Eco Perspectives

2024 : année critique

30/01/2024
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L’année 2023 s’est terminée sur une note d’espoir suscitée par les anticipations de baisses de taux et les signes de stabilisation, voire de redressement, des enquêtes de confiance. Cette note d’espoir ne s’est pas dissipée en ce début d’année 2024. Sauf nouveau choc, le retour de l’inflation à la cible de 2% apparaît en bonne voie. Il ouvre la voie à un début d’assouplissement monétaire attendu au deuxième trimestre. Cette double baisse, de l’inflation et des taux, et l’évolution encourageante de la plupart des données économiques nourrissent le scénario d’un soft landing. Les risques et les points d’attention ne manquent toutefois pas. Les tensions géopolitiques restent fortes et susceptibles de perturber ce scénario, notamment par leur impact inflationniste. La remontée des défaillances d’entreprises et les difficultés du secteur immobilier font également peser un risque baissier sur la croissance. En 2024, la politique budgétaire et les efforts de consolidation devraient revenir sur le devant de la scène. La politique prendra aussi une place importante compte tenu d’un certain nombre d’échéances électorales majeures.

Très souvent, si ce n’est systématiquement, chaque nouvelle année est présentée comme charnière. 2024 ne fait pas exception. À de nombreux égards, il s’agit même d’une année critique. Sur le plan climatique et écologique, cela va sans dire, tant il est urgent d’amplifier les efforts de décarbonation pour faire face aux signes accélérés du réchauffement[1]. Sur le plan géopolitique aussi, avec la poursuite de la guerre en Ukraine – sans que se dessine une issue pour le moment – et le conflit en cours au Proche-Orient, les risques associés d’embrasement dans la région et de répercussions sur les prix du pétrole, en sus des perturbations et du renchérissement déjà visibles du trafic maritime en mer Rouge. , Les enjeux politiques constituent également une des particularités de cette année avec de très nombreuses et importantes échéances électorales dans le monde, au premier rang desquelles les élections européennes qui se tiendront du 6 au 9 juin et la présidentielle américaine le 5 novembre. Si ces scrutins ne devraient avoir que peu ou pas d’impact direct sur l’économie cette année, leur issue peut conditionner les perspectives de plus long terme.

Le soft landing aura-t-il lieu ?

INFLATION DANS LA ZONE EURO ET PRÉVISIONS

Sur le plan économique, l’année 2024 est également charnière sur le front de l’inflation et de la croissance : l’inflation atteindra-t-elle l’objectif de 2% dès cette année ? Un atterrissage en douceur de la croissance sera-t-il au rendez-vous ? Cet atterrissage en douceur dépend pour partie de la vitesse à laquelle la désinflation va se poursuivre cette année et de l’ampleur, d’une part, des effets positifs attendus de cette désinflation sur la confiance, le pouvoir d’achat des ménages et les marges des entreprises et, d’autre part, de l’ampleur des baisses de taux permises par cette désinflation

S’agissant du retour de l’inflation à la cible, il serait assez rapide dans la zone euro d’après nos prévisions, et, notamment, plus rapide que ce que la BCE anticipe (cf. graphique 1). Nos prévisions d’inflation pour les États-Unis sont également un peu plus favorables (cible atteinte en fin d’année) que le scénario de la Réserve fédérale (inflation anticipée à 2,4% en glissement annuel au T4 2024). Un facteur déterminant sera l’évolution des salaires : le dynamisme durable de ces derniers aura, certes, un impact favorable sur le revenu disponible des ménages et sur leur consommation, mais il freinera aussi la désinflation, réduisant au passage les gains attendus de pouvoir d’achat et le soutien à la consommation.

ETATS-UNIS : TAUX DE CHÔMAGE ET PENTE DE LA COURBE DES TAUX

La remontée importante de la confiance des ménages des deux côtés de l’Atlantique (depuis la mi-2022 aux États-Unis d’après l’enquête de l’Université du Michigan, depuis l’automne 2022 pour l’enquête de la Commission européenne), certes depuis un niveau très déprimé, est une bonne illustration du rôle favorable joué par le reflux de l’inflation et un des signaux encourageants allant dans le sens d’un soft landing. Il en va de même pour la stabilisation du climat des affaires dans la zone euro et le retour au-dessus du seuil des 50 du PMI composite américain en janvier. La robustesse persistante du marché du travail est également un facteur d’optimisme. Aux États-Unis, le signal positif du redressement de la confiance des ménages est renforcé par celui de leur consommation, qui reste dynamique. Côté américain toujours, un signal récessif important a partiellement régressé : celui de l’inversion de la courbe des taux (cf. graphique 2). Ces différentes évolutions semblent donner corps à ce que l’on pourrait appeler une prophétie auto-réalisatrice du soft landing : l’anticipation de celui-ci crée les conditions de sa matérialisation, d’autant plus qu’elle alimente l’appétit pour le risque des investisseurs et fait baisser les coûts de financement des entreprises lorsqu’elles émettent de la dette.

S’agissant de la zone euro plus spécifiquement, une autre caractéristique du soft landing et de la reprise attendus est le passage de relais entre les entreprises et les ménages. Nous anticipons en effet un léger regain de vigueur de la consommation des ménages (ceux-ci profitant de la baisse de l’inflation pour puiser plus abondamment dans leur matelas d’épargne) et une perte de dynamisme de l’investissement des entreprises. Aux États-Unis, le moteur de la consommation des ménages devrait s’essouffler, les ménages pouvant plus difficilement puiser davantage dans le surcroît d’épargne constitué lors de la crise Covid-19 mais largement entamé en 2023. Dans un cas comme dans l’autre, l’évolution du taux de chômage aura le dernier mot. Par définition, il n’y a soft landing que si la remontée du taux de chômage reste limitée. Ce qui pourrait être le cas, notamment du fait de la persistance des difficultés de recrutement (même si elles sont moins intenses et généralisées), qui incitent à la rétention de main d’œuvre. L’hypothèse aussi est que l’ajustement du marché du travail, aux États-Unis en particulier, passera surtout par une diminution des postes vacants et moins par des licenciements, ce que l’on peut déjà observer.

Ce scénario de soft landing, s’il paraît aujourd’hui probable, est toutefois entouré de nombreuses incertitudes et aléas baissiers : le risque d’une récession en 2024 ne peut, notamment, toujours pas être écarté. Les signaux négatifs et les points d’attention ne manquent pas : remontée des défaillances, crise des marchés immobiliers, effets négatifs encore à venir des hausses de taux passées (sur les entreprises qui doivent refinancer leur dette, sur les ménages ayant emprunté à taux variable et confrontés à une révision à la hausse de leurs taux d’emprunt), la Chine, enfin, qui continue de faire face à de nombreuses fragilités.

Une évolution du policy mix plutôt adaptée

L’évolution du policy mix constitue une autre nouveauté de 2024 : la politique monétaire devrait, en effet, devenir moins restrictive tandis que la politique budgétaire devrait devenir moins accommodante. La reprise s’en trouverait limitée mais pas empêchée. S’agissant de la politique monétaire, la baisse des taux directeurs fait partie des quelques « certitudes » qui existent pour cette année, avec la baisse de l’inflation. Il ne s’agit pas d’une certitude absolue, mais d’une probabilité d’occurrence très élevée. Le timing de la première baisse et le nombre de baisses de taux cette année sont, en revanche, incertains. Compte tenu de nos prévisions d’inflation, nous nous attendons à ce que la BCE agisse la première, dès le mois d’avril, suivie par la Fed en mai. En nombre de baisses de taux, c’est la Fed qui devancerait légèrement la BCE, à 6 contre 5 baisses de 25 points de base chacune.

ZONE EURO : SOLDE STRUCTUREL PRIMAIRE (% DU PIB POTENTIEL)

Du côté de la politique budgétaire, il faut s’attendre à ce que le niveau élevé des ratios de dette publique redevienne un point d’attention tout comme les efforts nécessaires de consolidation budgétaire pour s’assurer de la soutenabilité des trajectoires des finances publiques. Dans un environnement où l’écart entre la croissance et les taux d’intérêt est, en effet, moins favorable, une réduction progressive mais constante des déficits primaires apparaît nécessaire. En Europe, cette réduction s’inscrirait dans le cadre un peu plus souple – mais pas forcément moins compliqué – des nouvelles règles budgétaires, après l’accord, enfin trouvé par les États membres, fin 2023. Dans la zone euro, d’après les données de la Commission européenne, la politique budgétaire s’annonce effectivement moins accommodante en 2024 à en juger non seulement par la réduction attendue des déficits structurels primaires mais aussi par leur niveau moins élevé (à l’exception notable de la France), après déjà deux années de réduction et donc d’impulsion budgétaire négative (cf. graphique 3). Ce rééquilibrage intervient après la forte dégradation des comptes publics en 2020 et, dans une moindre mesure, en 2021, en raison de la crise Covid et des mesures prises pour amortir le choc.

Au niveau agrégé de la zone euro, si l’ampleur de l’impulsion négative est moindre aujourd’hui que lors de la crise des dettes souveraines européennes et de la consolidation budgétaire à marche forcée, elle reste toutefois relativement proche (réduction du déficit structurel primaire de 0,7 point en moyenne par an de 2022 à 2024 contre 0,9 point de 2011 à 2014). Différence majeure : la consolidation budgétaire actuelle intervient dans un environnement conjoncturel plus favorable, donnant à cette consolidation un caractère contracyclique en 2022 et proche de la neutralité en 2023 et 2024 et non pas procyclique comme entre 2011 et 2014. La situation américaine est plus difficile à évaluer faute de données similaires, mais elle se rapproche probablement de la situation de la zone euro en 2024. Au final, l’évolution du policy mix en 2024 nous paraît adaptée dans le contexte actuel de lutte contre l’inflation : la politique monétaire peut s’autoriser à être moins restrictive car la désinflation est en cours et parce qu’il y a l’action complémentaire du frein budgétaire.

Achevé de rédiger le 26 janvier 2024


[1] Cf. 2024 : deux anniversaires ... et l'espoir d'une inversion de la courbe des émissions (bnpparibas.com), 17 janvier 2024

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