La croissance économique turque marque le pas. Hors restockage, la demande finale s’est contractée au T2 2025, après avoir nettement ralenti au T1. Ce faisant, elle s’est rééquilibrée avec moins de consommation et plus d’investissement. La contribution des échanges extérieurs est devenue négative mais, pour l’instant, le déficit courant reste contenu grâce à la baisse de la facture énergétique et aux recettes du tourisme. La persistance de l’inflation demeure le principal frein à la croissance, non seulement par ses effets délétères sur le pouvoir d’achat et la compétitivité extérieure (via l’appréciation du taux de change réel), mais aussi par la contrainte qu’elle impose à la politique monétaire dans un contexte d’instabilité financière, temporaire mais récurrente. Malgré l’augmentation du déficit budgétaire, la situation des finances publiques offre des marges de manœuvre en cas de besoin.
Croissance : rééquilibrage incomplet Au T2 2025, la croissance du PIB a rebondi (+1,6% t/t) en raison d’une très forte contribution des stocks, les entreprises ayant probablement anticipé le durcissement effectif des droits de douanes américains. La demande intérieure finale (i.e hors stocks), qui avait déjà ralenti (+0,5% t/t au T1 contre 1,9% en moyenne aux T3 et T4 2024), s’est contractée de 0,7%.
La consommation des ménages s’est tassée pour le deuxième trimestre consécutif. L’emploi ne progresse plus depuis 2024 et le taux de chômage (8,5% en août) ne baisse plus depuis début 2025. Par ailleurs, après une période de rattrapage en 2023 et 2024, le pouvoir d’achat des salaires a très fortement ralenti (+3,2% au S1 2025 par rapport au S1 2024 contre 21% en 2024 en moyenne annuelle) ; il n’y a eu qu’une revalorisation du salaire minimum au 1er janvier de 2024 et 2025 contre deux fois par an en 2022 et 2023. Enfin, les ménages ont eu bien moins recours à l’achat par cartes de crédit au cours du T2 ; l’encours de ce type de financement, très répandu, représentait fin 2024 près de la moitié du crédit aux ménages contre 21% fin 2019. La consommation publique en volume[1] a été stable au S1 2025 par rapport au S2 2024, reflétant la neutralité de la politique budgétaire (cf . infra ).
Prévisions
Contrairement à la consommation, l’investissement est resté dynamique grâce à l’investissement en construction (+4,3% au S1 2025 par rapport au S2 2024, lui-même en progression de plus de 4% par rapport au S1 2024) et, dans une moindre mesure, grâce à l’investissement en équipement (+1% au S1 2025). Le taux d’investissement est resté stable entre 25% et 26% du PIB depuis 2022 contre 30% entre 2015 et 2019, car l’investissement en construction n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant Covid-19. Mais la composante équipement a très nettement progressé, passant de 4,8% du PIB en 2019 à 6,7% au T2 2025.
L’effort massif d’investissement en équipement au cours des 5 dernières années (+83% en volume entre 2019 et 2025), ajouté à celui en investissement immatériel (logiciels et R&D, +43% sur la même période), s’est traduit par une hausse de la productivité (+10% dans le secteur manufacturier depuis 2019) qui a permis de compenser en partie la très forte hausse des coûts de production (énergie et rattrapage des salaires). C’est l’une des raisons (avec la réorientation vers d’autres marchés et le dynamisme du tourisme) pour lesquelles les exportations de biens et services ont jusqu’à présent assez bien résisté. En volume, ces dernières ont été stables au S2 2055 par rapport au S2 2024 malgré i/ la faible progression des importations de la zone euro et du Royaume-Uni, principal marché extérieur de la Turquie et ii/ l’appréciation du taux de change réel depuis 2022 (+25% sur la base des prix de production).
Turquie : Indicateurs d’activité (2019=100)
Au S1 2025, la contribution nette des échanges extérieurs a cependant été négative, le restockage du T2 ayant tiré à la hausse les importations. Le solde commercial hors importations nettes d’énergie est devenu déficitaire d’avril à juillet.
Au final, d’un côté, la croissance s’est plutôt rééquilibrée, avec moins de consommation et plus d’investissement mais, d’un autre côté, les échanges extérieurs sont devenus un facteur négatif. Pour autant, le déficit courant reste contenu (-1,3% du PIB sur 12 mois en juillet), grâce notamment aux recettes du tourisme (USD 49 mds sur 12 mois en juillet, soit un peu plus de 3% du PIB).
Instabilité financière : une contrainte pour la politique monétaire La persistance de l’inflation reste le principal frein à la croissance, non seulement en raison de ses effets délétères sur le pouvoir d’achat et la compétitivité extérieure (via l’appréciation du taux de change réel), mais aussi par la contrainte qu’elle impose à la politique monétaire dans un contexte d’instabilité financière.
L'inflation reste élevée. La variation mensuelle de l’indice des prix à la consommation a même accéléré depuis mai, passant de 1,4% à 2,6% en moyenne sur la période août-octobre, de sorte que la décrue du taux d'inflation en glissement sur un an s’est interrompue depuis juillet, ce dernier se stabilisant autour de 33%. La volatilité du change en est la raison principale.
Au cours de la deuxième partie du mois de mars, le pays a en effet connu un nouvel épisode de tensions financières déclenchées par la situation politique interne. D'importantes sorties d’investissements de portefeuille des non-résidents ont conduit la Banque centrale à interrompre sa politique d'assouplissement monétaire, l’obligeant à relever ses taux directeurs en avril.
Finalement, les tensions sur les rendements et les primes de risque sur les obligations d'État sont rapidement retombées au cours du deuxième trimestre. Les primes de CDS à 5 ans ont même atteint un point bas pendant l'été, à seulement 215 points de base (la moyenne historique est d’environ 200 points de base). La Banque centrale a pu de nouveau abaisser son principal taux d’intérêt directeur (le taux des prises en pensions à une semaine) en juillet et en septembre, pour le ramener de 46% en avril à 39,5% actuellement.
Cependant, les rendements des obligations d’État n’ont pas suivi cette détente des taux directeurs et sont restés à un niveau plus élevé qu’avant l’épisode de stress.
L’impact de cet épisode de stress devrait être a priori limité. La charge d’intérêts de l’État ne s’alourdira que marginalement si les rendements obligataires se stabilisent au niveau actuel (30% pour les obligations à 10 ans). Pour les ménages et entreprises, les taux débiteurs suivent les taux directeurs de la Banque centrale (graphique 2) et ils se sont donc déjà détendus. Par ailleurs, les ratios d’endettement des ménages et des entreprises restent modérés.
Turquie : Taux d’intérêt et crédit domestique Mais, dans un contexte de risque politique toujours latent, source de volatilité du taux de change et des taux d’intérêt, les autorités monétaires peuvent être contraintes de faire machine arrière à tout moment. Même s’ils sont temporaires, les épisodes de volatilité pèsent sur la confiance des entreprises. Dans ces conditions, la reprise de l’économie turque ne peut être que progressive car la politique monétaire reste très restrictive[2] , et la politique budgétaire ne devrait pas être d’un grand soutien.
Finances publiques : des marges de manœuvre en cas de besoin Les métriques des finances publiques ont continué de s'améliorer. Le déficit budgétaire a toutefois sensiblement augmenté en 2023 et 2024, mais cette détérioration est très largement la conséquence des dépenses budgétées liées au tremblement de terre de 2023. Si l'on exclut ces dépenses, le déficit n'était que de 3% du PIB en 2024. Hors charge d’intérêts, il était de seulement 0,2%.
Cette année, le déficit primaire total (déficit hors charge d’intérêts) s’est réduit de -2,2% en décembre 2024 à -0,5% en août 2025, grâce à la fois à une augmentation des recettes (+1 point de pourcentage du PIB) et à une maîtrise des dépenses hors intérêts (-0,7 point de pourcentage du PIB). Toutefois, la charge d'intérêts a augmenté, passant de 2,8% du PIB au T4 2024 à 3,4% au T2 2025, car :
i) l'écart négatif entre les rendements obligataires réels et la croissance réelle du PIB (effet boule de neige négatif) s’est réduit avec les tensions sur les rendements obligataires,
ii) le ratio dette/PIB a légèrement augmenté au premier semestre 2025.
La dynamique de la dette reste cependant très favorable en tendance ; le ratio de dette de l’État central a été réduit de 15 points de PIB depuis fin 2020. Il n’était plus que de 21,9% en juin 2025[3] . Cela s’explique par des déficits primaires modérés et, surtout, par un fort effet boule de neige négatif et, depuis 2022, par l’appréciation réelle de la livre. La structure de la dette reste toutefois risquée car la part libellée en devises étrangères est importante (53%) et la maturité de la dette domestique est courte (3,4 années fin 2024 contre 7,9 en moyenne pour les pays de la zone euro).
Dans son programme à moyen terme (PMT) pour 2026-2028 publié en septembre, le ministère des Finances a révisé à la hausse le déficit budgétaire pour cette année à 3,6% du PIB. Mais, hors dépenses liées au séisme, il devrait rester modéré à -2,8% malgré l'augmentation de la charge d'intérêts. Hors dépenses exceptionnelles et charge d’intérêts, le budget est même prévu légèrement en excédent (0,2% du PIB), sur la base d’hypothèses sur la croissance plus réalistes que celles du PMT de l’année dernière. La politique budgétaire sera a priori neutre pour la croissance économique à court terme, même si des marges de manœuvre existent.
Le Trésor ne rencontre pas de difficulté de financement, bien que les tensions financières ponctuelles l’obligent parfois à reporter les émissions de dette obligataire internationale, comme ce fut le cas sur la première partie de l’année. Depuis janvier cependant, il a émis pour l’équivalent de USD 8,75 mds de global bonds en USD ou en euros et de Sukuk bonds en USD.
Achevé de rédiger le 28 octobre 2025