La conjonction de l’envolée de l’inflation et du resserrement monétaire pour la combattre a entraîné l’économie suédoise en récession. La baisse de la consommation des ménages et de l’investissement résidentiel en a constitué les moteurs principaux. Certes, la situation ne devrait pas se détériorer davantage en 2024, ce qui ne signifie toutefois pas qu’une reprise dynamique est à attendre. Cependant, bien que rencontrant des difficultés notables, la Suède conserve de nombreux atouts de nature à venir soutenir l’activité à moyen terme.
L’économie suédoise est, conformément à nos attentes, entrée en récession au troisième trimestre 2023. Le PIB réel s’est, en effet, contracté (-0,3% t/t) pour un second trimestre consécutif (-0,8% t/t au T2). En niveau, le PIB en volume se situe ainsi à un plus bas depuis la fin 2021. Toutefois, les données mensuelles provisoires dont nous disposons pour le T4 2023, suggèrent une légère amélioration au cours de ce trimestre (progression de la mesure mensuelle du PIB de 1% m/m en octobre et de 0,2% m/m en novembre). En revanche, l’éventuelle reprise à l’horizon des prochains trimestres devrait être modeste et la croissance avoisinerait 0% pour l’ensemble de l’année 2024 du fait d’une demande toujours contrainte.
Un recul soutenu de l’inflation
CROISSANCE ET INFLATIONLe gouverneur de la Riksbank, Erik Theeden, a récemment déclaré qu’il n’estimait pas nécessaire de relever davantage le taux directeur, alors que ce dernier s’établit actuellement à +4,0% (+400 pb entre avril 2022 et septembre 2023). Ce changement de cap procède notamment de la diminution significative de l’inflation mesurée par le CPIF (indice de référence de la Riksbank, à taux d’intérêt constant) au second semestre 2023. Celle-ci est passée d’un pic de +10,2% a/a en décembre 2022 à 2,3%% un an plus tard, avec une accélération du processus outrepassant les attentes de la banque centrale et du consensus au cours des derniers mois. Cette accélération a été permise notamment par une dissipation de la pression sur les prix de l’énergie en parallèle d’une moindre rigidité de l’inflation sous-jacente (+5,3% a/a en décembre 2023). Le retour du CPIF à la cible de +2% a/a est attendu pour la mi-2024, ce qui pourrait conduire, de concert avec une activité atone, à une première baisse de taux de la banque centrale dès le T2 2024, malgré le biais hawkish actuellement maintenu. Par ailleurs, si l’affaiblissement de la devise nationale, qui a atteint en septembre 2023 son plus faible niveau historique face à l’euro (1 EUR = 11,95 SEK le 15 septembre 2023), a compliqué la tâche de la Riksbank en matière de lutte contre l’inflation en renforçant le vecteur de l’inflation importée, la bonne performance de la couronne en fin d’année 2023 a contribué à la bonne surprise désinflationniste.
La Suède se distingue négativement par la vitesse avec laquelle la conjonction de la hausse du niveau général des prix et des taux d’intérêt a pesé sur la consommation des ménages. Cette composante du PIB a, en effet, enregistré six trimestres consécutifs de contraction, atteignant son niveau le plus bas depuis plus de deux ans. Outre la perte de pouvoir d’achat occasionnée par l’inflation, ce recul marqué de la consommation des ménages s’explique par des caractéristiques structurelles du pays.Les ménages suédois ont un niveau d’endettement parmi les plus élevés à l’échelle mondiale (196% du revenu disponible en 2022 selon l’OCDE) et la prééminence des emprunts à taux variable – plus de la moitié des emprunts immobiliers ont un taux évolutif tous les trois mois. Il en résulte une exacerbation de la sensibilité de la demande aux décisions de politique monétaire. Le processus de désinflation et d’éventuelles baisses de taux pourront dès lors contribuer à réduire la pression sur les perspectives de consommation des ménages en 2024. Les développements sur le marché de l’emploi ont pu aussi contribuer à l’affaiblissement de la consommation, avec une remontée du taux de chômage (7,9% en novembre 2023, +0,6pp a/a) susceptible de se prolonger en 2024. Cependant, ceci doit être mis en perspective avec la hausse du taux d’activité, lequel se situe au-dessus de 75%, soulignant une amélioration structurelle (71,8% en moyenne sur la décennie précédente).
Investissement à deux vitesses
De même que la consommation des ménages, l’investissement résidentiel suédois s’est détérioré de façon notable sous l’effet du resserrement monétaire. Mesuré par les comptes nationaux, il s’est contracté cinq trimestres d’affilée pour atteindre son niveau le plus faible depuis le T1 2017. La dégradation parallèle des mises en chantier est quasiment sans précédent, à l’exception de la crise systémique du début des années 1990 et de la grande crise financière : elles ont été divisées par plus de 4 entre le T1 2021 et le T3 2023. Quant aux prix de l’immobilier, le contrechoc apparu fin 2022 (-12% a/a au T2 2023) s’est atténué au cours de 2023. Cependant, s’il est désormais plausible que les prix de l’immobilier et les mises en chantier aient atteint un plancher, les développements à venir – à savoir, l’éventualité et la vigueur d’une reprise potentielle – restent incertains.
En revanche, il est à souligner que la composante non-résidentielle de l’investissement a continué de faire montre de vigueur malgré le ralentissement de l’activité et le resserrement monétaire. L’investissement productif a continué de progresser et se situait, au T3 2023, 24% au-dessus de son niveau prépandémique (33% pour les produits de propriété intellectuelle). Cela constitue un atout certain pour l’économie nationale et est révélateur d’un dynamisme sous-jacent qui devrait impacter positivement la production potentielle du pays.
Enfin, si la situation budgétaire de la Suède est particulièrement avantageuse, ce qu’illustrent une dette et un déficit publics estimés, respectivement, à 30,5 et -0,1 point de PIB en 2023, il n’est pas question d’instaurer une politique contracyclique d’ampleur face à l’atonie de la production attendue pour 2024. Le gouvernement prévoit certes un accroissement du déficit public à -0,7% du PIB en 2024, sur fond de moindres recettes fiscales, mais la ministre des Finances, Elisabeth Svantesson (centre-droit), a récemment rappelé publiquement son attachement à la conduite d’une politique budgétaire prudente et n’entrant pas en contradiction avec l’approche restrictive de son pendant monétaire.
Achevé de rédiger le 15 janvier 2024