L’activité économique indienne est restée solide au premier semestre de l’année budgétaire en cours. Sur l’ensemble de l’année 2023/2024, elle pourrait être proche de 7%, soutenue principalement par le dynamisme des investissements privés et publics. L’augmentation du taux d’investissement pour la deuxième année consécutive est particulièrement favorable. Elle répond à une des fragilités structurelles du pays. A ce jour, les contraintes sur les facteurs de production (tant au niveau du travail que du capital) et la faible intégration du pays dans le commerce mondial pèsent sur son attractivité, comme en témoigne la nouvelle baisse des flux d’IDE (-0,9% du PIB) sur les trois premiers trimestres de l’année 2023. Un déficit du compte courant modéré et d’abondantes réserves de change réduisent toutefois les risques à la baisse sur la roupie.
Croissance robuste
Sur les six premiers mois de l’année budgétaire 2023/2024 (avril-septembre 2023), l’activité économique indienne est restée solide. Le PIB a augmenté de 7,7% par rapport au même semestre de l’année budgétaire 2022/2023. La forte hausse de l’investissement (+9,5%) a plus que compensé la contraction des exportations nettes à la croissance.
En dépit du ralentissement attendu au second semestre de l’année budgétaire en cours, la croissance sur l’ensemble de l’année 2023/2024 pourrait atteindre 7,3% selon l’Institut national statistique (National Statistical Office, NSO), un niveau supérieur de 0,3pp à celui anticipé par la banque centrale indienne (Reserve Bank of India, RBI) et 1pp au-dessus des prévisions publiées en janvier 2024 par la banque mondiale.
La croissance économique pour l’année 2024/2025 devrait ralentir en raison, d’une part, d’une décélération de la demande intérieure induite par le durcissement monétaire et, d’autre part, par le ralentissement de la demande extérieure. Sur la période avril 2022-Décembre 2023, la hausse des taux directeurs (+250pbs) s’est traduite par une augmentation des taux moyens sur les nouveaux crédits de 183pbs (+469pbs en termes réels).
Risques sur la croissance
Trois principaux risques peuvent être identifiés. Premièrement, les conditions climatiques qui conditionnent les récoltes. En raison du phénomène El Niño, la mousson en 2023 a été inférieure de 6,5% à la normale sur l’ensemble du territoire mais les disparités selon les régions ont été très fortes. Même si globalement, les plantations réalisées pendant la mousson (kharif crops) ont été très légèrement supérieures à la normale, elles ont été bien inférieures à celles enregistrées au cours de l’année précédente. En outre, le phénomène El Niño pourrait générer une élévation des températures au T1 2024 et peser sur les récoltes de l’année en cours. Le ministère de l’Agriculture estime à ce jour que les récoltes de céréales pourraient être inférieures de moitié à celles de l’année dernière. De faibles récoltes agricoles pèseraient d’une part, sur les prix des matières premières et donc sur le pouvoir d’achat des ménages, et d’autre part, sur les revenus des agriculteurs. Rappelons que le secteur agricole représentait à lui seul 42,9% de l’emploi en 2022.
Le second risque, conditionné au premier, porte sur la politique monétaire dans un contexte de résurgence des pressions inflationnistes. Au cours des deux derniers mois de l’année 2023, les pressions inflationnistes se sont renforcées et ont atteint 5,6% en moyenne, alimentées par la hausse des prix alimentaires (qui constituent 45,9% du panier de consommation des ménages). La hausse des prix est toutefois restée inférieure à la cible fixée par les autorités monétaires (4% +/-2pp) et l’inflation hors alimentation et énergie a continué de décélérer pour s’établir à +3,9% en décembre en g.a. La banque centrale devrait ainsi maintenir ses taux directeurs inchangés lors des prochains comités de politique monétaire. En revanche, si les prix alimentaires se maintenaient durablement à un niveau élevé, cela pourrait retarder l’assouplissement monétaire attendu au T4 2024.
Le troisième risque sur la croissance est lié à l’environnement international. Les risques géopolitiques sur la croissance mondiale sont élevés et toute révision à la baisse d’1pp de la croissance mondiale entrainerait une baisse de la croissance indienne de 50pbs. De même, l’Inde reste vulnérable à une hausse des prix du pétrole, même si ce risque est beaucoup plus contenu qu’il ne l’était car le pays achète désormais plus de 35,3% de son pétrole à la Russie à un prix inférieur à celui payé à ses fournisseurs du Moyen-Orient.
Au cours des cinq prochaines années, la croissance devrait rester robuste (entre 6 et 6,5%), mais à un rythme inférieur à celui enregistré au courant des dix dernières années (+7% sur la période 2010-2019). La croissance pourrait toutefois être plus dynamique si le taux d’investissement continuait sa progression et s’il était accompagné i) d’une libéralisation effective du marché du travail et ii) d’une hausse du taux de participation des femmes.
Dynamisme des investissements domestiques…
Parmi les importantes contraintes structurelles qui pèsent sur le développement et l’attractivité de l’Inde figurent les défaillances en matières d’infrastructures et d’équipements, lesquelles sont le reflet d’investissements insuffisants au regard des besoins du pays. Pourtant, le taux d’investissement (en volume) a atteint 31,8% du PIB au cours des dix dernières années, un niveau élevé au regard de celui qui prévaut dans d’autres pays d’Asie. Mais près de 40% des investissements ont été réalisés par les ménages, et ce, principalement dans leur logement. Les investissements du gouvernement dans les infrastructures n’ont constitué que 9,4% des investissements totaux et les investissements dans les machines et biens d’équipements n’ont représenté que 25,4% des investissements totaux.
On observe, néanmoins, depuis près de deux ans, une accélération sensible des investissements privés et publics, conjointement à la consolidation de la situation financière des banques et des entreprises. En 2022/2023, le taux d’investissement a augmenté de 1,3pp pour atteindre 34% du PIB, un niveau inédit depuis 2013. Cette évolution positive s’est encore renforcée au premier semestre de l’année 2023/2024. Il en ira probablement de même au troisième trimestre de l’année budgétaire en cours au regard des indicateurs de crédit aux entreprises et des taux d’utilisation des capacités de production supérieurs à leur moyenne de long-terme... Par ailleurs, dans son budget 2023/2024, le gouvernement avait notamment l’objectif d’accroître ses investissements en infrastructures de 0,6pp à 3,3% du PIB (lesquels avaient déjà augmenté d’1,1pp au cours des trois années précédentes). Au regard des dépenses réalisées sur les huit premiers mois de l’exercice budgétaire, il semble que le gouvernement soit en mesure d’atteindre son objectif. Ses investissements ont augmenté de près de 31% par rapport à la même époque l’année dernière. L’Institut national statistique anticipe ainsi que le taux d’investissement pourrait s’élever à 34,9% du PIB cette année, un niveau jamais atteint jusqu’alors.
En 2024/2025, même si les investissements publics devraient poursuivre leur progression, la croissance des investissements privés devrait ralentir, au moins temporairement. La hausse des taux d’intérêt et les élections en avril-mai 2024 vont retarder certains projets.
… mais les IDE restent faibles
Sur les trois premiers trimestres de l’année 2023, le déficit du compte courant a sensiblement diminué pour n’atteindre que 0,7% du PIB, contre 2,5% du PIB sur la même période en 2022. Pour autant, les investissements directs étrangers (IDE) ont été insuffisants pour le couvrir. La dépendance de l’Inde à l’égard des investissements de portefeuille reste forte et ne peut qu’augmenter avec l’intégration des obligations souveraines indiennes dans les indices émergents fin juin 2024. Par ailleurs, les réserves de change (USD 546 mds début janvier) restent abondantes et largement suffisantes pour couvrir les besoins de financement à court terme du pays et permettre à la banque centrale de contenir la dépréciation de sa monnaie.
Déjà modestes, les IDE ont baissé encore davantage sur les trois premiers trimestres 2023 et n’ont atteint que 0,4% du PIB (vs 1,3% du PIB en 2022). Cette baisse des investissements en période pré-électorale est « normale » mais elle intervient alors même que les IDE rapportés au PIB sont en baisse depuis 2021. Par ailleurs, les flux d’IDE reçus par l’Inde restent particulièrement faibles en comparaison des flux reçus par les autres pays émergents, et ce, en dépit des mesures prises par le gouvernement pour les attirer. Selon les données publiées par l’UNCTAD, en 2022, l’Inde n’a reçu que 5,7% des IDE à destination des émergents contre une moyenne de 7,1% sur la période 2016-2020. A titre de comparaison, la part des IDE reçus par la Chine s’est élevée à 20,6%. Le faible niveau des IDE reçus par l’Inde s’explique par les contraintes structurelles qui pèsent sur son économie (infrastructures insuffisantes, taux de participation des femmes très faible, fort taux de chômage des jeunes, manque de main d’œuvre qualifiée dans l’industrie, lourdeurs administratives) mais aussi par sa faible intégration dans le commerce mondial. Sa participation dans les chaînes de valeurs mondiales était estimée en 2018 par l’OCDE à seulement 36,4% (soit un niveau légèrement inférieure à celui de l’Indonésie, qui elle aussi reçoit peu d’IDE) contre 55,1% en Malaisie et 62,1% au Vietnam.
Les parts de marché de l’Inde dans le commerce mondial restent modestes et ont finalement peu augmenté au cours des dix dernières années. En 2022, les exportations de biens et de services de l’Inde ne constituaient respectivement que 1,9% et 4,3% des exportations mondiales, contre respectivement 1,6% et 3,2% en 2012. A titre de comparaison, les parts de marché de la Chine pour les exportations de biens s’élevaient à 14,7%.
La faible intégration de l’Inde dans le commerce mondial s’explique notamment par une politique commerciale beaucoup plus protectionniste que celle adoptée par les autres pays d’Asie. Ses barrières commerciales, tarifaires et non tarifaires, restent importantes. Selon l’OMC, le taux moyen des tarifs douaniers imposés par l’Inde aux importations des pays partenaires est de 18,1% contre seulement 8% en Indonésie et 2,3% en Chine. En outre, au cours des dix dernières années, les droits de douane de l’Inde ont augmenté (+3,7pp) alors qu’ils ont baissé (-0,6pp) dans les autres pays du monde. Enfin, l’Inde est signataire de peu d’accords commerciaux en comparaison avec d’ autres pays d’Asie.
Achevé de rédiger le 18 janvier 2024