Politiques monétaires à la rescousse
La croissance de notre échantillon de 26 pays émergents a atteint un point bas historique au 2e trimestre 2019 à seulement 4,1% en glissement sur un an, contre encore 5,2% un an auparavant. Si l’on fait abstraction de la crise financière de 2008-2009, il faut remonter à 2001 pour retrouver une performance aussi faible. Le ralentissement des marchés à l’exportation et le climat d’incertitude entretenu par l’affrontement commercial entre les Etats-Unis et la Chine en sont les principales causes. Ce climat d’incertitude se traduit par une forte volatilité des exportations mais aussi des investissements de portefeuille à destination des pays émergents. Mais, jusqu’à présent, les conditions de financement extérieur ne se sont pas durcies. Exception faite de l’Argentine et du Liban (pour des raisons spécifiques), les primes de risque sur les dettes souveraines en devises ont tendance à se comprimer depuis le dernier trimestre 2018 et celles sur les entreprises sont restées stables. De plus, la faiblesse de la croissance mondiale pèse sur les prix des matières premières, ce qui contribue à contenir les tensions inflationnistes.
Dans ce contexte, fin septembre, une large majorité de banques centrales de notre échantillon (16) avait initié ou poursuivi la baisse de leur taux d’intérêt directeur (cf. tableau) alors qu’elles n’étaient que 4 à le faire en 2018. Seules les banques centrales des pays d’Europe centrale et orientale font exception car jusqu’au S1 2018 la croissance a été supérieure à la croissance potentielle, entraînant des tensions sur le marché du travail. L’assouplissement des politiques monétaires peut-il alors atténuer l’effet du ralentissement des exportations ?
Des marges de manœuvre sous contraintes
Depuis la fin 2018, hormis la Chine continentale (dont le gouvernement définit la cible de croissance du crédit) et les pays dont le cycle du crédit est particulièrement heurté (Argentine, Brésil, Turquie), la croissance du crédit bancaire domestique dans les pays émergents s’est infléchie. Pour la majorité des pays, les effets de l’assouplissement monétaire en cours ne se font pas encore sentir, ce qui ne veut pas dire que le canal de transmission de la politique monétaire ne fonctionne pas ou mal. Au contraire, à l’exception notable de l’Inde et de l’Egypte, le coefficient de transmission apparent des variations des taux directeurs à celles des taux prêteurs des banques est élevé voire supérieur à 1(cf. tableau).
Cependant, un soutien significatif de la politique monétaire, c’est-à-dire au-delà de ce qu’autorise le ralentissement présent ou attendu de l’inflation, suppose qu’il existe des marges de manœuvre.
Une comparaison des taux d’intérêt réels avec la croissance potentielle permet de les mesurer. Peu de pays présentent un écart très important si l’on considère les taux d’intérêt directeurs (Mexique, Egypte, Russie). En revanche, si l’on regarde les taux d’intérêt préteurs, ils sont plus nombreux (Afrique du Sud, Brésil, Colombie, Turquie et, dans une moindre mesure, Inde et Indonésie). Toutefois, un taux d’intérêt prêteur réel élevé peut refléter un taux de prêts non performants, lui-même structurellement élevé pour certains types de crédit. C’est le cas des crédits de trésorerie/cartes de crédit dans les pays d’Amérique latine. Enfin, l’endettement du secteur privé peut constituer une autre contrainte pour l’assouplissement monétaire s’il accroît les risques de crédit. C’est évidemment le cas de la Chine (cf. infra). Mais de nombreux pays émergents ont enregistré une hausse du ratio de crédit bancaire rapporté au PIB de plus de 50% depuis 2010, la plupart en Amérique latine. En Asie, les progressions sont moins fortes mais à partir de niveaux élevés. La Turquie est l’illustration du pays au profil intermédiaire (forte progression à partir d’un niveau modéré) qui, en cas de choc externe, s’est traduite par une montée du risque de crédit plus rapide que pour un pays au niveau d’endettement relativement élevé.