Sous l’effet du resserrement monétaire, la croissance économique du Brésil s’essouffle depuis deux trimestres. Le ralentissement de la demande intérieure favorise néanmoins la poursuite du processus de désinflation, également soutenu par la baisse des prix alimentaires et du pétrole ainsi que par le renforcement du real. Malgré le cadre monétaire très restrictif, les marchés du travail et du crédit continuent d’offrir des poches de résistance à l’économie. L’impact des tensions commerciales avec les États-Unis reste, pour l’heure, contenu. Des initiatives diplomatiques, combinées au positionnement géostratégique du Brésil, laissent entrevoir un apaisement des tensions. Freinées par des contraintes institutionnelles, politiques et financières, les marges de manœuvre budgétaires – à un an des élections générales – sont limitées. Certains canaux extra-budgétaires offrent toutefois des leviers de soutien à la croissance. Ces derniers devront être calibrés avec prudence pour ne pas compromettre la détente monétaire attendue par les marchés à horizon du T1 2026.
Activité économique : en perte de vitesse Depuis deux trimestres, la croissance économique marque le pas. Au T2, le PIB en volume progressait de 0,4% t/t contre 1,3% t/t au T1 en raison de la perte de dynamisme de la demande intérieure. La consommation des ménages n’a progressé que de 0,5% t/t, soit la moitié du rythme observé au T1, tandis que les dépenses d’investissement – qui avaient soutenu la croissance au T1 – ont reculé de 2,2% t/t. Au T3, les derniers indicateurs d’enquête confirment les signes d’essoufflement de l’activité. En septembre, l’indicateur PMI services affichait notamment un 6e mois consécutif de repli tandis que la production manufacturière enregistrait sa plus forte contraction depuis près de deux ans et demi (46,5).
Parallèlement, la confiance dans l’industrie s’effrite sous l’effet des tensions commerciales avec les États-Unis et de la politique monétaire très restrictive de la Banque centrale (BCB). Le taux directeur réel est près de deux fois plus élevé que le taux neutre, estimé proche de 5%. À ce stade, le ralentissement de l’activité ne s’est pas encore pleinement répercuté sur le marché du travail ni sur le crédit, même si des signaux de fléchissement apparaissent depuis quelques mois. La croissance devrait atteindre 2,3% en 2025 (après 3,6% en 2024) puis ralentir à 1,6% en 2026.
Prévisions Politique monétaire : fin du cycle haussier et inertie de la transmission Après avoir accéléré en début d’année, l’inflation reflue depuis avril à la faveur du ralentissement économique et d’un contexte externe favorable (baisse du prix du pétrole et des prix alimentaires, appréciation de 13% du real contre le dollar depuis janvier). Cela dit, la désinflation progresse lentement. L’indice IPCA a même enregistré un léger rebond en septembre de 5,13% à 5,17% en g.a en raison d’un effet de rattrapage lié à une remise exceptionnelle sur les factures d’électricité en août (bonus Itaipu ). Des signaux encourageants émergent toutefois depuis quelques mois. La composante sous-jacente de l’indice IPCA bat en retraite tandis que les pressions inflationnistes dans les services s’atténuent. Ces évolutions expliquent la décision de la BCB d’interrompre son cycle de hausse des taux en juin, après un resserrement cumulé de 450 points de base (pb) entre septembre 2024 et juin 2025, portant le taux SELIC à 15%. Les marchés anticipent toujours une baisse des taux à partir du T1 2026 et une baisse cumulée de 275 pb sur l’année 2026.
Le crédit résiste bien à la rigueur de la politique monétaire (+11,5% en g.a. à fin 2024 ; +10,15% début septembre 2025). Une étude du FMI[1] explique cette résistance par trois facteurs clés :
1/ un mécanisme de transmission monétaire atténué où pour obtenir une augmentation de 100 pb des taux moyens sur les crédits à l’économie, la BCB doit relever son taux directeur de 140 pb en raison de la structure du marché bancaire : environ 40% des crédits sont des prêts dirigés par l’État moins sensibles aux variations du taux directeur ;
2/ l’essor des fintechs a élargi l’accès au crédit et permis de maintenir l’offre de crédit malgré le resserrement monétaire (en 2024, les banques digitales et les fintechs représentaient 25% du marché des cartes de crédit et plus de 10% des crédits aux particuliers non adossés aux salaires) ;
3/ la croissance soutenue des revenus des ménages (salaire minimum revalorisé, transferts sociaux, marché du travail dynamique) qui a soutenu la solvabilité des emprunteurs et donc la demande de crédit.
En termes réels, l’encours de crédit (5% en g.a. fin août) continue de croître à un rythme près de deux fois supérieur à celui de l’activité économique. Toutefois, depuis mai, le crédit montre des signes plus nets de ralentissement, en particulier sur le segment des entreprises.
Brésil : Croissance du crédit et part du crédit libre vs. crédit dirigé Comptes externes : l’heure de la diversification ? L’impact sur l’activité des mesures tarifaires américaines annoncées cet été devrait rester limité. Le tarif de 50% n’a en réalité été appliqué qu’à environ 36% des exportations du Brésil vers les États-Unis[2] (45% des exportations étaient exemptées et soumises uniquement au tarif de 10%). Depuis l’annonce des tarifs, les exportations vers les États-Unis ont chuté d’un peu plus de 15% (cumul août-septembre), les secteurs les plus touchés étant la viande, le bois, le café et les produits métallurgiques. Cette baisse a été partiellement compensée, par une hausse des ventes vers d’autres marchés, notamment la Chine (cette dernière a délivré des permis d’exportation de café à plus 183 entreprises brésiliennes touchées par les mesures). Après les annonces américaines, le Brésil n’a pas pris de mesures de rétorsion; le pays a allégé sa règle budgétaire afin d’aider les entreprises les plus touchées par les sanctions américaines[3] ; en outre, il œuvre parallèlement à diversifier ses partenaires commerciaux et à accélérer le processus de ratification des accords de libre-échange dans le cadre du Mercosur[4] . Finalement, sur le plan politique, les mesures américaines ont eu l’effet inverse qu’escompté : plutôt que de protéger Jair Bolsonaro, elles ont renforcé la popularité du président Lula (79 ans) – qui a confirmé vouloir se représenter aux élections générales en 2026. Au lendemain de plusieurs tentatives de rapprochement, les relations entre les États-Unis et le Brésil pourraient se détendre à court terme. Le Brésil abrite 17% des réserves mondiales de terres rares derrière la Chine (37%), ce qui lui confère un levier géoéconomique significatif dans les chaînes de valeur dites « critiques » auxquelles les États-Unis sont désormais particulièrement attentifs.
Quelle capacité de soutien public à l’économie ? À court terme le canal budgétaire ne devrait pas constituer un moteur significatif de soutien conjoncturel. L’impulsion budgétaire au niveau fédéral provient typiquement des transferts sociaux et d’évolutions réglementaires.[5]
À l’inverse, la consommation publique ne contribue que marginalement à la croissance, tandis que l’investissement fédéral sert fréquemment de variable d’ajustement en période de tensions sur les finances publiques (et il est de surcroît faible, inférieur à 1% du PIB). Si les transferts sociaux étaient amenés à augmenter à l’approche des élections de 2026, leur progression devrait rester contenue – la Loi de responsabilité budgétaire et des règles électorales limitant l’augmentation des dépenses publiques en période pré-électorale. À noter que même si le nouveau cadre budgétaire autorise des dépenses contracycliques, les dépenses ne pourront augmenter que modestement (+0,6% au-dessus de l’inflation et au global, une marge de +/- 0,25% du PIB autour de l’objectif de déficit est toléré).
Outre les impératifs de conformité aux règles budgétaires, le gouvernement doit composer avec des contraintes financières importantes :
i) niveau élevé (et en hausse) de l’endettement public (76,5% du PIB fin 2024),
ii) forte rigidité des dépenses,
iii) très lourde charge d’intérêts (6,3% du PIB fin 2024),
iv) défiance immédiate des marchés et remontée des taux longs lorsque les équilibres budgétaires sont fragilisés.
À ces freins institutionnels et financiers s’ajoutent des freins politiques : début octobre, le gouvernement n’a pas réussi à faire adopter ses mesures d’augmentation des recettes, réduisant ses marges de manœuvre pour faire de la relance et atteindre sa cible budgétaire en 2026 (excédent primaire de 0,25% du PIB). Des soutiens à l’économie pourraient en revanche venir des collectivités locales. Les excédents publics au niveau des États et des municipalités ont en effet tendance à fortement se réduire lors des années électorales.
Hors périmètre budgétaire strict, les autorités disposent d’autres leviers pour stimuler la croissance du PIB. Premièrement, le canal monétaire reste très actif (même s’il est aujourd’hui moins dynamique qu’auparavant). Il agit à deux niveaux dans le cadre du Novo PAC[6] : a) au travers de crédits publics (l’essentiel des financements sont accordés par les grandes banques publiques – la BNDES, Banco do Brasil et Caixa Federal) ; b) via la mise en place de dispositifs de garanties publiques pour renforcer les mécanismes de concession ainsi que les partenariats public-privé (PPP).
Deuxièmement, l’effet du canal monétaire est amplifié par le canal règlementaire. Le gouvernement a, par exemple, récemment annoncé des modifications du dispositif d’épargne et de crédit destiné au financement immobilier. Le nouveau dispositif a pour objectif d’élargir les ressources disponibles pour le crédit hypothécaire de sorte à faciliter l’accès à la propriété pour la classe moyenne. Celle-ci devrait également profiter de l’adoption récente de la réforme exonérant de l’impôt sur le revenu les salariés gagnant moins BRL 5 000 (~EUR 800) par mois – soit environ 15 millions de personnes. La réforme, qui rentrera en vigueur à partir de janvier 2026, devrait soutenir la demande de la classe moyenne.
Troisièmement, le canal quasi-budgétaire constitue un autre levier d’action pour intensifier les projets d’investissement des grandes entreprises publiques. Son efficacité est toutefois variable (en imposant à Petrobras et Vale de réaffecter la distribution de dividendes à l’investissement courant 2024, Lula avait rencontré une vive résistance et fortement agité les marchés).
Transferts sociaux aux ménages du gouvernement fédéral
Dans le contexte actuel, les autorités sont confrontées à des arbitrages complexes : si les mesures de soutien à la demande intérieure finissent par attiser l'inflation (et les anticipations), le gain de croissance espéré pourrait être atténué, voire annulé, par un report du cycle d'assouplissement monétaire.
Achevé de rédiger le 27 octobre 2025