La décision récente de la Cour constitutionnelle fédérale allemande a alimenté le débat sur le frein à l’endettement, qui impose des règles strictes en termes de déficit budgétaire. Au risque de simplifier à l’extrême, la question est de savoir si la politique budgétaire doit être fondée sur une règle de fer ou sur une règle d’or. En imposant la rigueur budgétaire aux gouvernements futurs, le mécanisme du frein à l’endettement renforce la crédibilité de la politique budgétaire. Cependant, l’accent mis sur le déficit budgétaire conduit, sur la base d’hypothèses réalistes, à un repli significatif de la dette publique en pourcentage du PIB. Les partisans de la règle d’or font valoir que, compte tenu des énormes besoins d’investissement – transition « verte » et numérique, aides publiques à l’innovation, etc.-, la marge de manœuvre doit être utilisée pour financer ces investissements de manière à améliorer ainsi la croissance structurelle et/ou à accélérer la transition écologique. Un débat dont l’issue est aussi importante pour l’Europe compte tenu du poids économique de l’Allemagne.
En 2013, le gouvernement allemand a lancé Industrie 4.0, programme axé sur l’interconnexion intelligente des machines et processus pour l’industrie à l’aide des technologies de l’information et de la communication[1]. Dans un article récent, le quotidien Der Spiegel a élargi le concept de génération ‘x.0’ au domaine des finances publiques en faisant référence au Schuldenbremse 2.0[2]. La règle du « frein à l’endettement » - qui s’applique à l’État fédéral, a été introduite en 2009, à la suite de la crise financière mondiale, pour ramener les finances publiques sous contrôle (graphique 1). Elle est inscrite dans la Loi fondamentale allemande et sa réforme ou son abolition nécessiterait une modification de la constitution approuvée par le Bundestag à la majorité des deux tiers. Elle comprend une composante structurelle, qui limite le déficit budgétaire annuel – c.-à-d. corrigé des acquisitions d’actifs financiers et des effets conjoncturels - à 0,35 % du produit intérieur brut (PIB), ainsi qu’une composante conjoncturelle. Selon cette dernière composante, le plafond du déficit peut être dépassé en cas de détérioration de la conjoncture, mais ce dépassement doit être compensé dès que l’économie se redresse. Enfin, il existe une clause de sauvegarde « qui autorise le Bundestag à suspendre le frein à l’endettement, à la majorité simple, en cas de catastrophe naturelle ou autre situation exceptionnelle d’urgence échappant au contrôle de l’État »[3]. C’est l’interprétation de cette clause de sauvegarde qui, le 15 novembre dernier, a placé le gouvernement allemand dans une situation difficile, la Cour constitutionnelle fédérale ayant rappelé que « les crédits autorisés dans le cadre de la clause d’exception doivent être utilisés avant la fin de l’année budgétaire en cours et [qu’]ils arrivent alors à échéance sans être remplacés ». Cela a contrarié les plans du gouvernement fédéral qui comptait utiliser les autorisations de crédits obtenues les années précédentes et encore non utilisées pour financer les dépenses à venir. Or ces autorisations ont été déclarées caduques.[4]. Le gouvernement a ainsi été contraint de réduire les dépenses de 17 milliards d’euros pour ramener le budget 2024 dans les limites fixées par la règle du frein à l’endettement[5].
L’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale a alimenté le débat sur la nécessité d’actualiser le mécanisme du frein à l’endettement. D’après une enquête réalisée par l’Institut ifo et le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) auprès de professeurs d’économie, 44 % des participants étaient favorables à son maintien mais en le réformant, 6 % voulaient l’abolir, 48 % voulaient le conserver dans sa forme actuelle tandis que 2 % ne se prononçaient pas[6]. Ceux qui sont favorables à un changement considèrent que ce dernier est nécessaire du fait des énormes besoins d’investissement dans les infrastructures et la transition écologique tandis que ceux en faveur du statu quo estiment que le frein actuel à l’endettement est essentiel à la discipline budgétaire et à la soutenabilité de la dette. Le Sachverständigenrat – Conseil allemand d’experts économiques (German Council of Economic Experts (GCEE) - s’est récemment déclaré favorable à une réforme pragmatique, qui accroîtrait la flexibilité de la politique budgétaire sans mettre en danger la soutenabilité de la dette[7]. Tout d’abord, après l’application de la clause d’exception, le retour du déficit structurel au plafond habituel pourrait s’étaler sur plusieurs années. Ensuite, le plafond du déficit structurel annuel dépendrait du niveau de la dette. Si ce dernier est inférieur à un certain seuil, un déficit structurel plus élevé serait autorisé. Enfin, les experts proposent des améliorations des méthodes d’estimation de la production potentielle, ce qui a une incidence sur le calcul du déficit structurel. Le ministre des Finances allemand Christian Lindner a proposé une réforme du mécanisme du frein à l’endettement visant à améliorer la flexibilité de la politique budgétaire, mais dont les effets devraient rester neutres en termes de dynamique de la dette. « La marge de manœuvre supplémentaire en période de ralentissement économique serait compensée par des critères plus stricts en phase de reprise de l’activité ». Pour autant, a-t-il poursuivi, les investissements dans la protection de l’environnement ne sauraient être exonérés des restrictions de dépenses[8].
Au stade actuel, le débat en Allemagne se résume, dans une large mesure, à la question de savoir si la politique budgétaire doit se fonder sur une règle de fer ou une règle d’or. Dans le premier cas, des règles strictes sont fixées qui, une fois inscrites dans la Constitution, imposent une discipline budgétaire aux futurs gouvernements, quelle qu’en soit la composition. En termes de crédibilité, cette règle de fer présente d’énormes avantages : à défaut, en effet, un engagement en faveur de la discipline budgétaire n’est contraignant que pour le gouvernement qui le prend et non pour ceux qui le suivent. Les partisans de la règle d’or soutiennent, pour leur part, que compte tenu des énormes besoins d’investissement – transition écologique et numérique, aides publiques à l’innovation, etc.-, la moindre marge de manœuvre doit être utilisée à cette fin[9]. Comme l’a fait remarquer le GCEE, le frein à l’endettement est plus restrictif que les règles budgétaires européennes. De plus, l’accent mis sur le déficit budgétaire devrait conduire, sur la base d’hypothèses réalistes, à une baisse de la dette publique en pourcentage du PIB. Se fondant sur plusieurs simulations, le GCEE conclut que « selon le résultat médian, le ratio dette sur PIB tombe en deçà de 60 % en 2031 et à un peu moins de 42 % en 2070. Sur le long terme, il converge vers 30 % environ d’après la simulation ». Se fixer pour objectif une stabilisation à un niveau toujours faible mais supérieur à ces projections à long terme – ce qui nécessiterait une modification du frein à l’endettement – permettrait de créer une marge de manœuvre pour financer des investissements qui amélioreraient la croissance structurelle et/ou accélérerait la transition « verte »[10]. L’issue de ce débat est également importante pour l’Europe compte tenu du poids économique de l’Allemagne.