Eco Perspectives

France : Forces et faiblesses de la croissance

30/01/2024
PDF

La croissance française s’est affaiblie en 2023, comme en témoigne le bas niveau atteint en décembre par les indicateurs de climat des affaires. Toutefois, 2024 devrait amorcer la voie de la reprise. Des prix de l’énergie bien plus bas que début 2023 permettront notamment une poursuite du recul de l’inflation, qui ne devrait pas être remis en cause par le retrait de la majeure partie du bouclier tarifaire encore présent sur l’électricité. Le rebond des salaires réels, la bonne santé du secteur de l’aéronautique et la poursuite du verdissement de l’économie devraient permettre un atterrissage en douceur de la croissance en 2024, à 0,6% en moyenne annuelle. La remontée du chômage, attendue modérée, et celle plus marquée des défaillances d’entreprises constituent toutefois des risques à la baisse.

CROISSANCE ET INFLATION

La croissance du PIB français aura nettement ralenti en 2023, à 0,8% en moyenne annuelle selon nos estimations, après 2,5% en 2022, avec même -0,1% t/t au T3 (selon les données disponibles au moment où nous écrivons). Si cette dernière peut en partie être attribuée au contrecoup d’un bon T2 (+0,6% t/t), notamment du point de vue des exportations aéronautiques et navales, l’affaiblissement de la croissance en 2023 reste notable. Il provient d’une faible croissance de la consommation des ménages (rôle de l’inflation sur la consommation alimentaire notamment) et d’une baisse de leur investissement. A contrario, l’investissement des entreprises et le commerce extérieur (rebond de l’aéronautique et de la production d’électricité) ont soutenu la croissance.

Entre rebonds et verdissement

Nous estimons que les effets rebonds ont particulièrement favorisé la croissance en 2023. Le premier (pour 0,35 pp) concerne l’électricité. La baisse de la production avait conduit la France à devenir importatrice nette en 2022, retirant 0,4 point à la croissance. 2023 a vu l’excédent se reconstituer. Le deuxième effet rebond (pour 0,3 pp) concerne les exportations aéronautiques. Autant l’effet rebond dû à l’électricité apparait exceptionnel, autant le second devrait se répéter et apporter de nouveau 0,3 point à la croissance française en 2024 (si Airbus tient son objectif d’augmentation des livraisons).

Les transitions que la France doit mener à bien sont un autre soutien récurrent à la croissance. La transition numérique peut s’appréhender au travers de l’investissement des entreprises en information et communication, dont nous estimons la croissance en 2023 à près de 8% en volume (contribution de 0,3 point à la croissance du PIB). Le verdissement de l’économie produit d’ores et déjà des effets. Les véhicules électriques ont contribué pour plus de moitié à la hausse de 15% des immatriculations automobiles en 2023. Le secteur de l’énergie renouvelable, lui, a contribué pour un tiers à la croissance de la production d’électricité en 2023 et a également soutenu la production manufacturière : hausse de 66% a/a de la production de moteurs et turbines (hors moteurs d’avions et de véhicules) en moyenne annuelle à fin novembre. Concernant les travaux d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, la CAPEB (Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment) qui calcule un indicateur en volume notait un ralentissement en cumul sur les 3 premiers trimestres de 2023 (+2% a/a, après +3,8% en 2022).

La rénovation d’un bâtiment étant souvent liée à une transaction immobilière, la diminution de ces dernières (928 000 en cumul sur 12 mois à fin septembre 2023, contre 113 8000 un an plus tôt) explique probablement ce ralentissement.

Il importe que le soutien budgétaire au verdissement se maintienne. Le « budget vert » de la France bénéficie de davantage de moyens, avec une hausse de EUR 7 mds des dépenses bénéficiant à la planification écologique (réaffectation d’une partie de la somme libérée par l’augmentation programmée des taxes sur le gaz et sur l’électricité). Cette réallocation devrait permettre au budget français d’être nettement moins procyclique, qu’en 2012-13 où la baisse de la croissance s’était accompagnée de la volonté de réduire fortement le déficit.

Moins d’inflation, mais plus de défaillances

Au T3 2023, la France faisait encore partie des pays où les prix progressaient plus vite que les salaires (salaire mensuel de base à +4,2% a/a et inflation à 4,7% a/a selon l’IPC de l’Insee). Si la France avait davantage limité son inflation que ses voisins de la zone euro en 2022 (bouclier tarifaire sur l’énergie), sa désinflation a été plus lente en 2023, avec des hausses plus fortes des prix du gaz et de l’électricité (réduction du bouclier). la croissance des salaires devrait ralentir entre 2023 (+4,4% selon le salaire mensuel de base) et 2024 (2,8%), mais elle dépasserait désormais celle des prix (2%), un soutien pour la consommation des ménages en 2024.

Les entreprises ont, en parallèle, vu leurs coûts augmenter. Si les prix de l’énergie et les salaires y ont contribué, cette hausse s’observe également en volume, puisque leurs consommations intermédiaires (CI) en volume ont atteint en 2023 (du T1 au T3) une proportion inédite de 52% de la production. Cette progression des CI explique la différence entre la croissance de la production brute (1,7% a/a sur les 3 premiers trimestres) et celle de la valeur ajoutée des branches (1,1% a/a)..

Alors que le choc lié à l’inflation élevée se dissipe, celui sur les taux d’intérêt continuera de produire ses effets en 2024, même si l’on s’attend à ce que ce soit de moins en moins. La baisse de l’activité dans le bâtiment devrait toutefois se renforcer, à la suite de la contraction marquée des carnets de commandes en 2023, et a par ailleurs commencé à se répercuter sur les défaillances d’entreprises. Ces dernières ont dépassé au T4 2023 leur niveau du T4 2019 de près de 25% dans le bâtiment (chiffre qui vaut aussi au global), selon les données de la Banque de France, atteignant un niveau qui n’a été dépassé qu’à deux reprises : entre le T4 2008 et le T1 2016 et entre le T4 1992 et le T2 1994. Altarès avait estimé en 2022 que les défaillances menaçaient 143 000 emplois, soit 3,4 emplois par défaillance. En 2023, ce sont 240 000 emplois qui sont menacés soit 4,2 emplois par défaillance : un risque à la hausse sur la remontée modérée que nous anticipons du taux de chômage (à 8% fin 2024 contre 7,4% au T3 2023) et qui inciterait les ménages à maintenir un taux d’épargne élevé (après déjà 17,4% de leur revenu disponible brut au T3 2023).

Achevé de rédiger le 19 janvier 2024


LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
2024 : année critique

2024 : année critique

L’année 2023 s’est terminée sur une note d’espoir suscitée par les anticipations de baisses de taux et les signes de stabilisation, voire de redressement, des enquêtes de confiance. Cette note d’espoir ne s’est pas dissipée en ce début d’année 2024 [...]

LIRE L'ARTICLE
États-Unis
États-Unis : Au-delà des attentes

États-Unis : Au-delà des attentes

L’éventualité d’une récession américaine consécutive au resserrement monétaire semble désormais écartée face à la résilience d’une économie qui a encore progressé de 0,8% t/t au T4 2023 et 2,5% en moyenne sur l’ensemble de l’année [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Chine : Bilan 2023 : des fragilités

Chine : Bilan 2023 : des fragilités

En 2023, le rebond post-Covid de l’activité économique chinoise a été moins vigoureux qu’espéré [...]

LIRE L'ARTICLE
Japon
Japon : La bascule monétaire se rapproche

Japon : La bascule monétaire se rapproche

Catastrophe naturelle, crise politique : l’année 2024 débute difficilement pour le Japon [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
Zone euro : l’inflation reflue, la BCE contrôle

Zone euro : l’inflation reflue, la BCE contrôle

L’activité en zone euro devrait se renforcer légèrement en 2024, portée par le reflux de l’inflation et le début du cycle baissier des taux directeurs, qui interviendrait en avril d’après nos prévisions [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
Allemagne : A quand le retour de la croissance ?

Allemagne : A quand le retour de la croissance ?

Le ralentissement conjoncturel que connaît l’économie allemande, similaire à celui traversé par la zone euro, s’inscrit dans une stagnation plus ancienne : le dernier trimestre de croissance significative datant du T3 2022 [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
Italie : une reprise plus lente et plus incertaine

Italie : une reprise plus lente et plus incertaine

En 2023, la reprise italienne a ralenti, avec quelques à-coups. Après avoir soutenu la croissance au premier semestre, l’investissement s’est inscrit en recul. De son côté, la consommation a surpris à la hausse (+1,5 % par rapport au T4 2022) [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
Espagne : La consommation des ménages reste le principal facteur de croissance

Espagne : La consommation des ménages reste le principal facteur de croissance

Au troisième trimestre 2023, la croissance espagnole s’est légèrement modérée à 0,3% t/t [...]

LIRE L'ARTICLE
Pays-Bas
Pays-Bas : 2024 en demi-teinte mais meilleure que 2023 ?

Pays-Bas : 2024 en demi-teinte mais meilleure que 2023 ?

Le pays est entré en récession dans le courant de l’année 2023, comme son voisin allemand, mais 2024 devrait être meilleure car le futur gouvernement disposera de moyens financiers pour relancer la dynamique économique [...]

LIRE L'ARTICLE
Belgique
Belgique : Un double choc qui entraîne des investissements durables

Belgique : Un double choc qui entraîne des investissements durables

L’économie belge devrait continuer à croître à son rythme actuel pendant quelques trimestres [...]

LIRE L'ARTICLE
Grèce
Grèce : le redressement se poursuit

Grèce : le redressement se poursuit

La croissance en Grèce devrait être à nouveau au rendez-vous en 2024, mais l’activité a montré des signes d’essoufflement au second semestre 2023. Le PIB réel a stagné au T3 2023 et l’emploi s’est replié de 0,5% t/t [...]

LIRE L'ARTICLE
Royaume-Uni
Royaume-Uni : À la recherche d’un second souffle

Royaume-Uni : À la recherche d’un second souffle

L’économie britannique flirte avec la récession [...]

LIRE L'ARTICLE
Suède
Suède : Après la récession, un léger mieux en perspective

Suède : Après la récession, un léger mieux en perspective

La conjonction de l’envolée de l’inflation et du resserrement monétaire pour la combattre a entraîné l’économie suédoise en récession. La baisse de la consommation des ménages et de l’investissement résidentiel en a constitué les moteurs principaux [...]

LIRE L'ARTICLE