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Espagne : Une dynamique de croissance riche en emplois qui se poursuit

17/12/2025
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La croissance espagnole devrait continuer de surpasser celle de la zone euro. Elle repose sur la dynamique de son marché du travail, qui engendre des gains de pouvoir d’achat et soutient la consommation. De son côté, l’investissement bénéficie de la baisse des taux d’intérêt, mais aussi des financements européens. Cette forte croissance du PIB permettra de dégager des excédents primaires et de poursuivre la réduction du ratio de dette publique. L’activité espagnole devrait toutefois se heurter à la contrainte du plein-emploi à la fin de la décennie, en l’absence de gains de productivité significatifs.

La demande intérieure, moteur de la croissance espagnole

La croissance du PIB réel espagnol est relativement stable, à un bon niveau (+0,6% t/t tant au T3 qu’au T4 selon nos prévisions) et devrait atteindre 2,9% en 2025 en moyenne annuelle.

La conjoncture reste dynamique (PMI composite à 56,0 en octobre contre 52,4 en zone euro) et la croissance persisterait en 2026-2027 (2,4% et 2,3% respectivement). Elle resterait supérieure à celle de la zone euro (1,5% en 2026 et 1,6% en 2027), toujours alimentée par la disponibilité de la main d’œuvre. Cet effet favorable se modérerait toutefois à l’horizon de notre prévision, sur fond de réduction du taux de chômage et d’augmentation du nombre de secteurs subissant des pénuries de main d’œuvre.

CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE)

La consommation des ménages resterait le principal contributeur à la croissance, bénéficiant des fortes créations d’emplois et de nouveaux gains de pouvoir d’achat (voir plus bas). La confiance des ménages reflète cette conjonction favorable (49,5 en octobre contre 42,7 en moyenne sur 2015-2019 selon l’enquête Ipsos).

L’investissement serait également soutenu, en 2026, par la poursuite de l’utilisation des fonds du plan de relance et de résilience de l’UE, et par la baisse des taux d’intérêt accordés aux sociétés non financières (passés de 5,1% en octobre 2023 à 3,3% en octobre 2025). 2027 devrait marquer un ralentissement avec la disparition progressive de ces fonds européens.

ÉVOLUTION DU POUVOIR D’ACHAT DES MÉNAGES ESPAGNOLS DEPUIS LE T4 2020

L’activité bénéficierait aussi d’une accélération des exportations, en raison de la hausse de la demande allemande et de l’amélioration de la croissance des principaux partenaires commerciaux de l’Espagne.

Marché du travail : vers le plein-emploi ?

La consommation des ménages espagnols reste portée par les créations d’emplois et une dynamique salariale soutenue par la baisse du taux de chômage. L’immigration joue un rôle déterminant : elle a permis à la population active de continuer de croître malgré un solde naturel négatif entre les naissances et les décès. La part de la population active étrangère est ainsi passée de 16,9% de la population active totale au T3 2024 à 17,7% au T3 2025. Le dynamisme du marché du travail devrait se poursuivre dans les prochains trimestres. Bien qu’il reste l’un des plus élevés de la zone euro, le taux de chômage diminue (10,5% en septembre ; -0,9pp a/a), tandis que l’emploi (mesuré par le nombre d’affiliés à la sécurité sociale) enchaîne les records historiques (21,8 millions en octobre, soit +500 000 sur un an).

Néanmoins, le manque de main-d’œuvre limite de plus en plus la production dans la construction et les services, selon l’enquête ESI de la Commission européenne. Ces éléments suggèrent que l’Espagne s’approche d’une situation de plein-emploi. Le niveau structurel du chômage y est historiquement élevé - autour de 7-8% - et les projections indiquent que ce seuil serait atteint à la fin de la décennie (9,6% en 2027 selon la Commission européenne). Dans ce contexte, le soutien des créations d’emplois à la croissance s’atténuerait et s’accompagnerait d’une hausse des pressions salariales ainsi que d’une inflation structurellement plus élevée.

Le ralentissement de l’inflation nourrira la hausse du pouvoir d’achat

La surperformance de la croissance espagnole par rapport à la moyenne de la zone euro s’accompagne aussi d’une inflation plus élevée. Les mesures (totale et sous-jacente) de l’inflation espagnole (3,2% a/a et 2,9% a/a en octobre) restent supérieures à celles de la zone euro (respectivement 2,1% et 2,4%). Elles le resteraient en 2026, selon nos prévisions, malgré un ralentissement (2,3% contre 1,9% pour la zone euro pour l’inflation totale) lié à la modération des prix de l’alimentaire et de l’énergie.

La croissance des salaires nominaux (3,5% en octobre, rythme stable depuis juillet) devrait se modérer. Elle resterait néanmoins supérieure à l’inflation en 2026 et permettrait aux salaires réels de combler une partie du retard pris lors de la crise inflationniste (ils restent inférieurs de près de 7 points au niveau du T1 2020, contre -9,1 points au pire au T3 2022). De son côté, l’évolution du revenu disponible brut réel est plus favorable (cf. graphique 2). Ce dernier a augmenté de 15 points en comparaison à son niveau pré-Covid ; cette croissance devrait se poursuivre. La progression du pouvoir d’achat des ménages continuerait donc de soutenir la consommation privée.

La croissance nominale permettra de réduire la dette publique

La reconduction du budget de l’État depuis 2023[1], ainsi que la suppression des mesures de soutien mises en place en réponse à la pandémie ont permis de réduire le déficit primaire de 2,3% du PIB en 2022 à 0,1% en 2025 (selon notre estimation). En 2026-2027, l’Espagne parviendrait même à dégager un excédent (+0,4% en 2026 et +0,7% en 2027) pour la première fois depuis 2007, en partie grâce à une forte croissance nominale (4,3% en moyenne sur la période).

En parallèle, les dépenses publiques devraient rester relativement stables en raison de la quasi certaine reconduction du budget 2023 pour la troisième année consécutive en 2026 et de la volonté du gouvernement de ne pas augmenter les dépenses de défense au-delà de 2,1% du PIB. Les recettes continueraient de croître, soutenues par la hausse de la consommation domestique (effet favorable sur les recettes de TVA) et par le double effet des créations d’emplois et de la hausse des salaires sur les recettes des cotisations sociales.

RATIOS BUDGÉTAIRES (EN % DU PIB)

De plus, le taux d’intérêt apparent sur la dette (2,6% en 2026 selon nos prévisions) resterait largement inférieur à la croissance nominale. En conséquence, le ratio de dette publique sur PIB passerait sous la barre des 100% dès 2026, pour atteindre 95,3% en 2027 (contre 100,4% en 2025), selon nos prévisions[2]. De son côté, le spread Espagne-Allemagne reste orienté à la baisse à 47,2 pb en décembre 2025 (contre 66,7 un an plus tôt).

Commerce extérieur : l’attractivité de l’Espagne limitera la dérive du solde extérieur

Les comptes extérieurs espagnols sont solides : l’excédent courant s’est accentué depuis 2023 (EUR 13,2 mds au T3 2025) ; il devrait toutefois se réduire avec la diminution probable de l’excédent sur les services. Les recettes touristiques se sont d’ores et déjà stabilisées à des niveaux élevés (la croissance des arrivées de touristes a nettement ralenti, de +10,9% en septembre 2024 à +1,0% a/a en septembre 2025).

En parallèle, le déficit de la balance des biens devrait continuer de se creuser en 2026. Les exportations ralentiraient du fait des impacts directs et indirects de la hausse des droits de douane américains. De leur côté, les importations augmenteraient en raison de la forte demande intérieure. En 2027, les exportations seraient cependant soutenues par l’amélioration des perspectives de croissance en zone euro.

En 2024, l’Espagne reste le 2e récipiendaire de flux d’investissements directs étrangers (IDE), après la France[3]. Ces IDE soutiennent la capacité du pays à exporter : un élément qui devrait porter le potentiel de croissance et limiter le déficit commercial.

Faible productivité : une menace pour la surperformance espagnole

L’écart de PIB par habitant entre l’Espagne et les trois principales économies de la zone euro (Allemagne, France et Italie) s’explique avant tout par une productivité beaucoup plus faible[4]. Le tissu productif espagnol reste, en effet, dominé par des secteurs moins productifs (notamment les activités liées au tourisme). Cette faiblesse tient également à la petite taille des entreprises, à leur difficulté à croître et à des dépenses en recherche et développement plus faibles (1,5% du PIB en 2023 en Espagne contre 2,2% en France). La croissance du PIB est principalement soutenue par un apport de main d’œuvre, mais le déficit de productivité pourrait devenir plus contraignant à mesure que cet effet se résorbera. Par ailleurs, un possible reflux de l’immigration nette, combiné au vieillissement rapide de la population, pourrait jouer à la baisse sur la main-d’œuvre disponible, qui constitue pourtant l’un des principaux atouts du pays.

Achevé de rédiger le 03/12/2025



[1] Induite par la minorité du gouvernement au Parlement, qui l’empêche de faire voter le budget.

[2] Voir notre Eco Charts Finances publiques 2025 - Espagne : vers une réduction de la dette publique dans un contexte de forte croissance.

[3] World Investment Report 2025 “World Investment Report 2025: International investment in the digital economy”, UNCTAD.

[4] Note de juin 2025 « Spain’s Productivity Gap Vis-à-Vis Europe and the United States: Diagnosis and Remedies », FMI.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées

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