Pour son retour aux commandes, Lula peut dresser un bilan positif de sa première année, marquée par des indicateurs macro-financiers au vert, la relance des programmes sociaux, des positions ambitieuses sur l’environnement et une capacité à réformer que peu d’observateurs anticipaient. Ce tableau cache toutefois quelques déséquilibres : dans le profil de la croissance, la dynamique du chômage et la diversification de la balance commerciale. Les doutes des marchés sur la capacité du gouvernement à équilibrer ses comptes (malgré le nouveau cadre budgétaire) constitue une autre zone d’ombre. En 2024, la croissance, l’inflation et les taux d’intérêts seront inférieurs à 2023. La définition des grandes orientations de politique publique et la mise à disposition de financement pour l’économie verte devraient alimenter un rebond de l’investissement.
Un bilan 2023 au dessus des attentes…
Lula peut se targuer d’un bilan positif pour la première année de son troisième mandat à la tête du Brésil. Ce scénario, pourtant, paraissait loin de s’imposer comme une évidence. La coalition gouvernementale n’a pas la majorité à la chambre des députés (moins de 200 sièges sur 513 représentants), et la prise de fonction de l’ancien syndicaliste a été très chahutée (attaque des institutions à Brasilia, procès à l’encontre de Bolsonaro, tension avec la Banque centrale, inquiétudes des marchés consécutive à la forte hausse des dépenses sociales[1]).
En fin de compte, le bilan macro-financier aura été plus qu’honorable : la croissance du PIB réel a dépassé les attentes de plus de 2,5 points, le taux de chômage a atteint en décembre un plus bas (7,4%) depuis 2015 et la désinflation a été plus prononcée que prévu, le glissement annuel de l’indice ICPA est revenu dans la bande de tolérance de la Banque centrale pour la première fois depuis 2020. Le solde commercial a affiché un excédent record (flirtant avec la barre des USD 100 mds) permettant au compte courant de se résorber d’un peu plus d’un point de PIB. Les investissements de portefeuille des non-résidents ont connu un renversement de tendance, tiré par des rendements obligataires attractifs (flux nets entrants de USD 19,7 mds en 2023 contre flux nets sortants de USD 4,7 mds en 2022 selon les données de l’IIF). Les indicateurs de solvabilité et de liquidité extérieures sont restés satisfaisants – confortés par une hausse des réserves de change de USD 30 mds et une progression modérée de l’endettement extérieur.
Sur les marchés, l’indice boursier B3-Ibovespa a atteint un pic historique (132 000 points en décembre) et une progression de +34% en dollar – soit une surperformance de 24 points par rapport à l’indice MSCI Emerging Market. Le réal, soutenu par les flux de carry trade, affichait des gains de près de 10% contre le dollar. Le choc sur le marché de la dette des entreprises lié à la défaillance au T1 d’un acteur systémique (i.e. le détaillant Americana) n’aura finalement été que de courte durée (normalisation des émissions au T2). L’amélioration de la perception du risque souverain au cours de l’année (resserrement du spread EMBI+ Brasil de 62 points de base, relèvement de la note souveraine du pays de BB- à BB par S&P et Fitch) a aussi permis à l’État d’émettre en novembre sa première obligation ESG (USD 2 mds sur 7 ans) dans des conditions relativement avantageuses (6,5% de rendement et 182 points de base de spread par rapport au Trésor américain, un record en 10 ans.)
En outre, le gouvernement est parvenu à réformer les règles budgétaires et la fiscalité tout en maintenant ses engagements sociaux (relance des programmes de logements, de lutte contre la faim, augmentation des allocations dans le cadre de Bolsa Familia). Le déploiement d’un programme de restructuration de dette des ménages (Desenrola Brasil) ainsi que la reconduction de certains programmes de soutien aux entreprises (Pronampe) ont par ailleurs permis de contenir la hausse des risques de crédit.
… qui masque toutefois certaines fragilités
Les bonnes performances du pays masquent toutefois quelques facteurs de fragilité : i/ le détail des comptes nationaux montrent une croissance déséquilibrée qui rend l’économie plus vulnérable. Sur les 3% de croissance attendus en 2023, plus de la moitié proviendraient de l’agro-industrie et du secteur extractif avec une contribution d’environ 0.8 pp pour la seule industrie pétrolière. ii/ On peut, par ailleurs, douter du caractère structurel des améliorations sur le marché du travail. En effet, malgré un marché du travail plus tendu, les salaires réels moyens sont demeurés à leur niveau d’avant la pandémie. La baisse du taux de chômage est en grande partie imputable à la baisse du taux de participation au marché du travail. A taux de participation constant (niveau fin 2019), le taux de chômage aurait augmenté d’environ deux points de plus. iii/ La balance commerciale est moins diversifiée que par le passé (en termes de partenaires et de produits) rendant les comptes externes plus fragiles en cas de chocs. En 2023, les produits agricoles ont représenté une part plus importante des exportations totales (49% contre 38% sur la période 2020-22), tandis que la Chine a renforcé davantage sa position de 1er partenaire commercial du pays (absorbant 31% des exportations en 2023 contre 26% sur la période 2016-22, majoritairement dans le soja, le pétrole brut, la viande, les minerais de fer et la pâte à papier). La dépendance est réciproque : 20% des importations agricoles de Chine proviennent aujourd’hui du Brésil. La Russie, avec son pétrole raffiné bon marché, est aussi devenue le 2e fournisseur en carburant du pays pourvoyant 50% de ses besoins en diesel – très recherché dans les secteurs des transports et de l’agro-business.
Jeu d’équilibriste entre préservation de l’environnement et développement économique
Le Brésil, actuellement 7e émetteur mondial de gaz à effet de serre[2], a été, tout au long de l’année, mis à l’épreuve de ses contradictions sur l’environnement. D’’un côté, la déforestation en Amazonie a chuté de moitié et Lula a pris des positions ambitieuses sur l’environnement[3]. Le pays est aussi en passe de finaliser le lancement d’un marché national du carbone qui entend – outre l’encadrement des crédits carbone – instaurer un cap d'émissions pour environ 4 000 entreprises émettant chaque année plus de 25 000 tonnes d'équivalent CO2. D’un autre côté, pour se donner des marges de manœuvres supplémentaires auprès du lobby agricole – très influent auprès des élus –, Lula a promulgué, fin 2023, une loi accélérant l’autorisation de nouveaux pesticides (le pays est le 1er consommateur mondial absorbant 1/5e des stocks, d’après la FAO). Contrairement à l’Amazonie, la déforestation dans la savane du Cerrado (qui abrite 5% de la biodiversité mondiale et concentre 45% de l’agriculture et de l’élevage brésilien) s’est accentuée. Les projets d’exploration pétrolière dans le bassin de l’Amazone n’ont pas non plus été remis en cause. Un plan d’investissement dans les énergies fossiles (BRL 335 mds) doit même permettre au pays d’accroitre sa production à 5,4 mn de barils / jour à horizon 2030 contre 3 mn actuellement. Ainsi, le Brésil devrait faire partie, avec la Guyane et les États-Unis, des pays enregistrant la plus forte croissance de production de pétrole au cours des prochaines années.
Perspectives : relance ou rigueur ?
En 2024, la croissance devrait être proche de son potentiel (entre 1.5% et 2%). L’acquis de croissance sera faible de l’ordre de 0,3 pp du fait de la modération de l’économie au S2-2023. En raison d’aléas climatiques et d’effets de base, la contribution de l’agriculture à la croissance devrait être négative après une année 2023 exceptionnelle. Les baisses de taux d’intérêt devraient se poursuivre : depuis août 2023, la BCB a procédé à 5 baisses du taux SELIC cumulant 250 points de base d’ajustement (à 11,25% fin janvier). L’assouplissement monétaire devrait profiter aux secteurs plus sensibles au cycle du crédit et plutôt à la peine en 2023 (e.g secteur de la transformation, construction). La baisse des taux devrait aussi inciter les investisseurs locaux à revenir vers le marché action et favoriser la reprise des introductions en bourse (3 à 5 anticipées) après une disette de plus de deux ans.
Les autorités pourraient être tentées de stimuler la croissance. Les marchés anticipent une révision de l’objectif de déficit primaire[4] en mars/avril (au risque d’entamer la crédibilité du nouveau cadre budgétaire). Les autorités devraient s’appuyer sur la Banque de développement, BNDES – principal pourvoyeur de fonds pour les projets d’infrastructure (54%) – qui prévoit d’accroitre ses décaissements à hauteur de 2% du PIB à horizon 2026 contre 1,2% actuellement. Le gouvernement espère aussi inciter davantage les investissements du secteur privé avec un nouveau Pacte d’Accélération de la Croissance lancé en août 2023, un plan de réindustrialisation annoncé en janvier 2024 et l’adoption de la réforme de la fiscalité. L’économie verte bénéficiera de conditions de financement préférentielles et de nouveaux dispositifs de couverture pour protéger les investisseurs contre le risque de change, considéré comme un frein important aux investissements directs étrangers.
[1]Le coût du programme d’allocations familiales, Bolsa familia négocié avant son entrée en fonction a été multiplié par 3 par rapport à l’avant-pandémie, soit près de 1,7% du PIB.
[2]D’après le World Resource Institute – le Brésil est responsable de 3% des émissions de gaz à effet de serre. Environ 40% de ces émissions sont liées à la déforestation.
[3]Dans le cadre des contributions déterminées au niveau national (NDC), révision en septembre des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (de 37% à 48% pour 2025 et de 50% à 53% à horizon 2030). Dans son plan de réindustrialisation du pays annoncé en janvier 2024 (USD 61 mds sur 2024-2026, axé sur la santé, la défense, l’agro-business, les transports et le numérique), Lula a pour objectif de faire baisser de 30% le gaz carbonique produit par l’industrie en stimulant notamment la production de biocarburants et d’énergies renouvelables.
[4] Ne croyant pas à une baisse des dépenses et à une rationalisation suffisante des recettes (meilleure collecte, fin des exemptions, réforme des niches fiscales, etc.), les prévisions de marchés tablent sur un écart de 0,8 point de PIB du solde primaire (hors intérêts de la dette) en 2024 par rapport à l’objectif de « déficit zéro » du gouvernement.