TRANSCRIPTION
Isabelle Gounin Levy : Selon vous, quels sont les principaux sujets de préoccupation pour les banques centrales au cours des prochains semestres ?
Hélène Baudchon : On peut regrouper les banques centrales en trois catégories :
- Certaines jouent les équilibristes, entre un ralentissement de l’économie et une inflation non seulement supérieure à l'objectif mais qui, en plus, s'en éloigne. C’est le cas de la Banque d'Angleterre, de la Banque du Japon et de la Fed. A noter que la Banque d'Angleterre et la Fed sont dans un cycle de baisse des taux par rapport aux niveaux restrictifs d'il y a un an, alors que la Banque du Japon est dans un cycle de resserrement par rapport à des niveaux accommodants.
- D'autres banques centrales, comme la BCE, ont ramené leur politique monétaire en zone globalement neutre, avec une inflation conforme à l'objectif, mais elles doivent rester attentives à l'évolution de la situation économique qui pourrait justifier un assouplissement supplémentaire. La Banque du Canada est aussi dans ce cas de figure.
- Enfin, quelques banques centrales tentent de lutter contre la déflation, avec une inflation proche de zéro et des taux d'intérêt ultra bas. C’est le cas des banques centrales chinoise et suisse.
Isabelle Gounin-Levy : Outre les fluctuations habituelles du cycle économique, quels changements structurels les banques centrales doivent-elles prendre en considération, et comment ?
Hélène Baudchon : Malheureusement pour les banquiers centraux d'aujourd'hui, ces changements sont nombreux. Parmi eux, nous citerons en premier ceux qui concernent la population active, qu'ils résultent des évolutions démographiques ou des politiques migratoires. Le défi réside dans la réduction de l'offre de travail, qui réduit le potentiel de croissance d'une économie, c'est-à-dire la vitesse maximale qu'elle peut atteindre sans générer d'inflation.
Deuxième changement : le réchauffement climatique et la transition énergétique pour y faire face, susceptibles de générer des épisodes de pénuries qui font grimper les prix, au moins temporairement. Tant que ces chocs sont rares et que les anticipations d'inflation sont bien ancrées, les banques centrales peuvent les ignorer. Mais si ces chocs deviennent fréquents et/ou généralisés, une réponse pourrait être nécessaire.
Troisième changement : l'IA, qui a le potentiel d'augmenter fortement la productivité et donc le PIB potentiel. Mais on ne sait pas encore clairement dans quel délai ni dans quelle ampleur. Ce changement, contrairement aux deux précédents, est de nature à faciliter la tâche des banques centrales, en rehaussant la croissance potentielle. Mais il serait imprudent de leur part de parier dessus pour l'instant.
Isabelle Gounin-Levy : Les marchés financiers font-ils preuve de complaisance, et comment les taux de change peuvent s’intégrer dans les fonctions de réaction des banques centrales ?
Hélène Baudchon : Le fait est que, jusqu’ici, l’optimisme a dominé sur les marchés financiers. Et le dollar s’est déprécié par rapport à la plupart des devises, au lieu de s'apprécier comme beaucoup l'avaient prédit en réponse aux droits de douane américains. Ces évolutions ont été bénéfiques pour l'économie mondiale. Dans l'ensemble, les conditions financières se sont assouplies depuis le début de l'année. Mais :
- Le niveau élevé des valorisations du marché pose des risques pour la stabilité financière.
- Et du côté des devises, leur appréciation par rapport au dollar US pèse sur la compétitivité des exportations, possiblement jusqu’à nécessiter une réaction des banques centrales qui ne souhaitent pas voir l'inflation davantage baisser.
Isabelle Gounin-Levy : Pensez-vous que l’indépendance des banques centrales sera remise en question dans le futur ?
Hélène Baudchon : C’est un risque à surveiller de près. Les banques centrales non indépendantes ont une longue histoire, dans les pays développés comme émergents. Et cette histoire n’a pas de « happy end ». C'est pourquoi, au cours des dernières décennies, un consensus écrasant s'est dégagé en faveur de l'indépendance des banques centrales.
Or aujourd'hui, cette indépendance est ouvertement menacée aux États-Unis. La manière dont cela va se résoudre est de la plus haute importance, pour les États-Unis d’abord et pour le monde entier aussi. D’autres gouvernements, partageant les mêmes orientations politiques que l'administration Trump, pourraient, s’ils venaient à prendre le pouvoir, être tentés de suivre la même voie. On se rend compte que l’indépendance des banques centrales, que l’on pensait acquise, doit être encore et toujours défendue.