Eco Perspectives

Brésil | Face au ralentissement : un État contraint mais pas impuissant

13/11/2025
PDF

Sous l’effet du resserrement monétaire, la croissance économique du Brésil s’essouffle depuis deux trimestres. Le ralentissement de la demande intérieure favorise néanmoins la poursuite du processus de désinflation, également soutenu par la baisse des prix alimentaires et du pétrole ainsi que par le renforcement du real. Malgré le cadre monétaire très restrictif, les marchés du travail et du crédit continuent d’offrir des poches de résistance à l’économie. L’impact des tensions commerciales avec les États-Unis reste, pour l’heure, contenu. Des initiatives diplomatiques, combinées au positionnement géostratégique du Brésil, laissent entrevoir un apaisement des tensions. Freinées par des contraintes institutionnelles, politiques et financières, les marges de manœuvre budgétaires – à un an des élections générales – sont limitées. Certains canaux extra-budgétaires offrent toutefois des leviers de soutien à la croissance. Ces derniers devront être calibrés avec prudence pour ne pas compromettre la détente monétaire attendue par les marchés à horizon du T1 2026.

Activité économique : en perte de vitesse

Depuis deux trimestres, la croissance économique marque le pas. Au T2, le PIB en volume progressait de 0,4% t/t contre 1,3% t/t au T1 en raison de la perte de dynamisme de la demande intérieure. La consommation des ménages n’a progressé que de 0,5% t/t, soit la moitié du rythme observé au T1, tandis que les dépenses d’investissement – qui avaient soutenu la croissance au T1 – ont reculé de 2,2% t/t. Au T3, les derniers indicateurs d’enquête confirment les signes d’essoufflement de l’activité. En septembre, l’indicateur PMI services affichait notamment un 6e mois consécutif de repli tandis que la production manufacturière enregistrait sa plus forte contraction depuis près de deux ans et demi (46,5).

Parallèlement, la confiance dans l’industrie s’effrite sous l’effet des tensions commerciales avec les États-Unis et de la politique monétaire très restrictive de la Banque centrale (BCB). Le taux directeur réel est près de deux fois plus élevé que le taux neutre, estimé proche de 5%. À ce stade, le ralentissement de l’activité ne s’est pas encore pleinement répercuté sur le marché du travail ni sur le crédit, même si des signaux de fléchissement apparaissent depuis quelques mois. La croissance devrait atteindre 2,3% en 2025 (après 3,6% en 2024) puis ralentir à 1,6% en 2026.

Prévisions

Politique monétaire : fin du cycle haussier et inertie de la transmission

Après avoir accéléré en début d’année, l’inflation reflue depuis avril à la faveur du ralentissement économique et d’un contexte externe favorable (baisse du prix du pétrole et des prix alimentaires, appréciation de 13% du real contre le dollar depuis janvier). Cela dit, la désinflation progresse lentement. L’indice IPCA a même enregistré un léger rebond en septembre de 5,13% à 5,17% en g.a en raison d’un effet de rattrapage lié à une remise exceptionnelle sur les factures d’électricité en août (bonus Itaipu). Des signaux encourageants émergent toutefois depuis quelques mois. La composante sous-jacente de l’indice IPCA bat en retraite tandis que les pressions inflationnistes dans les services s’atténuent. Ces évolutions expliquent la décision de la BCB d’interrompre son cycle de hausse des taux en juin, après un resserrement cumulé de 450 points de base (pb) entre septembre 2024 et juin 2025, portant le taux SELIC à 15%. Les marchés anticipent toujours une baisse des taux à partir du T1 2026 et une baisse cumulée de 275 pb sur l’année 2026.

Le crédit résiste bien à la rigueur de la politique monétaire (+11,5% en g.a. à fin 2024 ; +10,15% début septembre 2025). Une étude du FMI[1] explique cette résistance par trois facteurs clés :

1/ un mécanisme de transmission monétaire atténué où pour obtenir une augmentation de 100 pb des taux moyens sur les crédits à l’économie, la BCB doit relever son taux directeur de 140 pb en raison de la structure du marché bancaire : environ 40% des crédits sont des prêts dirigés par l’État moins sensibles aux variations du taux directeur ;

2/ l’essor des fintechs a élargi l’accès au crédit et permis de maintenir l’offre de crédit malgré le resserrement monétaire (en 2024, les banques digitales et les fintechs représentaient 25% du marché des cartes de crédit et plus de 10% des crédits aux particuliers non adossés aux salaires) ;

3/ la croissance soutenue des revenus des ménages (salaire minimum revalorisé, transferts sociaux, marché du travail dynamique) qui a soutenu la solvabilité des emprunteurs et donc la demande de crédit.

En termes réels, l’encours de crédit (5% en g.a. fin août) continue de croître à un rythme près de deux fois supérieur à celui de l’activité économique. Toutefois, depuis mai, le crédit montre des signes plus nets de ralentissement, en particulier sur le segment des entreprises.

Brésil : Croissance du crédit et part du crédit libre vs. crédit dirigé

Comptes externes : l’heure de la diversification ?

L’impact sur l’activité des mesures tarifaires américaines annoncées cet été devrait rester limité. Le tarif de 50% n’a en réalité été appliqué qu’à environ 36% des exportations du Brésil vers les États-Unis[2] (45% des exportations étaient exemptées et soumises uniquement au tarif de 10%). Depuis l’annonce des tarifs, les exportations vers les États-Unis ont chuté d’un peu plus de 15% (cumul août-septembre), les secteurs les plus touchés étant la viande, le bois, le café et les produits métallurgiques. Cette baisse a été partiellement compensée, par une hausse des ventes vers d’autres marchés, notamment la Chine (cette dernière a délivré des permis d’exportation de café à plus 183 entreprises brésiliennes touchées par les mesures). Après les annonces américaines, le Brésil n’a pas pris de mesures de rétorsion; le pays a allégé sa règle budgétaire afin d’aider les entreprises les plus touchées par les sanctions américaines[3] ; en outre, il œuvre parallèlement à diversifier ses partenaires commerciaux et à accélérer le processus de ratification des accords de libre-échange dans le cadre du Mercosur[4]. Finalement, sur le plan politique, les mesures américaines ont eu l’effet inverse qu’escompté : plutôt que de protéger Jair Bolsonaro, elles ont renforcé la popularité du président Lula (79 ans) – qui a confirmé vouloir se représenter aux élections générales en 2026. Au lendemain de plusieurs tentatives de rapprochement, les relations entre les États-Unis et le Brésil pourraient se détendre à court terme. Le Brésil abrite 17% des réserves mondiales de terres rares derrière la Chine (37%), ce qui lui confère un levier géoéconomique significatif dans les chaînes de valeur dites « critiques » auxquelles les États-Unis sont désormais particulièrement attentifs.

Quelle capacité de soutien public à l’économie ?

À court terme le canal budgétaire ne devrait pas constituer un moteur significatif de soutien conjoncturel. L’impulsion budgétaire au niveau fédéral provient typiquement des transferts sociaux et d’évolutions réglementaires.[5]

À l’inverse, la consommation publique ne contribue que marginalement à la croissance, tandis que l’investissement fédéral sert fréquemment de variable d’ajustement en période de tensions sur les finances publiques (et il est de surcroît faible, inférieur à 1% du PIB). Si les transferts sociaux étaient amenés à augmenter à l’approche des élections de 2026, leur progression devrait rester contenue – la Loi de responsabilité budgétaire et des règles électorales limitant l’augmentation des dépenses publiques en période pré-électorale. À noter que même si le nouveau cadre budgétaire autorise des dépenses contracycliques, les dépenses ne pourront augmenter que modestement (+0,6% au-dessus de l’inflation et au global, une marge de +/- 0,25% du PIB autour de l’objectif de déficit est toléré).

Outre les impératifs de conformité aux règles budgétaires, le gouvernement doit composer avec des contraintes financières importantes :

i) niveau élevé (et en hausse) de l’endettement public (76,5% du PIB fin 2024),

ii) forte rigidité des dépenses,

iii) très lourde charge d’intérêts (6,3% du PIB fin 2024),

iv) défiance immédiate des marchés et remontée des taux longs lorsque les équilibres budgétaires sont fragilisés.

À ces freins institutionnels et financiers s’ajoutent des freins politiques : début octobre, le gouvernement n’a pas réussi à faire adopter ses mesures d’augmentation des recettes, réduisant ses marges de manœuvre pour faire de la relance et atteindre sa cible budgétaire en 2026 (excédent primaire de 0,25% du PIB). Des soutiens à l’économie pourraient en revanche venir des collectivités locales. Les excédents publics au niveau des États et des municipalités ont en effet tendance à fortement se réduire lors des années électorales.

Hors périmètre budgétaire strict, les autorités disposent d’autres leviers pour stimuler la croissance du PIB. Premièrement, le canal monétaire reste très actif (même s’il est aujourd’hui moins dynamique qu’auparavant). Il agit à deux niveaux dans le cadre du Novo PAC[6] : a) au travers de crédits publics (l’essentiel des financements sont accordés par les grandes banques publiques – la BNDES, Banco do Brasil et Caixa Federal) ; b) via la mise en place de dispositifs de garanties publiques pour renforcer les mécanismes de concession ainsi que les partenariats public-privé (PPP).

Deuxièmement, l’effet du canal monétaire est amplifié par le canal règlementaire. Le gouvernement a, par exemple, récemment annoncé des modifications du dispositif d’épargne et de crédit destiné au financement immobilier. Le nouveau dispositif a pour objectif d’élargir les ressources disponibles pour le crédit hypothécaire de sorte à faciliter l’accès à la propriété pour la classe moyenne. Celle-ci devrait également profiter de l’adoption récente de la réforme exonérant de l’impôt sur le revenu les salariés gagnant moins BRL 5 000 (~EUR 800) par mois – soit environ 15 millions de personnes. La réforme, qui rentrera en vigueur à partir de janvier 2026, devrait soutenir la demande de la classe moyenne.

Troisièmement, le canal quasi-budgétaire constitue un autre levier d’action pour intensifier les projets d’investissement des grandes entreprises publiques. Son efficacité est toutefois variable (en imposant à Petrobras et Vale de réaffecter la distribution de dividendes à l’investissement courant 2024, Lula avait rencontré une vive résistance et fortement agité les marchés).

Transferts sociaux aux ménages du gouvernement fédéral

Dans le contexte actuel, les autorités sont confrontées à des arbitrages complexes : si les mesures de soutien à la demande intérieure finissent par attiser l'inflation (et les anticipations), le gain de croissance espéré pourrait être atténué, voire annulé, par un report du cycle d'assouplissement monétaire.


[1] Xu, R., & Leigh, D. (2025). Monetary policy transmission to lending rates: Evidence from Brazil. IMF Working Papers, 2025(152), 10-5089.

[2] Soit 12% des exportations, un peu moins de 2% du PIB, dont des matières premières pour près de moitié.

[3] Le Congrès a approuvé une exemption au plafonnement des dépenses pour permettre le déploiement des mesures de soutien par le gouvernement. Elles se répartissent en 3 axes : (1) des lignes de crédit (2) des garanties à l'exportation pour les PME ; (3) l’achat des stocks de denrées périssables, pour fournir les cantines scolaires.

[4] Accélération du processus de ratification de l’accord commercial Mercosur-UE qui fait suite à la signature, en juillet, d’un accord de libre-échange entre le Mercosur et l’AELE (Suisse, Norvège, lslande, Liechtenstein) après huit ans de négociations.

[5] En revalorisant le salaire minimum à un rythme supérieur à l’inflation, le gouvernement Lula a mécaniquement augmenté le volume des transferts sociaux : le salaire minimum est utilisé comme base de calcul pour les pensions, les aides conditionnelles (ex. Bolsa Família), les allocations non conditionnelles (personnes âgées, plus démunis et personnes en situation de handicap).

[6] Plan d’accélération de la croissance, de BRL 1300 mds, soit USD 242 mds, relancé par Lula en 2023. 23% des projets ont été livrés.

Achevé de rédiger le 27 octobre 2025

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Équipe Data et Analytique

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Éditorial | Pays émergents : la croissance résiste mais ne suffit pas à stabiliser l’endettement public

Éditorial | Pays émergents : la croissance résiste mais ne suffit pas à stabiliser l’endettement public

La croissance des économies émergentes reste solide depuis le début de l’année, grâce notamment au dynamisme des exportations et à l’assouplissement des conditions financières [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Pays émergents | Panoramas régionaux

Pays émergents | Panoramas régionaux

Europe centrale : Résilience | Asie : Des exportations toujours dynamiques | Afrique du Nord et Moyen-Orient : Optimisme prudent | Amérique Latine : Peu impactée par le choc tarifaire américain mais des finances publiques fragiles [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Pays émergents | Indicateurs économiques

Pays émergents | Indicateurs économiques

Les indicateurs clés des principaux pays émergents et ceux de leur endettement public et de leur vulnérabilité aux conditions financières extérieures. [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Chine | Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré

Chine | Puissance exportatrice confirmée, modèle de croissance déséquilibré

Après un début d’année solide, la croissance économique chinoise a ralenti progressivement. Grâce à une réorientation rapide, les exportations ont bien résisté au choc tarifaire américain [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Inde | Soutien budgétaire à la croissance

Inde | Soutien budgétaire à la croissance

La croissance économique indienne a surpris à la hausse entre avril et juin 2025 (+7,8% en g.a.). Mais l’activité est moins dynamique qu’il n’y paraît et les risques baissiers sur la croissance sont élevés. La consommation des ménages reste molle [...]

LIRE L'ARTICLE
Indonésie
Indonésie | Pressions sur les finances publiques et les comptes extérieurs

Indonésie | Pressions sur les finances publiques et les comptes extérieurs

L’Indonésie est moins exposée aux conséquences de la hausse des tarifs douaniers américains que les autres pays de l’ASEAN, mais les risques baissiers sont importants [...]

LIRE L'ARTICLE
Turquie
Turquie | Ralentissement sur fond d'instabilité financière

Turquie | Ralentissement sur fond d'instabilité financière

La croissance économique turque marque le pas. Hors restockage, la demande finale s’est contractée au T2 2025, après avoir nettement ralenti au T1. Ce faisant, elle s’est rééquilibrée avec moins de consommation et plus d’investissement [...]

LIRE L'ARTICLE
Pologne
Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

Pologne | Une croissance solide malgré la consolidation budgétaire

La Pologne devrait faire son entrée, dès 2025, dans le cercle des 20 plus grandes puissances économiques mondiales. Son PIB en valeur dépasserait les 1000 milliards de dollars cette année [...]

LIRE L'ARTICLE
Roumanie
Roumanie | Cure d'austérité budgétaire

Roumanie | Cure d'austérité budgétaire

Les incertitudes électorales ont fortement pesé sur l’activité économique de la Roumanie l’an dernier. En 2025 et 2026, la croissance économique ne devrait s’améliorer que légèrement [...]

LIRE L'ARTICLE
Mexique
Mexique | Marges de manœuvre limitées

Mexique | Marges de manœuvre limitées

La croissance économique mexicaine a bien résisté au premier semestre 2025 [...]

LIRE L'ARTICLE
Argentine
Argentine | Dilemmes

Argentine | Dilemmes

Depuis le printemps, la situation macroéconomique et financière s’est fortement détériorée. La stabilisation pourtant réussie de 2024 a finalement été de courte durée. L’économie devrait avoir formellement basculé en récession au troisième trimestre [...]

LIRE L'ARTICLE
Colombie
Colombie | Dans l’attente des élections

Colombie | Dans l’attente des élections

En Colombie, la croissance économique rebondit après deux années de mauvaises performances, mais plusieurs secteurs d’activité sont encore à la traîne et l’investissement reste faible [...]

LIRE L'ARTICLE
Egypte
Égypte | Perspectives favorables à court terme

Égypte | Perspectives favorables à court terme

La stabilisation progressive de l’économie égyptienne se confirme, portée par le rétablissement de la liquidité en devises, et ce malgré le rythme inégal des réformes [...]

LIRE L'ARTICLE
Maroc
Maroc | Les voyants économiques sont au vert

Maroc | Les voyants économiques sont au vert

L’économie marocaine poursuit sur sa lancée. Peu impactée par le resserrement de la politique douanière américaine, elle enregistre une croissance du PIB soutenue depuis le début de l’année [...]

LIRE L'ARTICLE