Le dynamisme de la consommation des ménages et le retour des touristes devraient permettre à la croissance d’accélérer au cours des prochains trimestres. Le manque de compétitivité du secteur exportateur et les effets d’El Niño sont les principaux risques sur la croissance et les exportations. En outre, la situation politique reste tendue et la coalition gouvernementale apparaît fragile. Un dérapage budgétaire est possible et la banque centrale devrait marquer une pause dans son assouplissement monétaire.
Timide accélération de la croissance
Sur les neufs premiers mois de 2023, la croissance a atteint 1,9% en g.a.. Les derniers trimestres ont été marqués par une reprise inégale des composantes de la demande. La consommation des ménages est restée le principal moteur de la croissance, en accélération constante jusqu’à atteindre +8,1% en g.a. au T3, soutenue par les aides fiscales aux ménages et la bonne tenue du marché du travail. L’évolution des autres composantes a été plus contrastée: l’investissement privé a progressé à un rythme plus modéré (+1,7% en moyenne en g.a. sur les trois premiers trimestres), les exportations de marchandises ont souffert du ralentissement de l’économie mondiale et les revenus liés au tourisme ont continué leur progression, mais à un rythme bien moins rapide qu’attendu.
Pour l’année 2023, la Thaïlande a accueilli un peu plus de 28 millions de touristes, chiffre en progression de plus de 150% par rapport à 2022 mais à un niveau encore inférieur de 30% à celui de 2019. Par nationalité, les tendances sont similaires à celles observées avant la période Covid, en raison des mesures spécialement mises en place par le gouvernement thailandais, telle que l’exemption (temporaire) de visa pour les visiteurs en provenance d’Inde, de Taiwan et du Kazakhstan, ou l’incitation à favoriser les voyages de longue durée (en proposant des réductions sur plusieurs services tels que l’hébergement, la restauration, la santé, les vols intérieurs). En revanche, le nombre de touristes en provenance de Chine ne progresse que très lentement. Les interdictions de voyager pour les ressortissants chinois ont progressivement été levées au cours de l’année 2023, mais les subventions gouvernementales encourageant le tourisme domestique ont probablement freiné la reprise des voyages « internationaux ». Au total, en 2023, le nombre de touristes chinois était encore inférieur de 70% à celui de 2019.
La croissance devrait se raffermir au cours des trimestres à venir, le PIB devrait progresser de 3,7% en 2024, après 2,3% en 2023, toujours tiré par la consommation des ménages soutenue par une politique budgétaire expansionniste et le retour progressif des touristes (d’après les estimations de la Banque centrale, le niveau de 2019 ne serait atteint qu’à la fin de 2025).
Toutefois, les effets liés au phénomène climatique El Niño sont difficiles à quantifier et la Thaïlande pourrait ne pas bénéficier pleinement d’une reprise de la croissance mondiale et de la hausse de la demande pour les composants électroniques, du fait des difficultés structurelles du pays (le climat politique, la faiblesse de l’investissement et le manque d’infrastructures pèsent sur la compétitivité du secteur exportateur). Surtout, une croissance chinoise plus faible qu’escompté pèserait lourdement sur la croissance thaïlandaise.
Sur le plan monétaire, des effets de base favorables et la baisse plus importante qu’anticipé des prix de l’énergie et des matières premières alimentaires ont permis une décélération rapide de l’inflation au cours de l’année. Le glissement sur un an des prix est même devenu négatif depuis le mois d’octobre (à -0,8% en g.a. en décembre). L’inflation sous- jacente a également décéléré au cours de l’année, mais reste légèrement au-dessus de sa moyenne avant-Covid (à 0,6% en g.a. en décembre). La Banque centrale a relevé son taux directeur pour la dernière fois en septembre, à 2,5% (après une hausse cumulée de plus de 200 points de base depuis août 2022) et devrait marquer une pause au cours des prochains mois. Elle anticipe une légère augmentation de l’inflation en 2024, compte tenu des pressions à la hausse sur les prix de l’énergie et les prix agricoles. L’inflation serait néanmoins contenue dans la cible (entre 1% et 3%).
Nouveau paysage politique
L’instabilité politique reste une préoccupation principale. Les élections récentes et la formation du nouveau gouvernement qui a suivi suggèrent néanmoins que le paysage politique évolue. L’opposition observée depuis plusieurs décennies entre (schématiquement) l’élite royale et militaire et la population rurale laisse peu à peu la place à une opposition entre de nouveaux partis désireux de réformer le pays (principalement portés par de jeunes électeurs) et les partis affirmant leur volonté de maintenir le statu quo.
Les résultats de l’élection générale, organisée comme prévu en mai dernier, l’illustrent bien. Les partis d’opposition ont remporté une majorité des sièges de la Chambre des représentants (plus de 300 sièges sur 500) et à eux seuls, les deux principaux partis d’opposition ont remporté la quasi-totalité de ces sièges. Move Forward, le parti proposant le plus d’avancées sociétales (dont une réforme du crime de lèse-majesté et une autre portant sur l’institution militaire) a remporté 151 sièges. Le Pheu Thai Party (PTP) a quant à lui remporté 141 sièges.
Bien qu’ayant formé une coalition composée de huit partis (totalisant plus de 70% des voix), Move Forward n’a pas été en capacité de former un gouvernement. Après plusieurs semaines de discussion, début juillet, le Sénat a rejeté la candidature du dirigeant du parti, Pita Limjareonrat, au poste de Premier ministre. D’après la constitution en vigueur depuis 2017, l’élection au poste de Premier ministre requiert en effet la majorité de l’Assemblée Nationale, composée de la Chambre des représentants (500 sièges) et du Sénat (250 sièges), dont les membres sont tous nommés par le Roi, en consultation avec les militaires. Les 376 votes nécessaires pour obtenir la majorité impliquaient donc la formation d’alliances avec les partis conservateurs et surtout, indirectement, l’approbation du gouvernement militaire sortant. À la fin du mois d’août, Sretta Thavisin, candidat du PTP, a été nommé Premier ministre à la tête d’une large coalition (composée de onze partis, dont deux partis promilitaires), après l’approbation du Parlement et du Roi.
Le climat politique devrait rester tendu dans les mois à venir : le parti Move Forward a finalement été exclu de la coalition gouvernementale et le parti doit répondre à de nombreuses accusations, la proposition d’amender le crime de lèse-majesté ayant été perçue comme un premier pas vers un ensemble de réformes visant finalement à renverser la monarchie. Si le parti venait à être dissous, de nombreuses manifestations populaires seraient probables. Par ailleurs, la coalition gouvernementale rassemble finalement le PTP et 10 autres partis (dont des partis conservateurs), aux objectifs économiques et politiques très divergents. L’application d’une politique commune pourrait s’avérer délicate à mettre en œuvre. Cela dit, d’un point de vue positif, la nécessité d’obtenir un consensus pour appliquer les réformes devrait permettre d’éviter les dérapages budgétaires.
A moyen terme toutefois, le PTP et l’ensemble des partis de la coalition ont déclaré vouloir honorer les engagements du précédent gouvernement, en instaurant notamment les mesures destinées à améliorer la competitivité du pays. La stratégie industrielle « Thaïlande 4.0 » et les incitations à l’investissement (domestique et étranger, grâce au plan Investment Promotion Strategy, prévu pour durer de 2023 à 2027), devraient ainsi être poursuivies. L’ensemble des partis s’est également prononcé en faveur de mesures destinées à accelerer la transition énergétique.
Dépenses extrabudgétaires en 2024
C’est dans ce cadre qu’a débuté, au cours des premiers jours de janvier, l’examen de la proposition de budget pour l’année fiscale 2024 (qui a débuté en octobre 2023). Comme lors des précédentes élections en 2019, la durée des négociations précédant la formation du gouvernement a retardé l’examen du budget. Le gouvernement propose d’augmenter les dépenses de près de 10% par rapport au budget 2023, plusieurs mesures visant à soutenir la consommation des ménages et l’investissement, préparer le vieillissement de la population, lutter contre la corruption ont été présentées Les revenus n’augmenteraient que de 4,5% (l’hypothèse de croissance du PIB retenue par le gouvernement est comprise entre 2,7% et 3,7% pour 2024). D’après les estimations, le déficit s’élèverait à 3,7% du PIB en 2024 (après 3% en 2023) et la dette resterait stable autour de 62% du PIB.
Les débats s’avèrent âpres, d’une part, parce que les partis d’opposition (en premier lieu Move Forward) ont largement critiqué la proposition de budget (absence d’objectifs clairs, réformes calquées sur celles du gouvernement précédent) et, d’autre part, parce que la proposition de budget ne reprend pas la principale mesure économique, le « portefeuille électronique », annoncée en novembre dernier. Cette mesure prévoit de distribuer 10 000 baht (environ 280 euros) à plus de 56 millions d’habitants, en fonction de plusieurs critères (âge, revenu). Le coût de cette mesure représenterait pas moins de 2,7% du PIB. Le gouvernement a récemment obtenu l’accord du Conseil d’État pour financer le projet par un emprunt spécial, ce qui signifie que le déficit (et l’endettement) relatifs à la mise en place de ce projet seraient placés hors-budget.
Achevé de rédiger le 25 janvier 2024