Contre toute attente, le parti du président argentin Javier Milei sort grand vainqueur des élections de mi-mandat du 26 octobre alors qu’il avait subi un revers électoral moins de deux mois plus tôt. Comment expliquer ce revirement alors que la situation économique et sociale s’est nettement dégradée depuis le printemps ? L’allègement des tensions sur le peso et la prime de risque permettra-t-il d’éviter la récession ? L’aide financière américaine suffira-t-elle à écarter tout risque de défaut sur la dette extérieure ?
 
Contre toute attente, le parti du président Milei (La Libertad Avanza, LLA) sort grand vainqueur des élections de mi-mandat du 26 octobre alors qu’il avait subi un revers électoral moins de 2 mois plus tôt, lors des élections provinciales de la région de Buenos Aires. Avec les partis alliés de LLA, le président Milei dispose de 43% des sièges de députés, ce qui devrait inverser le rapport de force qu’il avait perdu au cours de l’été. Ce revirement électoral, dans un contexte de dégradation de la situation économique, s’explique par la faiblesse du taux de participation, reflet de la lassitude des électeurs, par la désinflation et par le soutien sous conditions de Donald Trump. L’allègement des tensions sur le peso et les primes de risque va peut-être éviter à l’économie argentine de connaître une récession prolongée. Mais la croissance du PIB va fortement ralentir. De plus, la politique de change fait courir le risque d'une nouvelle dévaluation du peso. Le soutien financier américain a été interprété à tort comme un bail-out alors que la solvabilité de l’État n’est pas en cause. En revanche, en raison du montant limité des réserves de change, le soutien du Trésor américain, qui joue pour l’instant le rôle de garant, est nécessaire pour rassurer les investisseurs sur la capacité à court terme de l’État argentin à honorer sa dette en dollars.
 
Élections de mi-mandat : une victoire contre toute attente
À la surprise générale, le parti du président Milei (La Libertad Avanza) est le grand gagnant des élections de mi-mandat du 26 octobre avec 41% des voix contre 33% pour l’opposition péroniste (Fuerza Patria). Ce résultat a surpris. En effet, lors des élections provinciales de la région de Buenos Aires du 7 septembre dernier, l’écart avait bénéficié à l’autre camp, LLA n’obtenant alors que 34% des votes contre 47% pour les péronistes. Qui plus est, même dans cette province, bastion du péronisme qui rassemble 35% de la population, le parti du président Milei l’a emporté d’une courte tête (41,5% des votes contre 40,8% pour Fuerza Patria).
LLA reste très minoritaire avec 80 sièges sur les 257 sièges de la Chambre basse et 12 sièges sur les 72 de la Chambre haute. Mais, avec les partis alliés, le président Milei dispose de 43% des sièges de députés, ce qui devrait inverser le rapport de force qu’il avait perdu depuis l’été, le Parlement ayant notamment rejeté ses veto sur l’augmentation de certaines dépenses du budget 2026.
Comment expliquer ce revirement soudain alors que la situation économique et sociale s’est nettement dégradée depuis le printemps ? L’allègement des tensions sur le peso et la prime de risque, que la situation financière précaire du pays avait ravivées au cours des derniers mois, peut-il permettre à l’économie d’éviter de retomber en récession ? L’aide financière américaine suffira-t-elle à écarter tout risque de défaut sur la dette extérieure ?
Les raisons du revirement électoral
Trois raisons peuvent être avancées pour expliquer le revirement électoral.
La première raison est la faiblesse de la participation avec le taux le plus bas (67%) depuis 1983 alors que le vote est obligatoire en Argentine. Il traduit la lassitude des électeurs en général mais probablement davantage celle des sympathisants de l’opposition péroniste que des électeurs de LLA. De plus, LLA a bénéficié du soutien de l’ancien président Mauricio Macri et de Patricia Bullrich, ancienne ministre de l’Intérieur du gouvernement de M. Macri, figures du Propuesta Republicana (PRO), principal parti allié au LLA au sein du Parlement.
La deuxième raison est le succès du gouvernement de Milei sur le front de d’inflation, la hausse mensuelle des prix à la consommation ayant été ramenée à 2,5% en moyenne depuis la mi-2024 contre 7% les deux années précédant l’arrivée au pouvoir de J. Milei fin 2023[1]. Encore à trois chiffres fin 2024, le taux d’inflation en glissement annuel a été ramené à 32% en septembre dernier.
Enfin, la déclaration de Donald Trump la veille de l’élection, conditionnant le soutien financier des États-Unis à la victoire de J. Milei, a peut-être convaincu une partie des électeurs de voter pour LLA. En effet, les pressions baissières sur le peso et les déclarations de situation de bail-out ont pu nourrir les craintes d’un défaut souverain, voire d’une crise financière si les États-Unis ne venaient pas à sa rescousse.
Des perspectives de croissance en baisse pour 2026
Au lendemain des élections, le peso s’est fortement réapprécié, retournant dans son corridor de fluctuation dans lequel il évolue depuis avril. La prime de CDS à 5 ans, proxy de la prime de risque sur les emprunts de l’État en dollars, s’est réduite à 800pb contre 1400pb avant les élections. L’allègement des tensions financières va peut-être éviter à l’économie argentine de connaître une récession prolongée[2]. Mais la croissance du PIB en 2026 risque d’être bien plus faible que les prévisions officielles (dans ses prévisions d’automne, le FMI tablait sur une croissance de 4,5%).
Premièrement, même si le résultat des élections renforce la légitimité du gouvernement, les ménages paient un lourd tribut à la politique budgétaire restrictive qui pèse maintenant sur la consommation privée. En outre, l’inflation a, certes, reflué mais les pertes d’emplois sont massives. De plus, le gouvernement a taillé dans sa masse salariale et les transferts courants au secteur privé[3]. Or, l’accord avec le FMI prévoit un budget du gouvernement central équilibré en 2026, ce qui signifie un excédent primaire d’au moins 2% du PIB.
Deuxièmement, le régime de change avec des marges de fluctuation fait courir un risque de dévaluation du peso. Le solde du compte courant, qui était excédentaire tout au long de 2024, a été de nouveau déficitaire au premier semestre 2025 avec un fort effet de ciseau entre l’accélération des importations en volume, accentuée par la levée des restrictions sur les importations, et la croissance bien plus modérée des exportations. Le déficit de la balance des services s’est également aggravé. Ces évolutions laissent penser que le taux de change réel pourrait être de nouveau surévalué. De fait, la dévaluation de 54% du peso contre USD en décembre 2023 a été effacée par l’inflation cumulée. Compte tenu des investissements directs modestes que reçoit le pays, le déficit courant « soutenable » est de l’ordre de 2% du PIB, ce qui nécessite a priori un taux de change nominal proche de sa borne basse du corridor[4]. Mais si la Banque centrale est obligée d’intervenir trop régulièrement pour éviter que le taux de change se déprécie au-delà de sa borne basse, parce que le déficit courant n’est pas compensé par un excédent suffisant du compte financier, le régime de change sera jugé non crédible et incitera les marchés à tester la borne. Les pressions seraient pour un réajustement du corridor, c’est-à-dire une dévaluation et donc un impact récessif à court terme avec une contraction de la demande intérieure.
Un soutien financier extérieur toujours nécessaire
En septembre, le Trésor américain a annoncé la mise en place d’une ligne de swap de USD 20 mds, garantie par le fonds de soutien des changes (Exchange Stabilisation Fund)[5]. Ce soutien financier américain a été interprété comme l’équivalent d’un bail-out. Or, un bail-out, qui constitue un soutien en cas de défaut imminent, est généralement associé à une restructuration de dette. L’Argentine n’est pas dans cette situation actuellement car le pays est simplement confronté à un manque de liquidité en dollars.
Les réserves de change de l’Argentine (USD 41 mds) sont insuffisantes au regard du service de sa dette extérieure, surtout si l’on considère les réserves « utilisables » de la Banque centrale, c’est-à-dire hors ligne de swap en renminbi de la Banque centrale chinoise (équivalant à USD 23 mds) et hors réserves obligatoires en devises des banques commerciales auprès de la Banque centrale argentine (USD 12 mds). D’ici à la fin de l’année, les tombées de dette en dollars US du gouvernement fédéral et de la Banque centrale atteindront USD 3 mds (en supposant que le FMI débourse de nouveau USD 2 mds à l’issue de sa deuxième revue). En 2026, le service de la dette des administrations publiques (gouvernement fédéral, Banque centrale et régions) est estimé à environ USD 22 mds. À cela s’ajoutent une dizaine de milliards de dollars supplémentaires de tombées de dette extérieure financière des entreprises du secteur privé non bancaire.
Le soutien financier américain apparaît donc nécessaire pour rassurer les investisseurs sur la capacité à court terme de l’État argentin à honorer sa dette en dollars. La solvabilité de l’État, c’est-à-dire la maîtrise de son endettement, va dépendre de sa capacité à maintenir un solde primaire en excédent car l’écart entre le taux de refinancement de la dette existante et le taux de croissance devrait se dégrader. Mais la solvabilité de l’État argentin dépend aussi indirectement de la capacité des entreprises à tirer parti de la baisse de l’incertitude politique pour investir, et donc soutenir la croissance.