La croissance économique de la Malaisie est restée robuste en 2023, bien qu’en recul par rapport à 2022 en raison d’effets de base défavorables. La demande intérieure en a été le principal moteur alors que les exportations se sont sensiblement contractées. Les perspectives pour 2024 restent bien orientées et la croissance devrait légèrement rebondir. Les principaux points d’attention portent sur l’évolution du marché immobilier et du secteur de la construction (lequel concentre les entreprises les plus fragiles), la consolidation des finances publiques (qui reste très graduelle) et l’évolution des comptes extérieurs. Même si la Malaisie a de nombreux atouts pour attirer les investisseurs internationaux qui cherchent à relocaliser une partie de leurs usines de production en dehors de la Chine, elle subit la forte concurrence des autres pays de l’ASEAN, comme le Vietnam.
Croissance inférieure à l’objectif
D’après les premières estimations de l’Institut de statistique, la croissance a atteint 3,8% en 2023 (vs 8,7% en 2022), un rythme inférieur de 0,2pp à la prévision basse du gouvernement (entre 4% et 5%). La demande intérieure en a été le principal moteur alors que la contribution des exportations nettes a été négative.
La croissance devrait rebondir légèrement en 2024 même si les risques baissiers restent élevés, notamment, en raison de la décélération attendue de la croissance mondiale. L’économie malaisienne reste très dépendante de l’environnement international (Singapour, la Chine et les États-Unis sont ses trois premiers partenaires à l’exportation) et du marché électronique mondial. Or, la production industrielle de produits électriques et électroniques s’est encore contractée en novembre pour le sixième mois consécutif (-6,8% en g.a). La bonne tenue du marché du travail et la décélération des pressions inflationnistes devraient continuer de soutenir la demande intérieure en 2024. Fin 2023, le taux de chômage s’est stabilisé à 3,3% (vs 3,7% un an plus tôt), le taux de participation sur le marché du travail a atteint un plus haut historique à 70,1%. Parallèlement, la hausse des salaires réels s’est poursuivie (+1,3% au T3-2023) grâce à la hausse des salaires nominaux et à la baisse de l’inflation. En décembre 2023, la hausse des prix est restée limitée à seulement +1,5% en g.a. et celle des prix hors alimentaire et énergie (1,9% sur un an) est revenue sur un rythme légèrement inférieur à sa moyenne de long-terme (2% sur la période 2011-2019). Les pressions inflationnistes pourraient accélérer en 2024 en raison de la réduction des subventions sur l’alimentation et l’énergie mais ne constituent pas un risque pour la croissance.
Les risques inhérents à l’économie malaisienne restent modérés. Parmi les points à surveiller, il faut mentionner, en premier lieu, l’évolution du marché immobilier. En effet, les volumes des ventes ont décéléré au deuxième semestre 2023 et les prix ont augmenté de seulement 0,1% en g.a. au T3 2023 (contre une moyenne de 4,6% au S1 2023). Le deuxième point à surveiller, en rapport avec le premier, porte sur la situation financière des ménages et des entreprises (notamment dans le secteur de la construction), fortement endettés. La dette des ménages a, de nouveau augmenté en 2023 pour atteindre 81,9% du PIB au T2 (après une baisse à 81% du PIB fin 2022). Même si leurs actifs couvraient encore 2,1 fois la valeur de leur dette mi-2023, les tensions baissières sur le marché immobilier sont à surveiller de près au regard de l’importance de leur passif. Par ailleurs, même si, selon la Banque des Règlements Internationaux (BIS), la dette des entreprises a diminué à 88,6% du PIB (vs 95,5% du PIB au T2 2022), la capacité de ces dernières à faire face à leurs engagements s’est légèrement dégradée. Les marges ont baissé avec la hausse des coûts de production (les coûts des produits importés sont restés relativement élevés en raison de la dépréciation du ringgit). La couverture de la charge d’intérêts par les profits a diminué, même si elle est restée globalement très confortable. Les profits médians avant impôts et taxes couvraient encore 5,5 fois les charges d’intérêt mi-2023, contre 6,5 fois fin 2022 (le minimum étant fixé à 2 fois). Néanmoins, la banque centrale (Bank Negara of Malaysia, BNM) estime que 26% des entreprises avaient un ratio de couverture des intérêts par les profits inférieur au seuil prudentiel (soit 5,7pp de plus que sur la période 2015-2019) et cette proportion atteignait 41,1% pour les entreprises du secteur de la construction.
Les deux derniers points d’attention sont l’évolution des finances publiques et les tensions sur les comptes extérieurs.
Modeste consolidation des finances publiques
Les marges de manœuvre du gouvernement pour soutenir la croissance sont limitées. La base fiscale, déjà modeste, a diminué en 2023 et devrait continuer de baisser en 2024, en raison de la chute des recettes pétrolières. Le gouvernement ne prévoit toujours pas de réintroduire la taxe sur les biens et services, qui permettrait pourtant d’accroître la base fiscale et de réduire la dépendance aux revenus pétroliers.
En 2023, le déficit devrait rester élevé, bien qu’en légère baisse par rapport à l’année dernière. Il devrait atteindre 5% du PIB (vs 5,6% du PIB en 2022), un niveau supérieur à la moyenne enregistrée sur la période 2015-2019 (3,3% du PIB). L’ensemble des recettes devrait diminuer de 0,1pp à 16,3% du PIB, en raison de la forte baisse des prix des matières premières. Point positif, le paiement des intérêts sur la dette a légèrement diminué pour constituer 13,7% des recettes sur les trois premiers trimestres 2023 alors qu’il s’établissait à 14,1% à la même époque l’année dernière.
Dans son budget 2024, le gouvernement a l’objectif de réduire le déficit de 0,7pp à 4,3% du PIB. Mais cette baisse ne reflète pas une réelle consolidation structurelle.
Du côté des recettes, la principale mesure est la hausse du taux de la taxe sur les services de 2pp qui sera accompagnée par un élargissement de son assiette fiscale. Par ailleurs, le gouvernement prévoit de mettre en place des taxes sur les biens luxueux et sur les plus-values du capital. Mais ces relèvements seront insuffisants pour compenser la baisse attendue des dividendes reçus de la compagnie pétrolière nationale Petronas (-0,4% du PIB). Selon les prévisions du gouvernement, les recettes baisseront à 15,5% du PIB, un niveau inférieur de 0,7pp à la moyenne enregistrée sur la période 2018-2022.
Du côté des dépenses, une baisse de 0,9pp est programmée. Le gouvernement prévoit de réduire les subventions (-0,6% du PIB), mais les économies réalisées seront utilisées pour financer des dépenses sociales ciblées en faveur des plus défavorisés. En réalité, la baisse du déficit reflètera essentiellement la contraction des dépenses d’investissement, lesquelles avaient fortement augmenté en 2023 en raison du paiement de la dette de 1MDB. Si l’on exclut cette dépense exceptionnelle, les dépenses devraient être relativement stables en 2024.
En 2023, la dette du gouvernement a augmenté de 3,5pp pour atteindre 63,8% du PIB (vs 52,4% du PIB fin 2019). La structure de la dette reste toutefois peu risquée car elle est principalement libellée en monnaie locale et détenue par les investisseurs résidents.
Hausse des pressions sur le ringgit
Au cours de l’année 2023, les tensions à la baisse sur les monnaies des pays émergents, et notamment des pays d’Asie, se sont accentuées en raison de la hausse des écarts de rendements entre les obligations domestiques et américaines. Parmi les monnaies d’Asie, le ringgit a enregistré l’une des plus fortes baisses face au dollar (-9,6%). En termes effectifs nominal et réel, le ringgit s’est déprécié de respectivement 3,9% et 4,7% face aux monnaies des pays de ses principaux partenaires. Cette dépréciation, bien que contenue, a résulté, d’une part, de la baisse de l’excédent courant (induite notamment par la forte réduction de l’excédent commercial) et, d’autre part, des importantes sorties nettes de capitaux.
Sur les trois premiers trimestres 2023, le solde commercial s’est contracté de 20,5% par rapport à la même période l’année dernière. La baisse des exportations a excédé celle des importations. La Malaisie a été pénalisée par la baisse de la demande de produits électriques (36,3% de ses exportations totales en 2022) et notamment de circuits électroniques intégrés (22,2% de ses exportations), mais aussi par la chute des prix des matières premières tant minérales que végétales (les combustibles minéraux et les huiles végétales ont constitué respectivement 17,2% et 6,7% de ses exportations en 2022).
La baisse du déficit des services, favorisée par la hausse des recettes touristiques (bien que toujours inférieures de 21,4% à leur niveau avant l’épidémie de COVID-19), n’a pas été suffisante pour compenser la diminution de l’excédent commercial. L’excédent du compte courant a baissé pour n’atteindre que 1,7% du PIB sur les trois premiers trimestres. Bien qu’une légère hausse soit attendue au T4 2023, il ne devrait guère excéder 2,1% du PIB sur l’ensemble de l’année 2023 (vs 3,1% en 2022).
Dans le même temps, les entrées nettes de capitaux ont sensiblement diminué. Les investissements des malais à l’étranger ont augmenté alors que les investissements des non-résidents dans le pays (tant au niveau des IDE que des investissements de portefeuille) ont diminué.
Les investissements directs entrants ont baissé de 49% sur les trois premiers trimestres 2023 pour atteindre 1,8% du PIB, un niveau modeste en comparaison des flux d’IDE reçus sur la période 2015-2019 (3,1% du PIB en moyenne). Une partie de cette baisse s’explique par une correction après la forte hausse enregistrée en 2021, mais elle reflète aussi un mouvement plus général qui a concerné de nombreux pays de l’ASEAN (-16% selon l’UNCTAD) en raison de la hausse des coûts de financement et de perspectives de croissance moins favorables.
Cependant, certains pays de l’ASEAN, dont le Vietnam, ont au contraire vu leurs entrées d’IDE augmenter très légèrement. On peut donc se demander dans quelle mesure la Malaisie pourrait être concurrencée par ce pays. A ce jour, selon les données nationales de la Malaysian Investment Development Authority (MIDA), les projets d’investissement en Malaisie restent bien orientés, notamment dans le secteur électrique et électronique. C’est en particulier dans les circuits électroniques intégrés que la Malaisie pourrait bénéficier d’une partie de la relocalisation des usines de production de la Chine. La Malaisie a déjà profité des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis pour accroître ses parts de marché, qui ont atteint 7,3% des exportations mondiales en 2022 vs 6,3% sur la période 2017-2021.
En 2024, les comptes extérieurs devraient se redresser grâce à une reprise attendue de la demande de produits électriques et électroniques et d’une hausse des entrées nettes de capitaux favorisée par la baisse anticipée des rendements obligataires dans les pays avancés. Les réserves de change (en baisse de USD1.7bn en 2023) sont attendues en légère hausse à USD102mds, l’équivalent de 4,5 mois d’importations de biens et services.
Achevé de rédiger le 24 janvier 2024