Pour les pays émergents, les conditions monétaires et de change sont plus favorables en ce début d’année qu’elles ne l’étaient fin 2022-début 2023. L’assouplissement des politiques monétaires permis par la désinflation, et des perspectives de croissance globalement révisées à la hausse, attirent les investissements de portefeuille. Malgré l’augmentation du risque géopolitique, le risque souverain devrait diminuer sauf pour les pays plus fragiles, déjà sur la sellette en 2023. Pour les pays à faible revenu, 2024 sera une année à haut risque car les échéanciers de dette extérieure des États resteront très chargés comme en 2023.
Détente des conditions financières dans la plupart des pays émergents…
Les conditions monétaires et de change pour les principaux pays émergents se sont sensiblement détendues au dernier trimestre 2023 à la fois pour des raisons externes et internes : les anticipations d’un assouplissement monétaire américain, une appréciation quasi générale des monnaies contre dollar et la poursuite du ralentissement de l’inflation favorisée par la baisse des prix des matières premières. La plupart des banques centrales d’Amérique latine et d’Europe centrale ont continué d’abaisser progressivement leurs taux d’intérêt directeurs. Les rendements obligataires ont suivi le mouvement mais sans l’amplifier. Ils ont également diminué dans les pays où les taux directeurs sont restés inchangés (en Asie principalement), et même en Turquie, pourtant encore en phase de resserrement monétaire.
La dette domestique émergente est actuellement prisée par les gérants de fonds. Hors Chine, les investissements des non-résidents sur les marchés obligataires ont été particulièrement soutenus en novembre et décembre contrairement à ce qui avait été observé fin 2022 (cf. graphique). D’après les économistes du FMI, les rendements obligataires des pays émergents au cours de ce dernier cycle monétaire ont été moins sensibles que par le passé aux évolutions des taux d’intérêt aux États-Unis. Par rapport à l’épisode du taper tantrum de 2013, Le coefficient de sensibilité s’est réduit de deux tiers pour les pays latino-américains et de 40% pour les pays d’Asie.
… mais le risque souverain est en hausse pour les plus fragiles d'entre eux et les pays à faible revenue
D’une manière générale, la solvabilité des États des pays émergents devrait a priori s’améliorer en 2024 grâce à l’effet conjoint de la baisse des taux d’intérêt et des perspectives de croissance révisées à la hausse. Par rapport à ses prévisions d’octobre 2023, le FMI a réhaussé la croissance mondiale de +0,2 pp, notamment celle des États-Unis dont l’atterrissage se ferait beaucoup plus en douceur que prévu (2,1% en 2024 après 2,5% en 2023). Le Fonds a également revu à la hausse la croissance de plusieurs grandes économies émergentes (Brésil, Inde, Mexique, Russie). Il continue d’anticiper un ralentissement de la croissance chinoise (de 5,2% à 4,6%) toutefois moindre que dans les prévisions du dernier automne.
Néanmoins, au sein des pays émergents, le risque de défaut sur la dette publique a sensiblement augmenté pour les trois pays qui étaient déjà sur la sellette en 2023, à savoir, l’Argentine, l’Égypte et la Tunisie (cf. infra). En Tunisie, le besoin de financement a plus que doublé passant de 8% du PIB, avant la pandémie, à 17%. En Égypte, la charge d’intérêts va représenter 70% des revenus du gouvernement, un niveau a priori insoutenable. En Argentine, la restructuration de la dette en 2020 avait permis d’alléger la charge d’intérêts de l’État mais celle de la banque centrale n’a cessé de s’alourdir afin d’éponger le financement monétaire du déficit budgétaire, le coût de stérilisation atteignant 8% du PIB. Par ailleurs, pour ces trois pays, l’État est endetté en devises alors que les réserves de change sont jugées très insuffisantes. L’Argentine est sous perfusion financière du FMI mais le soutien à l’Égypte s’est interrompu en 2023 et la Tunisie n’a toujours pas conclu d’accord.
L’année 2024 sera une année à haut risque également pour les pays à faible revenu. Le risque géopolitique reste très élevé avec l’enlisement de la guerre en Ukraine et les tensions au Moyen Orient. Or ce sont évidemment les pays les plus fragiles qui pâtissent le plus des conséquences économiques des conflits. L’Institute for International Finance rappelle qu’un peu plus de la moitié des 73 pays ayant eu accès au mécanisme de suspension de service de la dette ont un niveau de risque souverain élevé ou sont en situation de debt distress (15 sont en situation de défaut). Comme en 2023, les remboursements de dette extérieure à long terme de ces pays vont rester très élevés en 2024, à USD 78 milliards après USD 75 milliards en 2023, soit un doublement par rapport à 2020.
Achevé de rédiger le 5 février 2024