-après). Dans le même temps, la charge d’intérêts pèse sur le déficit total (5,0% du PIB en 2026, en hausse ininterrompue depuis 2020). L’impulsion budgétaire a des effets distributifs négatifs pour la croissance et participe de l’économie « en forme de K » : les tarifs douaniers sont supportés par les ménages les plus modestes, et le One, Big, Beautiful Bill Act (OBBBA) prolonge essentiellement une fiscalité favorable aux hauts revenus. Ainsi, la hausse du ratio de dette publique devrait se poursuivre (126,4% du PIB en 2027 contre 124,7% en 2025), mais sera limitée par une croissance nominale toujours élevée. Par ailleurs, le risque d’un nouveau shutdown est élevé.

La réduction du déficit et les baisses de taux du FOMC ne devraient pas enrayer l’accroissement de la pression obligataire en 2026. Selon nos projections, les taux à 10 et 30 ans atteindraient, respectivement, 4,5% et 5,0% au T4 2026, contre 4,2% et 4,8% au 9 décembre. La persistance de l’inflation et des déficits, avec une croissance meilleure que prévu contribuent à cette prévision. Par ailleurs, le T3 a vu une modération de l’absorption de la dette américaine par les investisseurs étrangers, dont la demande s’est élargie en volume mais modérée en proportion des émissions nettes du Trésor, particulièrement importantes après le relèvement du plafond de la dette cet été.

Commerce extérieur : l’incertitude a reflué, mais reste significative

Les données disponibles pour le T3 (juillet, août) placent la balance commerciale à USD -68,9 mds en moyenne mensuelle, contre -75,2 en 2024. Les importations s’inscrivent dans la lignée du T2 qui fut marqué par un net contrecoup consécutif au frontloading du T1, et les exportations sont généralement stables depuis janvier. Un équilibre relatif apparaît sur la question des tarifs douaniers, avec, notamment, une trêve d’un an (jusqu’au 10 novembre 2026) avec la Chine. L’incertitude en matière commerciale a donc nettement reflué depuis le pic du printemps 2025, mais dépasse largement niveau pré-tarifs. Cependant, il existe une forte possibilité d’invalidation des tarifs réciproques ouvrant la porte à davantage de tarifs sectoriels compensatoires. Enfin, d’autres tarifs sectoriels sont possibles, notamment sur les semiconducteurs et les produits pharmaceutiques.

Achevé de rédiger le 11 décembre 2025


[1] La publication des données officielles a été perturbée par le shutdown fédéral. Le PIB du T3 et les chiffres d’emploi et d’inflation CPI de novembre ne sont pas disponibles à ce jour.

[2] Alphabet, Amazon, Apple, Microsoft, Meta, Nvidia, Tesla

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Perspectives économiques 2026-2027 dans les pays avancés : épreuve de solidité

Perspectives économiques 2026-2027 dans les pays avancés : épreuve de solidité

Après une année 2025 marquée par la résistance de l’économie mondiale, qui se termine avec un certain optimisme, 2026 s’annonce sous de bons auspices et pourrait être une année de performances économiques solides [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Focus : Les contraintes sur les finances publiques des pays avancés s’accroissent mais elles restent surmontables

Focus : Les contraintes sur les finances publiques des pays avancés s’accroissent mais elles restent surmontables

Les finances publiques des économies avancées de notre étude (États-Unis, Allemagne, France, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Japon) subissent une conjonction de contraintes [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
Zone euro : la demande intérieure, moteur de la croissance en 2026

Zone euro : la demande intérieure, moteur de la croissance en 2026

La croissance en zone euro devrait se renforcer en 2026 (1,6%), tirée par l’investissement et un rebond de l’activité en Allemagne. Selon nos prévisions, l’inflation évoluerait sous la cible des 2% [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
Allemagne : nouveau cycle de croissance

Allemagne : nouveau cycle de croissance

L’économie allemande est en train d’opérer un virage stratégique, avec l’augmentation de la dépense publique, susceptible de modifier en profondeur son modèle [...]

LIRE L'ARTICLE
France
France : La croissance rebondit malgré les incertitudes

France : La croissance rebondit malgré les incertitudes

La croissance française rebondit depuis le T2 2025, en raison de la production aéronautique et de l’investissement des entreprises dans un contexte de repli des taux d’intérêt [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
Italie : les finances publiques s'améliorent, mais la productivité reste faible

Italie : les finances publiques s'améliorent, mais la productivité reste faible

L'économie italienne est résiliente : au T3, le PIB a légèrement rebondi et l’inflation a été modérée, préservant le pouvoir d'achat des ménages. Selon nos prévisions, la croissance resterait proche de 1% en 2026 et 2027 [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
Espagne :  Une dynamique de croissance riche en emplois qui se poursuit

Espagne : Une dynamique de croissance riche en emplois qui se poursuit

La croissance espagnole devrait continuer de surpasser celle de la zone euro. Elle repose sur la dynamique de son marché du travail, qui engendre des gains de pouvoir d’achat et soutient la consommation [...]

LIRE L'ARTICLE
Royaume-Uni
Royaume-Uni : de nouveaux leviers de croissance à saisir

Royaume-Uni : de nouveaux leviers de croissance à saisir

La croissance s’établirait à 1,1?% en 2026, un rythme inférieur à celui de 2025 (1,4?%) qui bénéficie d’un T1 2025 particulièrement fort. Cette croissance du PIB devrait toutefois être inéquitablement répartie [...]

LIRE L'ARTICLE
Japon
Japon : 2026, une année de défis

Japon : 2026, une année de défis

L’économie japonaise est prise entre plusieurs feux. La croissance a amorcé une phase de ralentissement vers son niveau potentiel [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Principaux indicateurs

Principaux indicateurs

PIB, inflation, chômage, solde courant, solde budgétaire, ratio de dette publique des principales économies avancées. [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Croissance : contributions des composantes de la demande

Croissance : contributions des composantes de la demande

Les contributions des différentes composantes de la demande à la croissance trimestrielle (t/t non annualisé). [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Prévisions au 15 décembre 2025

Prévisions au 15 décembre 2025

Les prévisions économiques et financières des principales économies au 15 décembre 2025. [...]

LIRE L'ARTICLE