Hors Série

Pays émergents : Optimisme prudent pour 2026

12/12/2025

La croissance des pays émergents en 2026 va-t-elle aussi bien résister qu’en 2025 ? La poursuite de l’assouplissement monétaire américain et de la désinflation militent en ce sens. Il faut aussi compter avec le rouleau compresseur chinois qui peut constituer une menace au travers du redéploiement agressif de ses exportations ou une aubaine en tant que partenaire commercial et/ou technologique. De plus, les conditions de financement ne seront peut-être pas aussi favorables qu’elles l’ont été ces dernières années. Enfin, les échéances électorales seront chargées.

Transcription :

00:29:27 – Emmanuel Laborde

Le temps d'un très rapide jingle, nous sommes désormais avec Christine et Cynthia.

Bonjour à toutes les deux.

00:29:55 – Christine Peltier et Cynthia Kalasopatan Antoine

Bonjour Emmanuel, bonjour à toutes et à tous.

00:29:58 – Emmanuel Laborde

Alors avec vous, on se projette donc à nouveau sur cette année 2026, mais à travers les économies émergentes que vous scrutez à longueur d'année pour les Études Économiques. On va commencer par une vision assez générale. On a entendu avec Hélène que les chiffres pour l'année 2025 à l'échelle mondiale étaient plutôt bons. Qu'en est-il de la croissance qui a plutôt bien résisté en 2025 ? Qu'est-ce qu'on attend pour l'année prochaine sur ces économies que vous scrutez ?

00:30:23 – Christine Peltier

Alors, premier élément de réponse, effectivement, les économies émergentes vont continuer de résister. Cependant, la croissance en moyenne va ralentir un peu. Cette croissance moyenne était de 4,2% en 2024. Elle devrait atteindre 4,1% en 2025 et elle devrait passer tout juste sous la barre des 4% en 2026.

00:30:39 – Emmanuel Laborde

Alors tu nous donnes les moyennes, on connaît le principe, il y a toujours des valeurs qui sont au-dessus, des valeurs qui sont en dessous. On va essayer de détailler ça un petit peu avec deux groupes. Quels sont, dans le premier groupe, les régions que l'on trouve, les endroits où il va y avoir un ralentissement de la croissance ?

00:30:59 – Christine Peltier

Deux principales régions vont connaître un ralentissement en 2026, c'est l'Asie et l'Amérique latine. Alors tout d'abord l'Asie, qui devrait afficher un ralentissement assez marqué, mais qui restera la région la plus dynamique. L'Asie dépend de son secteur exportateur. Or, les exportations ont performé beaucoup mieux que prévu depuis le début de l'année et elles devraient ralentir à court terme. De plus, les pays les plus avancés d'Asie émergente sont vulnérables au risque de retournement du cycle dans le secteur de l'IA.

00:31:31 – Christine Peltier

Donc, on s'attend à un ralentissement l'année prochaine.

00:31:33 – Emmanuel Laborde

Quand on parle de l'Asie, inévitablement, il faut qu'on s'arrête un peu sur les deux géants, que sont l'Inde et la Chine. Quelle tendance ?

00:31:40 - Christine Peltier

D'abord, en Inde, la croissance va rester une des plus fortes de la région, proche de 6,5% en 2026. Pour la Chine, dans un environnement externe qui devient moins porteur, la croissance dépendra davantage de la capacité des autorités à renforcer la confiance et la consommation des ménages. Or, on est assez pessimiste sur le rééquilibrage des sources de la croissance chinoise, en tout cas à court terme. Donc la croissance va ralentir modérément. Dans le même temps le secteur exportateur va rester, d'une part, un moteur essentiel de la croissance chinoise et, d'autre part, une arme stratégique dans la rivalité avec les États-Unis. Et cette dépendance vis-à-vis des exportations bien sûr continuera d'avoir des implications sur le reste du monde.

00:32:23 – Emmanuel Laborde

Autre zone géographique qui va nous intéresser c'est l'Amérique latine ?

00:32:26 - Christine Peltier

Oui, la croissance va ralentir en Amérique latine. C'est une région qui est moins exposée aux répercussions des droits de douane américains ou à l'essoufflement du commerce mondial par rapport à l'Asie. Mais c'est une région qui est exposée aux fluctuations des prix des matières premières. Et surtout les vulnérabilités macroéconomiques et en particulier des finances publiques, sont importantes, et vont contraindre la conduite des politiques économiques.

00:32:51 - Emmanuel Laborde

Alors il y a un autre groupe, celui où la croissance devrait connaître une accélération. On s'intéresse à eux désormais. Quelles sont les régions du monde qui seront concernées, Cynthia ?

00:33:00 – Cynthia Kalasopatan Antoine

Oui, alors deux régions vont accélérer, l'Afrique Moyen-Orient et l'Europe centrale. Commençons si tu veux bien par la région Afrique Moyen-Orient, qu'il est intéressant de mentionner. La croissance économique devrait progresser en 2026. Elle est tirée par la solide performance des pays du Golfe. Ces pays sont jusqu'à présent peu affectés par les turbulences géopolitiques ou la politique tarifaire des États-Unis. Et ils bénéficient à la fois des programmes de diversification économique et de la hausse de la production pétrolière décidée par l'OPEP+.

00:33:39 – Emmanuel Laborde

Autre région que tu citais, l'Europe centrale. Et là, c'est la consommation qui sera à nouveau le moteur de la croissance ?

00:33:48 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Oui. En Europe centrale, la croissance économique devrait s'améliorer davantage en 2026. Et effectivement, elle sera principalement soutenue par la consommation.

00:33:59 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Ce n'est pas tout.

L'investissement qui s'est nettement affaibli depuis plusieurs trimestres devrait repartir et ce, grâce aux fonds européens. Et c'est un point important. Il ne faut pas oublier qu'une bonne partie des fonds pour la reprise et la résilience est toujours en attente de transfert en faveur des pays d'Europe centrale. Et ils doivent être décaissés d'ici fin 2026.

00:34:20 - Emmanuel Laborde

Alors, Europe centrale, c'est quand même assez vaste. Est-ce qu'on peut se focaliser sur quelques pays qui pourraient se distinguer particulièrement ?

00:34:28 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Oui, alors si on fait un zoom sur les pays de la région, il y en a un en particulier qui se démarque, il s'agit de la Pologne. L'économie polonaise a été parmi les plus performantes dans la région et ça sur la période post-Covid et grâce à une demande intérieure robuste. Et ce dynamisme devrait se poursuivre en 2026. Puis il y a un autre pays qui sera sous les projecteurs, il s'agit de la Bulgarie, qui fera son entrée dans la zone euro au 1er janvier 2026. Et mentionnons aussi la Turquie, on attend une croissance robuste l'an prochain si la situation politique ne compromet pas l'assouplissement de la politique monétaire.

00:35:12 – Emmanuel Laborde

Alors politique monétaire, c'est un mot qui nous intéresse également. C'est un très très bon indicateur pour se projeter dans l'avenir et comprendre un peu ce qui peut attendre ces régions. Politique monétaire et budgétaire que nous allons voir. On commence avec les politiques monétaires et financières qui devraient être assez favorables quand même dans l'ensemble. On peut être assez optimiste ?

00:35:29 – Christine Peltier

Oui, alors effectivement, certaines des conditions externes qui ont favorisé la désinflation et l'assouplissement des politiques monétaires dans les émergents en 2025, devraient persister. Donc on s'attend à la poursuite de l'assouplissement monétaire dans les émergents. C'est même un assouplissement qui devrait s'étendre à plus de pays puisqu'on attend des premières baisses de taux directeurs, notamment au Brésil ou en Hongrie. Cependant, la baisse moyenne des taux qui est attendue en 2026 devrait être plus modeste qu'en 2025. D'abord parce que le rythme de désinflation reste inégal. Par exemple, en Asie, l'inflation est déjà très basse. Elle pourrait remonter dans certains pays comme l'Inde. En Chine, ce sont les pressions déflationnistes qui devraient se réduire un peu. Au contraire en Europe centrale les pressions salariales restent importantes et en République tchèque ou en Hongrie par exemple, la hausse des prix immobiliers devrait aussi inciter les banques centrales à rester prudentes.

Par ailleurs, même si les risques liés aux conditions financières internationales restent limités à court terme, les flux de capitaux pourraient devenir plus volatiles et les épisodes de dépréciation des monnaies émergentes pourraient se multiplier en 2026, notamment à l'approche d'élections ou en raison d'inquiétudes au sujet des finances publiques. Et là, sur ces deux points, la Colombie et le Brésil seront des pays à surveiller.

00:36:52 - Emmanuel Laborde

Autre point important que je citais rapidement, les politiques budgétaires.

00:36:55 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Alors, le déficit budgétaire et la dette publique sont en général plus élevés aujourd'hui qu'avant la crise du Covid. Donc les politiques budgétaires sont alors contraintes par la nécessité de stopper ou du moins freiner la hausse des ratios d'endettement. Le soutien budgétaire à la croissance devrait donc se réduire dans les prochaines années.

00:37:18 - Emmanuel Laborde

Quelques exemples quand même pour illustrer ça ?

00:37:20 - Cynthia Kalasopatan Antoine

En Europe centrale, l'ajustement budgétaire se fera très graduellement. En Turquie, la situation des finances publiques offre une certaine marge de manœuvre si besoin, même si le déficit budgétaire a augmenté. En Inde, les fragilités structurelles des comptes publics sont importantes, mais le gouvernement donne la priorité à la croissance et a récemment baissé les taux de TVA. En Chine, les finances publiques se dégradent depuis plusieurs années, mais le gouvernement et les collectivités locales conservent une certaine marge de manœuvre pour soutenir la croissance en 2026.

00:37:58 – Emmanuel Laborde

Alors tu viens de citer la Chine, on va évidemment continuer de s'intéresser à ce géant. L'évolution commerciale mondiale et le comportement de la Chine, c'est absolument essentiel pour comprendre ce qui va se passer l'année prochaine. La Chine va-t-elle rester aussi agressive dans sa conquête de nouveaux marchés à l'exportation ?

00:38:14 – Christine Peltier

C'est vrai que depuis le début de l'année, les entreprises chinoises ont mis en place des stratégies pour répondre au choc tarifaire américain, et aussi pour faire face à la faiblesse de la demande intérieure en Chine. Et donc ces entreprises chinoises ont redirigé leurs exportations vers le reste du monde. Elles ont gagné des parts de marché, grâce à des baisses de prix importantes et également grâce à une bonne compétitivité hors prix. Est-ce que tout cela va durer en 2026 ? Les entreprises chinoises pourraient ne pas avoir la même capacité pour rester aussi agressives dans leur guerre des prix. Le yuan est un petit peu moins faible aujourd'hui qu'il ne l'était en début d'année. De plus, depuis quelques mois, les autorités chinoises essaient de réduire les surcapacités de production.

00:38:58 – Christine Peltier

Ceci étant dit, il y a également le problème des droits de douane américains.

00:39:04 – Christine Peltier

Même si les États-Unis viennent d'abaisser les droits de douane sur les biens chinois, ces droits de douane restent élevés. Et les autres partenaires commerciaux pourraient multiplier les barrières protectionnistes. Donc au final, on peut penser que les exportations chinoises seront un peu moins dynamiques dans les prochains mois.

00:39:21 - Emmanuel Laborde

Alors un petit peu moins dynamiques, et pourtant les volontés politiques de Pékin sont encore très très ambitieuses, très agressives.

00:39:29 - Christine Peltier

Oui, c'est là le « problème ». On a déjà évoqué l'importance pour la Chine du moteur exportateur. Et le prochain plan quinquennal qui débutera en mars 2026 continuera de donner la priorité aux industries émergentes, à l'innovation, à l'autonomie technologique de la Chine. Donc l'accent sera mis sur des secteurs tels que les technologies de pointe, les énergies vertes bien sûr, l'intelligence artificielle et également l'aérospatiale. Et on peut prévoir que dans ces secteurs, certaines entreprises chinoises resteront très compétitives à l'international.

00:40:06 - Emmanuel Laborde

Toujours pour parler de la Chine, qui décidément est vraiment incontournable. Une autre question se pose, comment est-ce que la Chine va se positionner dans ses échanges commerciaux, avec l'Europe centrale en particulier ?

00:40:17 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Alors il est vrai que la Chine est à la fois un concurrent et un partenaire. Il est vrai que la compétition est très intense et cela est reflété par les gains de part de marché de la Chine en Europe centrale. Mais la Chine se positionne aussi comme un partenaire important dans la région. Notamment, elle augmente les investissements directs étrangers. Cela concerne principalement le secteur automobile, notamment en Slovaquie et en Hongrie.

00:40:48 - Emmanuel Laborde

Alors tu as cité le mot automobile, ça me fait une transition absolument parfaite, puisque l'automobile c'est un des piliers de l'économie en Europe centrale. Comment ça se déroule ?

00:40:58 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Alors en Europe centrale, la tendance, enfin elle se démarque nettement de la tendance observée (en Europe de l’ouest). En fait, les exportations de voitures et de pièces détachées ont tenu bon dans la région et ça depuis le début de l'année. Cela s'explique par une dynamique intra-Union européenne solide. Et le soutien vient aussi de la diversification des débouchés commerciaux, notamment vers le Royaume-Uni et la Turquie.

00:41:25 – Emmanuel Laborde

Alors si on prolonge les courbes, quelles perspectives pour 2026 dans ce secteur ?

00:41:29 - Cynthia Kalasopatan Antoine

Alors à court terme, je dirais qu'il y a une certaine résilience pour les exportations, notamment pour les produits automobiles. L'Europe centrale reste compétitive, même si les devises locales se sont appréciées. Les coûts de production sont avantageux, puisque les salaires sont plus faibles en Europe centrale par rapport aux pays d'Europe de l'Ouest. Et puis, au-delà de ça, il faut mentionner que les craintes d'une pénurie mondiale de pièces détachées qui s'étaient accentuées en octobre dernier tendent à se dissiper. Par contre, il faut quand même garder en tête que l'industrie automobile reste très intégrée dans la chaîne de production mondiale. En tout cas, elle est exposée à un éventuel choc d'approvisionnement. On a vu récemment les tensions autour de Nexperia.

00:42:26 - Emmanuel Laborde

Merci beaucoup. Il est 16h44 pour vous qui nous suivez en direct. Allez, quelques secondes juste pour avoir un autre point, chacune, qu'il faudra surveiller pour l'année prochaine avant de passer à notre troisième plateau. En quelques secondes, Christine.

00:42:39 - Christine Peltier

Evidemment, les risques géopolitiques restent élevés. Et puis, je vais mentionner aussi toutes les élections qui auront lieu dans les pays émergents.

00:42:46 - Christine Peltier

Le calendrier électoral 2026 sera chargé.

00:42:47 - Emmanuel Laborde

Cynthia ?

00:42:49 - Cynthia Kalasopatan Antoine

En Europe centrale, les dépenses en matière de défense feront partie des priorités en 2026. On suivra aussi l'avancée des investissements dans l'intelligence artificielle.

00:43:01 - Emmanuel Laborde

Merci beaucoup.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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