Eco Emerging

Chine | Pessimisme persistant

07/02/2024
PDF

En 2023, le rebond post-Covid de l’activité économique chinoise a été moins vigoureux qu’espéré. La crise du secteur immobilier s’est aggravée en fin d’année, la demande de logements ne redémarre pas, et le moral dégradé des ménages pèse sur leur consommation. En revanche, le secteur manufacturier exportateur a affiché une performance meilleure que prévu au dernier trimestre, contrastant avec celle des secteurs tournés vers le marché intérieur. Les autorités maintiennent une politique accommodante. Cependant, la fragilité financière des collectivités locales pèse sur l’investissement public, et la marge de manœuvre de la banque centrale pour relancer le crédit est faible. Le secteur bancaire subit une hausse du risque de crédit, qui semble cependant rester maîtrisé.

Prévisions

La croissance économique chinoise a atteint 5,2% en 2023, contre 3% en 2022. Ce redressement s’explique largement par la normalisation post-Covid de la demande intérieure et de larges effets de base. Il a également été aidé par un assouplissement monétaire et budgétaire prudent et graduel depuis l’été dernier. Mais en réalité, l’économie chinoise continue de faire face à un grand nombre de fragilités, qui devraient persister à court terme.

La demande intérieure manque d'élan

Chine : aggravation de la crise dans le secteur immobilier

Ces fragilités se concentrent dans les secteurs tournés vers le marché intérieur et pèsent lourdement sur l’investissement et la consommation privée. En particulier, le secteur immobilier reste enlisé dans une crise profonde qui s’est encore aggravée en fin d’année 2023 (graphique 1).

L’investissement immobilier s’est contracté de 8% environ en valeur en 2023, quasiment comme en 2022. Les volumes de transactions immobilières ont chuté de -23% en g.a. en décembre et de -18% sur l’ensemble de 2023, et la reprise apparente des mises en chantier observée en novembre (après 31 mois de baisse) ne s’est pas confirmée. Seul le nombre de chantiers terminés continue de s’améliorer (+16% en 2023, après -15% en 2022), grâce aux mesures mises en œuvre par les autorités visant à financer la finalisation des projets en cours. En revanche, les mesures introduites pour ranimer la demande de logements n’ont pas eu d’effets. Pour la première fois, l’encours des crédits bancaires hypothécaires s’est contracté en 2023 (-1,8%). Les stocks de logements invendus sont toujours excessivement élevés. Et les promoteurs immobiliers restent confrontés à d’énormes difficultés financières. L’accès aux crédits pour les promoteurs les plus solides s’était légèrement amélioré en 2022 et au S1 2023, mais la dynamique s’est ensuite inversée ; la croissance des prêts bancaires aux promoteurs est passée de +1,5% en g.a. en juin 2022 à +4,9% en juin 2023 (à comparer à la hausse moyenne de +15% par an en 2015-2019), mais elle a ralenti au T4 2023.

Le recul des prix immobiliers s’est poursuivi. En décembre 2023, la baisse moyenne des prix des logements dans les 70 principales villes chinoises a atteint -4,1% sur un an et -0,8% sur un mois, soit les baisses les plus marquées depuis le début de la correction du secteur immobilier en 2021. Toutefois, la baisse globale des prix depuis le début de la crise est relativement modérée : à la fin de 2023, les prix des logements étaient en moyenne estimés 9% environ en-dessous de leur niveau de mi-2021.

La perte de confiance des ménages, des investisseurs privés et des créanciers contribue largement à la persistance de la crise du secteur immobilier. Le moral dégradé des ménages explique aussi le rebond moins vigoureux que prévu de la consommation privée en 2023, en dépit des effets de rattrapage liés à la fin des restrictions à la mobilité. Les volumes de ventes au détail ont augmenté de 7%, après une contraction de 2% environ en 2022.

En parallèle, des pressions déflationnistes ont émergé au cours de l’année, en raison même de la faiblesse de la demande intérieure, mais aussi de la baisse des prix alimentaires (-3% en g.a. en moyenne au S2 2023 après une hausse de +2,5% au S1), de la correction des prix immobiliers résidentiels et du recul des cours de l’énergie (les prix de l’essence ont ainsi chuté de -5,1% en 2023). Au final, l’inflation des prix à la consommation a ralenti de +0,7% en g.a. au S1 2023 à -0,2% au S2. L’inflation sous-jacente s’est stabilisée à +0,6% en g.a. au T4, contre +0,7% sur les six mois précédents, un niveau faible par rapport aux années pré-Covid (l’inflation sous-jacente était de 1,6% en 2019).

La progression du pouvoir d’achat des ménages est pourtant restée modeste en 2023. En termes réels, le revenu disponible par tête s’est redressé de +6,1% en moyenne en Chine, et de +4,8% dans les zones urbaines (contre +5,7% par an en 2017-2019). Le chômage reste élevé chez les jeunes, et les perspectives d’évolution de l’emploi sont incertaines, en particulier dans les secteurs de services dont le cadre réglementaire est devenu plus contraignant. Tous ces facteurs ont de quoi peser sur la confiance et les dépenses des consommateurs. A cela s’ajoutent des effets de richesse négatifs liés à la baisse des prix immobiliers et à la très forte chute des cours boursiers depuis 2021. L’indice de référence CSI300 (indice pondéré des cours de 300 actions A cotées sur les bourses de Shanghai ou Shenzhen) a perdu 35% entre juin 2021 et décembre 2023.

L'industrie exportatrice reprend de la vigueur

Le redressement de l’activité dans les secteurs des services a fléchi en fin d’année, conséquence de la morosité de la demande des ménages et de moindres effets de base. La croissance dans les services s’est établie à +8,5% en g.a. en termes réels en décembre, interrompant quatre mois d’accélération graduelle. Elle est estimée à 8% sur l’ensemble de 2023 (après -0,1% en 2022). Au contraire, la performance des secteurs manufacturiers et exportateurs s’est récemment renforcée. La croissance de la production industrielle a continué d’accélérer légèrement en décembre (+6,8% en g.a.), avec une amélioration observée dans un grand nombre de secteurs, et en particulier dans les secteurs de l’automobile et des énergies renouvelables. Sur l’ensemble de 2023, la production industrielle a augmenté de +4,6% (après +3,6% en 2022). L’investissement manufacturier s’est quant à lui un peu redressé au T4 2023 après plus d’une année de ralentissement (il s’est accru de +6,5% en valeur sur l’ensemble de l’année).

L’activité dans le secteur manufacturier est largement tirée par les exportations, dont la performance récente s’est avérée meilleure que prévu en dépit d’un environnement externe peu porteur. Les exportations de marchandises se sont stabilisées en novembre et ont augmenté à nouveau en décembre (+2,3% en g.a. en dollars courants), après six mois de baisse. Surtout, les volumes d’exportations ont rebondi fortement ces derniers mois, favorisés par les baisses de prix proposées par les entreprises chinoises pour renforcer leurs parts de marché. La part de la Chine dans les exportations mondiales de marchandises est remontée à 15,2% au T3 2023, après avoir diminué à 14,7% en 2022 et 14,5% au S1 2023, soit une part plus élevée qu’au cours des années pré-Covid (elle était de 13,3% en 2019). La Chine est, de fait, parvenue à développer sa gamme de produits (allant des biens de consommation à faible valeur ajoutée aux produits de technologie verte), à s’imposer sur le marché des véhicules électriques, et à diversifier ses marchés pour tenter de compenser la baisse des ventes aux États-Unis et à l’UE.

Les banques font face à la montée des risques de crédit

Chine : relance prudente du crédit

Depuis l’été, les autorités tentent de soutenir l’activité sans renoncer aux ajustements nécessaires dans le secteur immobilier (désendettement des promoteurs, modération du coût du logement) et en tenant compte de contraintes fortes (pressions à la baisse sur le yuan, fragilité financière des collectivités locales et, plus généralement, niveau d’endettement élevé de l’économie). Les mesures d’assouplissement monétaire et budgétaire ont surtout visé à stimuler l’offre (production manufacturière et construction) et l’investissement (notamment dans les infrastructures publiques), et beaucoup moins la consommation des ménages. Elles ont jusqu’à maintenant eu des effets très limités sur la demande du secteur privé, qui reste miné par une crise de confiance.

En outre, les difficultés des institutions financières chinoises ont à la fois contraint la marge de manœuvre de la banque centrale et affaibli la transmission de la politique monétaire sur l’activité de crédit. Entre juin et décembre 2023, la croissance des prêts bancaires en monnaie locale a ralenti de +11,6% en g.a. à +10,9% en termes nominaux et est restée à peu près stable en termes réels. La croissance de l’encours total des financements domestiques (social financing) a légèrement accéléré (de +9,3% en g.a. à +9,8% en termes nominaux), notamment grâce au rebond des émissions obligataires (graphique 2).

Depuis juin 2023, les baisses de taux d’intérêt directeurs ont été minimales (taux MLF à 1 an de 2,75% à 2,5% et taux préférentiel sur les prêts à 1 an de 3,65% à 3,45%, par exemple). Les coefficients de réserves obligatoires (CRO) ont également été réduits modérément, mais de nouvelles baisses viennent d’être annoncées (le CRO moyen pondéré du secteur bancaire est passé de 7,6% à 7,4% à fin 2023, puis à 7% début février 2024). L’injection de liquidités correspondante doit en particulier accompagner l’accélération des émissions obligataires du gouvernement central et des collectivités locales. A court terme, d’autres mesures d’assouplissement monétaire sont attendues, avec l’utilisation d’une plus large gamme d’instruments et des mesures plus ciblées de relance du crédit.

La qualité moyenne des actifs du secteur financier s’est dégradée depuis quatre ans, en raison de la crise sanitaire, de la faiblesse du rebond de l’activité l’an dernier, de la crise du secteur immobilier, et des difficultés financières des collectivités locales. Cette dégradation n’est pas d’ampleur à provoquer une instabilité systémique. En particulier, les risques de crédit ont davantage affecté les institutions financières non bancaires, les petites banques et les marchés obligataires, alors que la détérioration de la qualité des actifs des principales banques commerciales a été beaucoup plus modérée. En outre, les risques de liquidité auxquels font face les collectivités locales et leurs structures de financement à court terme ont été réduits par les mesures de soutien récemment mises en œuvre (programme de refinancement de la dette de certaines structures de financement par une dette obligataire émise cette fois directement par les collectivités ; transferts de fonds du gouvernement central vers les collectivités locales au T4 2023).

Dans le secteur bancaire, le ratio moyen de créances douteuses (NPL) est resté bas, à 1,6% au T3 2023 (contre 1,9% fin 2019). Tout d’abord, les banques ont contenu la hausse des ratios de NPL grâce à de larges cessions d’actifs non performants (qui ont représenté 0,5% du total des prêts sur la période T1-T3 2023). Ensuite, les risques sur les crédits immobiliers restent maîtrisés, même si ces crédits représentent une part très importante des prêts bancaires (prêts hypothécaires : 16,9% du total en 2023 contre 21,9% en 2019 ; prêts aux promoteurs : 5,5% en 2023 contre 7,4% en 2019). Fin 2023, le ratio NPL sur les prêts aux promoteurs était estimé à 4% (par l’Institut de Finance internationale) mais le ratio NPL sur les prêts hypothécaires était inférieur à 0,5% (contre 0,3% en 2019), notamment grâce aux faibles ratios prêts/valeur imposés par la réglementation prudentielle et à l’absence de forte correction des prix des logements.

Les banques commerciales sont également confrontées à la détérioration de leurs profits liée à la baisse de leurs marges nettes d’intérêt (passées d’une moyenne de 2,22% fin 2019 à un niveau historiquement bas de 1,73% fin septembre 2023). Si certaines petites banques pourraient voir leurs ratios de capitalisation dangereusement fragilisés par la dégradation de leurs profits et de leur qualité d’actifs, les grandes banques nationales sont suffisamment solides pour faire face aux difficultés et accompagner – prudemment – les autorités dans leurs efforts de relance de l’activité.

Achevé de rédiger le 30 janvier 2024.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Pays émergents
Éditorial | Appétit sélectif pour la dette émergente

Éditorial | Appétit sélectif pour la dette émergente

Pour les pays émergents, les conditions monétaires et de change sont plus favorables en ce début d’année qu’elles ne l’étaient fin 2022-début 2023 [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Inde | Croissance robuste mais attractivité insuffisante

Inde | Croissance robuste mais attractivité insuffisante

L’activité économique indienne est restée solide au premier semestre de l’année budgétaire en cours. Sur l’ensemble de l’année 2023/2024, elle pourrait être proche de 7%, soutenue principalement par le dynamisme des investissements privés et publics [...]

LIRE L'ARTICLE
Malaisie
Malaisie | Solide mais des fragilités à surveiller

Malaisie | Solide mais des fragilités à surveiller

La croissance économique de la Malaisie est restée robuste en 2023, bien qu’en recul par rapport à 2022 en raison d’effets de base défavorables [...]

LIRE L'ARTICLE
Thaïlande
Thaïlande | Reprise en demi-teinte

Thaïlande | Reprise en demi-teinte

Le dynamisme de la consommation des ménages et le retour des touristes devraient permettre à la croissance d’accélérer au cours des prochains trimestres [...]

LIRE L'ARTICLE
Vietnam
Vietnam | Le vent en poupe

Vietnam | Le vent en poupe

Le Vietnam a connu une série de difficultés en 2022-2023, liées à la dégradation de l’environnement international, à la sévère correction dans le secteur immobilier, à la crise de confiance et aux tensions sur la liquidité dans le secteur bancaire [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
Brésil | Des motifs de satisfaction… et des zones d’ombre

Brésil | Des motifs de satisfaction… et des zones d’ombre

Pour son retour aux commandes, Lula peut dresser un bilan positif de sa première année, marquée par des indicateurs macro-financiers au vert, la relance des programmes sociaux, des positions ambitieuses sur l’environnement et une capacité à réformer que peu d’observateurs anticipaient. Ce tableau cache toutefois quelques déséquilibres : dans le profil de la croissance, la dynamique du chômage et la diversification de la balance commerciale. Les doutes des marchés sur la capacité du gouvernement à équilibrer ses comptes (malgré le nouveau cadre budgétaire) constitue une autre zone d’ombre. En 2024, la croissance, l’inflation et les taux d’intérêt seront inférieurs à 2023. La définition des grandes orientations de politique publique et la mise à disposition de financement pour l’économie verte devraient alimenter un rebond de l’investissement. [...]

LIRE L'ARTICLE
Argentine
Argentine | Thérapie de choc

Argentine | Thérapie de choc

Fort de sa nette victoire à l’élection présidentielle, le nouveau président Javier Milei entend mener au pas de charge la libéralisation et la dérégulation de l’économie [...]

LIRE L'ARTICLE
Hongrie
Hongrie | Optimisme prudent

Hongrie | Optimisme prudent

Après une récession attendue en 2023, les perspectives de croissance sont plus favorables en 2024. L’activité économique devrait être portée à la fois par une amélioration de la demande intérieure et un léger rebond de la croissance en zone euro [...]

LIRE L'ARTICLE
Balkans occidentaux | Stabilité macroéconomique face aux chocs extérieurs

Balkans occidentaux | Stabilité macroéconomique face aux chocs extérieurs

Malgré de nombreuses vulnérabilités, dont une forte dépendance au marché européen et un environnement politique complexe, les économies des Balkans occidentaux ont remarquablement résisté aux deux chocs extérieurs depuis 2022 : la guerre en Ukraine et le ralentissement européen. Le risque de change a été contenu grâce au soutien des investissements directs étrangers et des financements extérieurs. Le dynamisme de la demande intérieure a permis de compenser les conséquences du ralentissement européen sur les exportations. Les pressions inflationnistes, encore prégnantes en 2023, devraient se réduire cette année. L’intégration de la Croatie à la zone euro va réduire significativement les risques macroéconomiques. Néanmoins, la forte dépendance à l’activité touristique reste un élément de vulnérabilité. Si l’accès de la Serbie à l’UE reste contraint par des facteurs essentiellement politiques, les performances économiques sont solides tant au niveau des comptes extérieurs que des finances publiques. [...]

LIRE L'ARTICLE
Egypte
Égypte | Menace sur les finances publiques

Égypte | Menace sur les finances publiques

Dans un contexte de hausse des tensions géopolitiques régionales, la crise économique continue de s’aggraver en Égypte et menace maintenant les finances publiques [...]

LIRE L'ARTICLE
Tunisie
Tunisie | Sur un fil

Tunisie | Sur un fil

Lourdement affectée par la crise du COVID et les conséquences de la guerre en Ukraine, l’économie tunisienne doit désormais faire face à d’importantes contraintes de financement [...]

LIRE L'ARTICLE
Ethiopie
Éthiopie | De difficiles compromis

Éthiopie | De difficiles compromis

Le processus de restructuration de la dette extérieure du gouvernement éthiopien s’est récemment débloqué [...]

LIRE L'ARTICLE