Malgré de nombreuses vulnérabilités, dont une forte dépendance au marché européen et un environnement politique complexe, les économies des Balkans occidentaux ont remarquablement résisté aux deux chocs extérieurs depuis 2022 : la guerre en Ukraine et le ralentissement européen. Le risque de change a été contenu grâce au soutien des investissements directs étrangers et des financements extérieurs. Le dynamisme de la demande intérieure a permis de compenser les conséquences du ralentissement européen sur les exportations. Les pressions inflationnistes, encore prégnantes en 2023, devraient se réduire cette année. L’intégration de la Croatie à la zone euro va réduire significativement les risques macroéconomiques. Néanmoins, la forte dépendance à l’activité touristique reste un élément de vulnérabilité. Si l’accès de la Serbie à l’UE reste contraint par des facteurs essentiellement politiques, les performances économiques sont solides tant au niveau des comptes extérieurs que des finances publiques.
Conséquences limitées de la guerre en Ukraine
La rupture progressive des liens entre l’Europe et la Russie n’a pas donné lieu à des difficultés économiques majeures dans les Balkans occidentaux, notamment grâce à une dépendance limitée aux importations de gaz (Slovénie, Monténégro) ou à une diversification des sources d’approvisionnement (développement de terminaux de GNL en Croatie, et faible dépendance au gaz russe en Macédoine du Nord). Le pays à priori le plus exposé au risque d’approvisionnement reste la Serbie en raison de sa dépendance aux importations de gaz russe qui représentent 90% de ses importations gazières. En juin 2022, le gouvernement serbe a sécurisé ses importations à des conditions favorables en renouvelant pour trois ans son contrat d’approvisionnement avec la Russie.
Au-delà de la problématique énergétique, la guerre en Ukraine a entrainé de fortes perturbations sur les marchés de matières premières et sur les flux de capitaux. Une partie des Balkans est particulièrement sensible aux déséquilibres de balance des paiements étant donné l’ancrage de la plupart des monnaies locales à l’euro (la Croatie et la Slovénie appartiennent à la zone euro) et l’euroïsation importante de la dette publique et des bilans bancaires. Même si le lien avec la monnaie unique prend des formes variées (d’une politique active du taux de change en Serbie à une euroïsation de facto de l’économie au Kosovo), la nécessité de maintenir la crédibilité du régime de change implique de détenir un niveau suffisant de liquidité en devises pour faire face à toute détérioration de la balance des paiements. Sans surprise, le déficit courant s’est creusé en 2022, passant en moyenne de 5,5% à 8,2% du PIB. Alors que les pays des Balkans occidentaux sont entrés dans la crise avec des niveaux de liquidité en devises satisfaisants, la couverture de leur besoin de financement a été assurée par le dynamisme des investissements directs étrangers (c’est la cas pour la Serbie, le Monténégro et la Macédoine du Nord), ainsi que par le soutien de bailleurs multilatéraux (Serbie et Macédoine du Nord).
Ralentissement européen compensé par la demande intérieure
La vulnérabilité à la conjoncture européenne prend de multiples formes : l’Union européenne est le principal débouché des exportations de biens, la provenance principale de la fréquentation touristique et la principale implantation des expatriés qui contribuent significativement à l’activité locale par leurs transferts de fonds. En 2023, le ralentissement économique européen (0,5% dans la zone euro et -0,1% en Allemagne) a eu des conséquences contrastées sur l’activité. En moyenne, les exportations de biens et services ont fortement ralenti au cours des trois premiers trimestres.
Néanmoins, la consommation des ménages est restée soutenue, grâce notamment à la progression des salaires réels en Slovénie, Serbie et Croatie dans un contexte de reflux des pressions inflationnistes. Pour l’ensemble des pays, l’inflation devrait se réduire de 12% en moyenne en 2022 à 4,2% en 2024 selon les prévisions de la Commission Européenne. L’investissement a été l’autre principal moteur de la croissance en 2023, soutenu notamment par les investissements directs étrangers et les fonds européens.
Selon les prévisions de la Commission européenne, la croissance devrait atteindre 2,5% en moyenne dans l’ensemble de la zone. En Slovénie, l’activité devrait être moins soutenue (+1,3% attendu) en raison des inondations qui ont sévèrement affecté le pays au cours de l’été 2023. Environ 80% des municipalités ont été touchées par ce phénomène climatique et les dégâts directs sont estimés à environ 5% du PIB selon la Commission européenne. En 2024, la croissance moyenne devrait à peine accélérer pour atteindre 2,6% dans un contexte de timide reprise économique en zone euro (+1,6% attendu).
Croatie : accès à la zone euro
L’année 2023 a été marquée par l’accès de la Croatie à la zone euro. En supprimant le risque de change, cette intégration réduit fortement certains risques liés à la part importante de la dette du gouvernement libellée en devises (70% du total, très majoritairement en euro) et à l’euroïsation d’environ 70% des bilans bancaires.
Par ailleurs, l’adoption de l’euro, mais aussi l’intégration dans l’espace Schengen, devraient bénéficier au secteur de l’immobilier touristique. Le tourisme est un secteur clé de l’économie croate puisqu’il contribue à environ un quart de son PIB (contre moins de 10% en moyenne dans l’Union européenne). En 2023, la fréquentation touristique annuelle est pratiquement revenue au niveau pré-pandémique. Cette importance du secteur touristique dans l’économie permet de réduire certains risques, notamment celui de la volatilité des prix de l’énergie sur l’activité, mais en accroît d’autres, dont celui de la dépendance à la conjoncture européenne. A plus long terme, la hausse des températures et du risque de sécheresse que devrait connaître l’ensemble de la région méditerranéenne auront des conséquences négatives sur la fréquentation touristique et sur la disponibilité de certaines ressources telles que l’eau.
Les finances publiques sont solides et le quasi-équilibre des comptes en 2022 et 2023 va contribuer à la réduction du ratio de dette du gouvernement qui devrait être inférieur à 60% du PIB en 2024.
Le soutien financier européen est important et devrait permettre au pays de rattraper progressivement son retard par rapport au standard européen. En 2022, le PIB par habitant de la Croatie équivalait à 73% de la moyenne de l’Union européenne (60% en 2013). D’ici à 2030, on estime que la Croatie – dont la capacité d’absorption des fonds européens est importante – pourrait recevoir des fonds de soutien européens équivalents à un quart de son PIB actuel.
Serbie : des fondamentaux économiques solides
Au cours des deux dernières années, la Serbie a évolué dans un environnement politique complexe. En effet, aux tensions régionales récurrentes se sont ajoutées les conséquences du partenariat privilégié avec la Russie au détriment de ses relations avec l’Union européenne. Ces éléments peuvent contraindre l’intégration du pays dans l’Union européenne. Mais d’un point de vue économique, les fondamentaux restent solides et permettent de faire face aux chocs externes.
Du fait de l’euroïsation de la majeure partie des bilans bancaires et de la dette du gouvernement, la capacité de l’économie à générer suffisamment de devises est un élément clé de la stabilité macroéconomique de la Serbie. Dans les faits, la politique de change se résume à maintenir la stabilité du dinar par rapport à l’euro et se traduit par des interventions de la banque centrale sur le marché des changes. En raison d’un déficit courant récurrent et assez élevé (5,4% du PIB en moyenne durant la période 2018-22) et d’un amortissement de la dette extérieure important (10,4% du PIB en moyenne durant 2018-22), le besoin de financement est substantiel. Celui-ci est couvert par les investissements directs étrangers nets (qui couvrent en moyenne 140% du déficit courant depuis 2015) et par des flux de dette externe. Malgré une prime de risque bien plus élevée qu’avant le déclenchement de la guerre en Ukraine (193 pbs actuellement contre moins de 100 pbs avant mars 2022), la Serbie continue d’émettre des obligations souveraines sur les marchés internationaux (USD 1,750 mds émis en 2023). Par ailleurs, le respect par le gouvernement serbe des éléments de conditionnalité du FMI permet le déboursement régulier des tranches de financement d’un Stand-by Arrangement d’un montant total de EUR 2,4 mds (3,5% du PIB). Le niveau des réserves de change de la banque centrale est suffisant pour limiter la volatilité du change et satisfaire aux critères prudentiels du FMI.
Les comptes publics se sont significativement améliorés depuis 2016, notamment sous l’égide du FMI. Si le soutien du FMI n’est pas crucial d’un point de vue budgétaire, il permet un ancrage de la politique macroéconomique. Après la détérioration significative du solde budgétaire lié à la pandémie (-8,0% du PIB en 2020), puis la nécessité de procéder à une hausse des salaires et des dépenses sociales dans un contexte inflationiste persistant (+7,6% en g.a en décembre 2023), le déficit budgétaire devrait progressivement se réduire grâce au contrôle des dépenses (2,2% du PIB selon la prévision de la Commission Européenne). La dette publique est à un niveau modéré (56% du PIB en 2022), et le gouvernement dispose de dépôts liquides équivalents à environ 5% du PIB selon les estimations du FMI. Les intérêts de la dette représentent environ 4,5% des revenus budgétaires (estimation 2023), et autorisent une certaine flexibilité budgétaire.
Achevé de rédiger le 5 février 2024.