Edito

De Paris à Belém, ou comment la question climatique s’est imposée dans le champ économique

15/12/2025
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Les États ne parviendront pas à limiter le réchauffement planétaire à +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, comme l’ambitionnait il y a dix ans la conférence de Paris sur le climat. En conclure que celle-ci fut un échec serait pourtant faux. C’est à partir de là que la course à la décarbonation s’est accélérée, dans l’Union européenne mais aussi en Chine, désormais en passe de faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre. En dépit du climato-scepticisme de leur président, Donald Trump, les États-Unis continuent de verdir leur production électrique. Le consensus scientifique est qu’il faut maintenant généraliser et intensifier l’effort, ce qui représente un coût, néanmoins bien inférieur à celui du statuquo.

Qu’elles soient philosophiques chez Platon ou physiques chez Malthus, les limites à l’accumulation des richesses ont, de tous temps, fait débat. Avec l’optimisme né de la révolution industrielle et jusqu’à l’achèvement des Trente Glorieuses, la pensée économique a néanmoins longtemps cru pouvoir s’en affranchir. Les modèles dominants d’après-guerre posaient les conditions d’un régime de croissance « permanent », apte à satisfaire, grâce au progrès technique, les besoins toujours plus importants d’homo economicus. Pour reprendre les mots de l’économiste Daniel Cohen, il s’agissait, dans un monde clos, de trouver les réponses à un désir infini[1].

Le paradigme s’est une première fois fissuré dans les années 1970, lorsque les chocs pétroliers et la stagflation sont venus contrarier les promesses d’une expansion sans limite. Le vieillissement des populations, d’abord au Japon, ensuite dans tout l’Occident, ont ravivé plus récemment l’hypothèse de « stagnation séculaire ». Mais de tous les bouleversements ayant jamais interrogé nos modes de vie, le dérèglement climatique s’impose à l’évidence comme l’un des plus sérieux. Une trentaine d’années auront été nécessaires pour que les alertes du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) se muent en consensus scientifique, infusent les politiques publiques, puis entraînent le tournant de la décarbonation.

La Conférence de Paris sur le climat a représenté un point de bascule

Qu’on les apprécie ou pas, les conférences des parties (COP) restent l’unique lieu de décisions concertées entre États dans les domaines climatiques et environnementaux. L’un de leurs principaux mérites aura été de convaincre une majorité de responsables - politiques ou économiques - de la supériorité du coût de l’inaction sur celui de la transition. L’accord de Paris, obtenu il y a dix ans, aura à cet égard marqué un tournant : c’est à partir de là que les premières feuilles de route visant, à terme, la neutralité carbone furent écrites ; que l’étude des conséquences socio-économiques du verdissement autant que celles du « business as usual » s’est approfondie ; enfin et surtout, que le paysage économique a commencé de se transformer.

De Paris (2015) à Belém (2025), l’Union européenne (UE) est, de loin, celle qui aura parcouru le plus de chemin. Désormais proches des USD 400 milliards annuels, ses investissements de décarbonation ont connu un doublement à prix constants ; la part des renouvelables dans la production d’électricité s’est envolée, jusqu’à devenir majoritaire ; les ventes de véhicules électriques ont cessé d’être confidentielles, et comptent aujourd’hui pour un quart des immatriculations.

DE PARIS A BELEM : DIX ANS DE VERDISSEMENT DE L’UE

DE PARIS A BELEM / DIX ANS DE VERDISSEMENT DE L'UE

En outre et après des débuts difficiles, le marché communautaire d’échanges de quotas d’émission (ou marché du carbone) est devenu une référence dans le monde, jusqu’à s’exporter en Chine. Celle-ci annonce d’ailleurs une baisse de 7% à 10% de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) à horizon 2035, un tournant jugé parfois trop lent, mais non moins remarquable si l’on songe que les premières briques de « l’atelier du monde » furent posées il y a à peine trente ans.

Bien qu’ils ne mènent pas la course contre le réchauffement climatique, les États-Unis ne l’ont pas abandonnée, en dépit des prises de position ouvertement climato-sceptiques de leur président, Donald Trump. Ce dernier voudrait-il, comme il l’a promis, relancer la filière du charbon, qu’il se heurterait à une réalité économique, qui est que les alternatives renouvelables (solaire et éolien) se révèlent de plus en plus rentables. Leur progression dans le mix énergétique américain obéit à une tendance de fond, pas seulement en Californie ou au Texas, souvent mis en avant, mais un peu partout. Dans l’Oklahoma, le Dakota du Sud, l’Iowa, le Kansas, le Nouveau Mexique, le Colorado, leur part dans la production d’électricité atteint ou dépasse déjà 50%, et n’a donc rien à envier aux standards européens[2].

Continuer d’agir contre le réchauffement coûtera cher, s’arrêter en chemin, encore plus…

Pour néanmoins rester dans le cadre d’un réchauffement climatique supportable, il faudrait, d’après le consensus scientifique, en faire beaucoup plus. L’Europe, malgré le chemin accompli, est loin d’être assurée de tenir ses objectifs de baisse des émissions de GES[3]. Les prochaines étapes consistant à électrifier les usages finaux (chauffage des bâtiments et transports) vont directement affecter les arbitrages de consommation. Elles sont considérées comme les plus difficiles, d’autant qu’elles exigent d’investir dans des technologies (batteries, pompes à chaleur, semi-conducteurs…) où les retards de compétitivité se sont accumulés, notamment vis-à-vis de l’Asie (Corée, Chine, Japon).

À l’échelle planétaire, le principal défi sera de raccrocher les pays émergents hors Chine au convoi de la transition énergétique. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), s’inscrire sous la limite de +2°C nécessiterait de tripler ou presque les montants annuels que le monde consacre à sa décarbonation, pour les porter aux alentours de USD 5 500 milliards à horizon 2035[4] (soit 3,8% du PIB contre 1,8% du PIB aujourd’hui). À noter qu’une fois le capital « vert » constitué, cette somme n’aurait plus besoin d’être augmentée, mais simplement reconduite en termes réels d’une année sur l’autre. Le coût de la transition, à mesure qu’elle avance, baisserait donc logiquement en proportion de la richesse nationale.

Quant à savoir si le jeu en vaut la chandelle, le chiffrage d’un scénario alternatif, consistant à s’en tenir aux politiques en vigueur (la part des investissements verts dans le PIB est figée à son niveau actuel) laisse peu de place au doute. Dans les simulations du NGFS (Network for Greening the Financial System, le réseau des banques centrales pour le verdissement du système financier) le « business as usual » est synonyme de réchauffement planétaire à +3,5°C. Son coût économique, par destruction de capital physique et/ou pertes de productivité (en particulier dans le secteur agricole), dépasse largement celui de l’action pour le climat : dès 2050, celle-ci aboutirait à un gain net de 3,5 points de PIB au niveau mondial[5], qui ne ferait qu’augmenter par la suite.

***

En quelques années, la question climatique s’est invitée au cœur du débat public et des choix économiques. Encore minoritaires en 2015, les investissements de décarbonation se sont multipliés depuis la Conférence de Paris, jusqu’à représenter plus du double des montants consacrés aux énergies fossiles en 2025. Une inversion des priorités qui, à défaut de tout dire des chances de succès de la transition énergétique et écologique, témoigne de son caractère irréversible.


[1] Cohen, D. (2015), Le monde est clos et le désir infini, Albin Michel, août.

[2] Cf. Ember (2025), US Electricity 2025 Special Report, mars.

[3] Pour rappel, 55% de baisse des émissions en 2030 par rapport à 1990 dans le plan « fit for 55 », objectif porté à 66,25% - 72,5% de baisse à horizon 2035 lors de la COP de Belém. Il faudrait pour cela que le rythme annuel de baisse atteigne 6%, ce qui est loin d’être le cas.

[4] Montant évalué à prix constants de 2024, d’après le rapport « Net zero by 2050 » publiée en 2021. International Energy Agency (2021), A Roadmap for the Global Energy Sector, octobre.

[5] Gain de PIB découlant d’un renforcement de l’action pour le climat (limitant le réchauffement à moins de +2°C à horizon 2100), par rapport à un scénario basé sur les politiques courantes (entrainant un réchauffement de +3,5°C à horizon 2100).

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