La Turquie surprend autant qu’elle inquiète.
Elle surprend car jusqu’à présent, la croissance a fait preuve d’une grande résistance, les indices PMI étant restés au-dessus de 50 jusqu’en décembre. Le déficit courant ne devrait pas avoir dépassé 2% du PIB en 2021, malgré la hausse des prix du pétrole, et le déficit budgétaire 2,5% en dépit d’une accélération des dépenses primaires supérieure à celle de l’inflation sur la deuxième partie de l’année.
Elle inquiète car le taux de change s’est déprécié de 28% contre l’euro et le dollar en moyenne depuis la mi-novembre et les rendements sur la dette souveraine en monnaie locale se sont tendus au-delà de 20%. En cause, l’assouplissement assumé de la politique monétaire malgré l’envolée du taux d’inflation de 21,3% à 36,1% entre Octobre et décembre. La banque centrale a en effet réduit son principal taux d’intérêt de 19% en Septembre à 14% actuellement. Les réserves de change ont baissé de USD 17 mds depuis la mi-novembre même si la banque centrale a plutôt limité ses interventions. Enfin, la dollarisation des dépôts s’est accélérée jusqu’à la fin de l’année.
Depuis la dernière semaine de décembre, les tensions se sont un peu calmées. Les autorités ont annoncé une série de mesures pour 1/ protéger l’épargne des ménages et les entreprises et les inciter à conserver ou accroître leurs actifs en livres 2/ attirer les investissements étrangers. Elles ont aussi contraint les entreprises de rapatrier et de convertir 25% de leurs revenus en devises.
Au-delà des mesures d’urgence, la stratégie est de soutenir la croissance par les exportations grâce un taux de change réel faible, et stimuler l’investissement et le crédit domestique grâce à des taux d’intérêt réels négatifs. En stimulant la compétitivité, la nouvelle politique économique parie sur le rétablissement durable du compte courant qui permettrait ensuite de stabiliser le taux de change et de réduire indirectement l’inflation.
Le pari est osé car si la dépréciation de la livre améliore effectivement le solde courant hors énergie, elle renchérit mécaniquement des importations nettes d’énergie. Surtout des doses de plus en plus fortes de dépréciation nominale sont nécessaires pour maintenir les gains de compétitivité-change en termes réels.
Par ailleurs, la dépréciation du change a potentiellement des effets bilanciels pour les banques et les entreprises. Pour les banques, leur risque de change est modéré car elles équilibrent leur passif net en devises par une position hors bilan créditrice. De plus, depuis fin 2019, cette position créditrice est a priori plus stable car la contrepartie des banques est la banque centrale et non les investisseurs étrangers. En revanche, la position de change des entreprises est largement débitrice. A CT, cette position est heureusement créditrice grâce aux dépôts en dollars. Par ailleurs, le taux de renouvellement de la dette extérieure à moyen et long terme était encore supérieur à 100% jusqu’en novembre. Le risque à surveiller est surtout la dette domestique en devises qui représente 20% du PIB car elle est portée par des entreprises qui n’ont pas forcément des recettes en devises.