L’activité en zone euro devrait se renforcer légèrement en 2024, portée par le reflux de l’inflation et le début du cycle baissier des taux directeurs, qui interviendrait en avril d’après nos prévisions. Le marché du travail surprend toujours favorablement. Néanmoins, l’activité industrielle se replie nettement et reste très exposée à une escalade des tensions en mer Rouge et aux répercussions sur le transport maritime et les chaînes d’approvisionnement. Cette année 2024, rythmée par de nombreuses échéances législatives et présidentielles nationales (Finlande, Portugal, Belgique, Autriche) et européennes (du 6 au 9 juin), redessinera aussi les contours du paysage politique dans la région et les rapports de force au sein du parlement européen.
La croissance et l’emploi en zone euro ont dans l‘ensemble bien résisté au choc des taux d’intérêt en 2023. En 2024, la hausse de l’activité resterait sensiblement identique, serait même en légère progression d’après nos prévisions : l’économie allemande reprendrait quelques couleurs, après une contraction en 2023, tandis que le Sud de l’Europe (Italie, Espagne) tirerait à nouveau à la hausse la moyenne de la zone euro. La croissance française se situerait, comme très souvent, dans la moyenne, en l’occurrence sur le même rythme que la zone euro. L’inflation dans la région a, par ailleurs, nettement reflué au cours du second semestre 2023. Sa légère remontée en décembre, à 2,9% en g.a. est due à des effets de base défavorables sur la composante énergie. Le repli d’un certain nombre d’indicateurs alternatifs (anticipations d’inflation des ménages, indice PCCI de la BCE) envoie un signal désinflationniste encourageant, se traduisant notamment par un rebond de la confiance des ménages (Commission européenne), qui s’établissait en décembre à son plus haut niveau en près de deux ans.
Le marché du travail défie toujours les craintes de retournement, avec un taux de chômage qui s’est maintenu en novembre au plus bas historique, à 6,4%. Une dégradation est cependant toujours attendue en 2024, mais dans une ampleur qui resterait limitée. Cela reste, pour l’heure, cohérent avec l’évolution des indices PMI : l’indice d’emploi ne s’est que très légèrement détérioré depuis le mois d’août et restait proche du seuil des 50 en décembre (49,7). Pendant ce temps, l’activité industrielle en zone euro continue de perdre du terrain, pénalisée par une conjonction de facteurs défavorables : ralentissement en Chine et accroissement des tensions commerciales avec Pékin, concurrence étrangère accrue sur de nouveaux secteurs (on pense évidemment au secteur automobile). Le repli de la production industrielle par rapport au point haut de septembre 2022 atteignait 7,3% en novembre 2023. L’hypothèse selon laquelle le secteur manufacturier devance les services au cours du cycle était à nouveau mis en avant dans le dernier bulletin économique de la BCE[1]. Jusqu’ici, ses effets d’entrainement négatifs sur le reste de l’activité sont restés limités.
Face aux anticipations des marchés sur le début et l’ampleur des baisses de taux d’intérêt en 2024, les membres de la BCE ont cherché à temporiser. Robert Holzmann, gouverneur de la Banque d’Autriche, considéré comme un « faucon », est même allé jusqu’à évoquer que le début du cycle baissier des taux d’intérêt n’interviendrait pas avant 2025, dans le cas où les tensions au Moyen-Orient et ses répercussions économiques venaient à s’accentuer[2]. Au vu de l’évolution de la situation dans la région, et des premiers effets tangibles sur le fret maritime, ce scénario ne peut malheureusement pas être totalement écarté. La BCE ne considère toutefois pas que la phase d’atterrissage de l’inflation vers l’objectif des 2% sera rapide, ce qui suppose un cycle de baisse des taux plutôt étendu dans le temps (« higher for longer »). Ses dernières projections macroéconomiques, datant de décembre, n’indiquent pas un retour pérenne à la cible avant le second semestre 2025, ce qui constitue une phase de désinflation bien moins rapide que ce que nous anticipons. D’après nos prévisions, ce retour aurait lieu au milieu de cette année 2024.
Lors de sa dernière réunion de politique monétaire en décembre, la BCE a également décidé d’accélérer la baisse de son bilan (quantitative tightening) en commençant, dès le second semestre 2024, à réduire son programme de réinvestissements d’actifs détenus au titre du PEPP, à hauteur de EUR 7,5 mds par mois en moyenne, avant de le clôturer à partir de janvier 2025. Ce programme, mis en place au début de la crise sanitaire en avril 2020, a été d’une ampleur substantielle puisque le montant des actifs détenus au titre du PEPP (EUR 1 670 mds) représentait, en janvier 2024, un quart du bilan de la BCE, qui s’élève à environ EUR 6 900 mds. Les actifs détenus au travers du programme de rachat d’obligations publiques (PSPP), qui est le volet le plus important du programme d’assouplissement quantitatif (APP) (introduit en mars 2015, et dont les rachats nets se sont achevés en décembre 2018), s’élèvent à EUR 2400 mds, soit un peu plus d’un tiers du bilan de la BCE.
Achevé de rédiger le 19 janvier 2024