Le processus de restructuration de la dette extérieure du gouvernement éthiopien s’est récemment débloqué. L’accord de paix entre les autorités fédérales et les forces rebelles du Tigré, signé en novembre 2022, a mis fin à deux années de guerre civile et a permis de relancer les négociations avec les institutions internationales. Ainsi, presque trois ans après avoir sollicité le Cadre commun du G20 pour restructurer sa dette, l’Éthiopie est parvenue à un accord intérimaire de suspension du service de sa dette bilatérale. Ce n’est qu’un début : les autorités éthiopiennes doivent maintenant trouver un accord avec l’ensemble des créanciers extérieurs pour obtenir une restructuration complète. Au préalable, elles doivent négocier avec le FMI pour obtenir son soutien financier, au prix de difficiles réformes dont la priorité sera de consolider les comptes extérieurs. Et ce, alors que les conflits persistent dans la région et menacent les relations du pays avec ses partenaires internationaux.
Un lent processus de restructuration…
Dès février 2021, en amont d’un défaut de plus en plus probable, le gouvernement éthiopien a sollicité le Cadre commun du G20 pour restructurer sa dette. À cette période, la liquidité extérieure se réduisait dangereusement. À la baisse du cours du café (un tiers des exportations de l’Éthiopie) sur la décennie passée, étaient venues s’ajouter les contraintes induites par la pandémie de Covid-19 et la sécheresse historique qui touche la Corne de l’Afrique depuis 2020.
La guerre civile dans laquelle le pays s’est enlisé à partir de novembre 2020 a cependant enrayé le processus de négociations ainsi que les relations avec les donneurs étrangers. L’aide publique au développement (APD), dont le pays est historiquement dépendant, s’est contractée de 40% entre 2020 et 2022, chutant à USD 2,7 mds, un plancher jamais atteint au cours de la décennie passée. En conséquence, la pénurie de devises s’est accentuée et les réserves de change ont graduellement décliné à USD 1 md en juin 2023, couvrant alors moins d’un mois d’importations.
La signature des accords de paix entre le gouvernement fédéral et le Front de Libération du Peuple du Tigré (FLPT), en novembre 2022, a permis de débloquer la situation. L’Éthiopie est parvenue à un accord intérimaire de suspension du service de sa dette bilatérale pour les années budgétaires 2023 et 2024 : en aout 2023 avec la Chine, qui détient 75% de sa dette bilatérale, puis avec le reste de ses créanciers bilatéraux en novembre dernier. Le paiement des intérêts sera ainsi reporté à 2025, et le paiement du principal à 2027, pour un montant total de USD 2,5 mds.
Au-delà du soulagement apporté à la liquidité extérieure à court terme, ces accords permettent de relancer le Cadre commun après une longue période infructueuse. C’est d’ailleurs pour respecter ce mécanisme que le gouvernement éthiopien, deux semaines après avoir signé les accords bilatéraux, n’a pas honoré le paiement d’un coupon de USD 33 mn dû à ses créanciers euro-obligataires, afin de respecter le principe de comparabilité de traitement entre créanciers. En conséquence, S&P et Fitch ont placé le gouvernement en défaut le mois dernier. Le pays rejoint ainsi la Zambie et le Ghana sur la liste des gouvernements africains à faire défaut sur leur dette extérieure commerciale depuis la pandémie de Covid-19.
A la différence de ses prédécesseurs, toutefois, le défaut éthiopien traduit une crise d’illiquidité externe temporaire plutôt qu’une situation d’insolvabilité sur le long terme. En septembre 2023, selon le ministère des Finances éthiopien, la dette publique était contenue à 39% du PIB, contre 88% au Ghana et 140% en Zambie au moment de leurs défauts respectifs. En outre, moins d’un quart de la dette extérieure était due aux créanciers privés. Les négociations pourraient donc être plus rapides. D’une part, le périmètre de restructuration n’inclura pas la dette domestique, comme ce fut le cas au Ghana. En outre, la restructuration devrait se limiter à un allongement des maturités visant à mieux répartir les remboursements dans le temps et ainsi réduire les périodes de tensions sur la liquidité. Un tel accord devrait être relativement plus facile à négocier auprès des créanciers bilatéraux, surtout auprès de la Chine qui est traditionnellement peu encline à tolérer un effacement de dette. En revanche, comme souvent, la dette euro-obligataire sera plus difficile à restructurer, en témoigne l’échec d’un premier accord entre le gouvernement et les détenteurs d’Euro-obligations fin octobre. Heureusement, l’Éthiopie n’a émis qu’un seul Eurobond pour un montant de USD 1 md, soit 11% seulement du périmètre de la dette à restructurer.
… qui sera conditionné à des réformes difficiles…
Toute nouvelle avancée dans le Cadre commun du G20 reste néanmoins suspendue à l’obtention d’un programme de financement du FMI qui s’élèverait à USD 3,5 mds et débloquerait un montant similaire de la Banque mondiale. Pour en négocier les conditions, le gouvernement éthiopien n’a pas beaucoup de marges de manœuvre : sans accord avec le FMI d’ici la fin du premier trimestre 2024, les créanciers bilatéraux se réservent le droit d’annuler la suspension du service de dette. Or, le FMI réclamera des autorités éthiopiennes des réformes difficiles, que le gouvernement a retardées depuis de nombreuses années.
Le principal point d’achoppement des négociations porte sur la dévaluation progressive du taux de change, une réforme lancée par le précédent programme FMI de 2019, mais finalement abandonnée en 2021. Depuis des décennies, la Banque centrale d’Ethiopie (BNE) administre le taux de change et le Birr est largement surévalué. A cause de la pénurie de devises, l’écart entre le taux officiel et celui du marché parallèle s’est creusé ces derniers temps, jusqu’à avoisiner 100% actuellement.
Une dévaluation visant à réunifier les taux officiel et parallèle sera nécessaire pour lever le rationnement de l’accès au dollar par la Banque centrale (au moins 35% des transactions en devises s’effectueraient sur le marché parallèle) et libéraliser le régime de change. L’ampleur de la dévaluation fait l’objet de discussions entre le gouvernement éthiopien et le FMI : une correction intégrale de la surévaluation aurait évidemment un impact majeur sur l’inflation, déjà très forte : le glissement annuel des prix à la consommation se maintient au-dessus des 25% depuis juin 2021.
La libéralisation du marché des changes devra donc s’accompagner d’une réforme de la politique monétaire pour mieux juguler l’inflation en passant par le canal des taux d’intérêt. A l’heure actuelle, les mesures de la BNE pour lutter contre l’inflation consistent principalement à plafonner la croissance du crédit bancaire à 14% pour l’année budgétaire en cours, ainsi qu’à diminuer les avances directes de la BNE au gouvernement, c’est-à-dire réduire la monétisation du déficit budgétaire. La fin des avances directes sera toutefois difficile, compte tenu des besoins de financement élevés du gouvernement à court terme, et de ses difficultés à trouver des revenus. Selon le FMI, les recettes budgétaires du gouvernement éthiopien ont graduellement décliné de 15,6% de PIB en 2016 à 8,5% en 2022, un des ratios les plus bas d’Afrique subsaharienne. Sur la même période, les dépenses se sont contractées à un rythme plus lent, si bien que le déficit budgétaire s’est creusé à 4,1% de PIB en 2022. Pour consolider les finances publiques et faire preuve de bonne volonté auprès du FMI, le gouvernement devra donc proposer des réformes fiscales visant à augmenter structurellement les revenus tout en réduisant drastiquement les subventions et les transferts sociaux qui représentaient plus de la moitié des dépenses budgétaires en 2020.
D’autres réformes seront nécessaires pour attirer durablement les capitaux étrangers et consolider les comptes extérieurs. Le développement et la libéralisation du secteur financier, la poursuite du programme de privatisation des entreprises publiques, ainsi que l’amélioration globale de l’environnement des affaires pourraient également faire partie des conditions d’octroi d’un programme FMI.
… et menacé par la persistance des conflits dans la région
En dépit d’un bilan estimé à 600.000 décès, qui a fait de la guerre civile éthiopienne le conflit le plus meurtrier des vingt dernières années, la signature des accords de paix entre le gouvernement fédéral et le FLPT n’a pas mis un terme aux conflits ethno-politiques qui déchirent le pays. Alors que la situation reste tendue au Tigré, les mouvements insurrectionnels dans les régions voisines d’Oromia et d’Amhara ont pris de l’ampleur ces derniers mois, sur fonds de disputes territoriales et de revendications d’autonomie. Les États-Unis et l’Union européenne, qui ont annoncé au S2 2023 la reprise de l’APD à l’Ethiopie, ont exprimé leur inquiétude quant à une escalade des affrontements et rappelé que leurs programmes d’aide financière restaient conditionnés au respect des accords de paix. La résurgence des conflits pourrait également bloquer le processus de restructuration de dette.
Sur le plan extérieur, les tensions entre l’Éthiopie et ses voisins se sont également accentuées ces derniers mois. En décembre 2023, les négociations trilatérales avec l’Égypte et le Soudan sur la question du Grand barrage de la Renaissance ont échoué une fois de plus. L’Éthiopie, qui compte sur le barrage pour produire 6.000 MW d’électricité à terme, a refusé de négocier un accord sur le partage des ressources en eau, ce que l’Égypte a qualifié de violation de la déclaration de principes de 2015. En outre, début janvier, le gouvernement éthiopien a signé avec la République autoproclamée du Somaliland un accord de reconnaissance de souveraineté en échange d’un accès portuaire sur la mer Rouge et d’une base militaire sur le littoral. L’Éthiopie, pays enclavé depuis la sécession de l’Érythrée en 1993, voit 95% de ses échanges commerciaux transiter par Djibouti contre un paiement annuel de USD 1,5 md. La Somalie, soutenue par l’Égypte, a immédiatement dénoncé la violation de sa souveraineté, le Somaliland n’ayant aucune reconnaissance internationale. La concrétisation du projet est incertaine, mais s’il devait aboutir, il mettrait le feu aux poudres dans une région déjà fragile.
Achevé de rédiger le 26/01/2024.